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Ducumentu
Whistler à Ajaccio en 1901

Margaret F. MAC INNES

Introduction et traduction de Francis BERETTI

Ce fut un Anglais, le docteur James Henry Bennet, qui lança Ajaccio en tant que station hivernale en 1868, par des articles, et un guide qui connut de nombreuses rééditions. Son initiative fut soutenue par son compatriote le docteur Ribton, le médecin allemand Bierman, et par l'infatigable Écossaise Miss Thomasina M.A.E. Campbell, qui favorisa la construction des " cottages " et de l'église anglicane, sur le cours Grandval. La station était très fréquentée au début du siècle, sans qu'on puisse sérieusement soutenir qu'elle concurrençait Nice ou même Menton.

Dans les premiers mois de 1901, Ajaccio, ville de près de 22.000 habitants, avait sept hôtels, et guère plus d'une centaine d'hivernants. (1) Elle est décrite en des termes dithyrambiques par Jules Monod dans son Guide officiel d'Ajaccio : " Ajaccio est sans contredit le fleuron de la couronne de cette Arcadie charmante, la parure de cette Corse casquée de granit, à la chevelure sauvage, dont les flots baisent les pieds roses, le joyau rare de cette terre aux rocs ciselés et aux joailleries végétales. (...) Coquette à ravir, sur son cap ceinturé d'azur, avec les retombées d'argent de ses bois d'oliviers, éblouissante de lumière et de couleurs, Ajaccio est une des plus jolies villes du monde. "

Parmi les hivernants, valétudinaires ou simples oisifs, nobles, gros bourgeois, de Londres ou de Francfort, rentiers, majors prussiens et vieilles filles britanniques accompagnées de leurs gouvernantes, un petit nombre d'artistes nous ont laissé des témoignages de leur vision personnelle de la vie ajaccienne en hiver, qui coïncide rarement avec la description idyllique des guides touristiques.

L'écrivain Jean Lorrain recrée avec humour et une malice finement teintée d'amertume l'ambiance du " Grand Hôtel Continental ", où il était descendu en janvier 1901: " Nous étions les derniers demeurés à table, les autres déjeuneurs déjà répandus dans le jardin et lézardant au soleil, dans un engoncements de plaids, de châles et de pèlerines comme seuls Anglais et Allemands en promènent à travers le monde ; phtisies d'outre-Rhin et spleens d'outre-Manche voisinaient là ; à l'ombre grêle et bleue des palmiers ; l'or en boule des mimosas et les thyrses ensanglantés des cactus à fleurs rouges préparaient en décor l'azur adouci des montagnes et du golfe ; c'était la mélancolie atténuée, le charme ouaté d'un paysage pour poitrinaires et globe-trotters, exténués de civilisation, venant s'échouer dans un havre d'exil et de somnolente agonie entre les oliviers, les chênes verts et la mer. " (2)

L'arrivée d'un autre artiste fort connu fut à peine marquée par deux lignes dans un journal local. Le samedi 2 février 1901, on pouvait lire dans L'Union Républicaine, sous la rubrique " Nos hivernants " : " M. Wissler, le célèbre peintre portraitiste américain, est depuis quelques jours dans nos murs. Nous sommes heureux de lui souhaiter la bienvenue. "

En 1901, James Abbot Mac Neill Whistler, à 67 ans, était au faîte de la renommée. Objet d'un culte au même titre que Wagner, Mallarmé et le symbolisme, il était considéré par la nouvelle génération de peintres comme le porte-drapeau de la révolte moderniste. L'étude relativement récente de sa correspondance nous permet de reconstituer son séjour à Ajaccio.

A son départ de Londres pour des raisons de santé, Whistler n'avait pas l'intention de se rendre en Corse. Ce fut seulement à Marseille qu'il en prit la décision, sur les conseils d'un médecin. En effet, selon la publicité de la Station Hivernale d'Ajaccio, le climat de la Corse, et particulièrement d'Ajaccio, était considéré comme étant " d'une remarquable salubrité " : " C'est un puissant préservatif de la scrofule et de la tuberculose... Les goutteux, les rhumatisants, les anémiques, les convalescents, y accélèrent leur guérison ; les névropathes y trouvent le calme et le repos qui est pour eux le remède par excellence. " (3)

Whistler résidait à l'Hôtel " Schweizerhof ", dont les petites annonces vantaient la " situation superbe en face du golfe et des chaînes de montagnes ", l'aménagement " d'après le système suisse, avec tout le confort ; jardin devant l'hôtel avec bosquets ; poêles en faïence, corridors chauffés, planchers en bois ", et la singularité : " seul établissement de son espèce dans tout le midi ; billard et bains dans l'hôtel. "

M.F.M.I.

Extrait du BSSHNC, 629e fac, 4e trim. 78

 

 

NOTES

L'idée de cet article nous a été donnée par une étude de Margaret F. Mac INNES (qui est actuellement Mrs. M. F. MACDONALD), intitulée : " Whistler's last years. Spring 1901. Algiers and Corsica ", et publiée en 1969 dans la Gazette des Beaux-Arts, 6, tome 73, p. 323-342.

Nous avons condensé l'étude pour ne retenir que ce qui avait trait à la Corse, traduit le passage choisi, et ajouté une introduction, un croquis, et quelques notes.

  1. Statistique, par nationalité, des hivernants français ou étrangers arrivés à Ajaccio pendant le mois de janvier 1901 : Français : 38. Allemands : 28. Anglais : 22. Suisses : 8. Autrichiens : 5. Italiens : 4. Américains : 3. Hollandais : 3. Belges : 2. Russes : 2. Suédois : 1. Total : 116. (Union Républicaine, jeudi 7 février 1901)
  2. Jean Lorrain, Heures de Corse, Paris, E. Sansot, 1905, p. 25-26.
  3. La Corse pittoresque, Guide Officiel d'Ajaccio, par Jules Monod, De Peretti, Ajaccio    (s.d.) p. 85.