Versione :

Ducumentu
Percò sò, traduction et notes de Francescu Micheli DURAZZO

Car je suis ....
J'ai peu de menthe sauvage [1]
fixée dans la mémoire,
les platanes pelés
sont mes beaux châtaigniers [2],
la sonnaille de ma chèvre
tinte dans un clocher.

Car je suis ...
qui près de la Calata [3]
veille sur le môle génois,
le marché Saint-Joseph [4],
la place d'Armes, la Marine,
Montepianu, Paratoghju
et Saint-Jean [5], le Guadellu [6],
et la Fontaine Neuve
où se rit le dauphin [7]

Car je suis ..
qui veille dans la rue
sur l'amour citadin.
Ma haute randonnée [8]
tourne dans les rigoles,
ruelles et escaliers.
Ils fondent sous le soleil,
la mémoire se sèche,
sur le dos du Libeccio [9].

 

Car je suis ....
qui soigne à l'air marin
ses mains pleines de cals.
Les cours et les portails
sont mes champs verdoyants,
et laTraverse [10] peigne
les pas des beaux messieurs,
et un garnement traîne
de vieux seaux aigrelets. [11]

Car je suis .....
qui garde en ses immeubles
les grimaces des gamins,
mais mon regard se porte
vers les crêtes dePignu [12],
où répond le Rutondu [13]
à la voix du Cintu [14],
l'Incudine [15] qui fait signe
aux croupes montagneuses.

Nous sommes de la fougère  [16]
qui tisse notre esprit
et ouvre l'horizon.

 

[1] En corse : «mintrastu» (mentha insularis req.), recouvre selon les régions de l'île des ensembles de plantes différents, ressemblant à la menthe. Il symbolise ici la vie paysanne.
[2] Les platanes sont les arbres citadins par excellence, que l'on trouve sur les places des villes et des villages ainsi que sur les routes, tandis que le châtaignier, qu'on appelle aussi «l'arbre à pain» à cause de la farine qu'on en tire, peuple la montagne, et a donné son nom à la Castagniccia, région au sud de Bastia.
[3] La Calata désigne le littoral, le quai qui conduit de la Place Saint-Nicolas au Vieux-Port. Le môle génois, au nord, a été la seule protection du Vieux-Port jusqu'au 19e siècle.
[4] Saint-Joseph est l'un des anciens faubourgs de Bastia et en même temps l'un de ses principaux marchés. Entre la Citadelle et ce quartier s'étend la Piazza d'È (Piazza d'Arme) la Place d'Armes, aujourd'hui Place Vincetti.
[5] Saint-Jean, nom d'une église située dans la basse ville et de l'un des anciens huit quartiers.
[6] Le Guadellu est le ruisseau qui se trouve au pied de la citadelle ; il donne son nom a l'un des quartiers populaires du vieux Bastia.
[7] Quartier de Bastia dont le monument le plus important est la Fontaine Neuve (Funtana Nova, tronqué en dialecte bastiais en Funtana Nò) ou du Dauphin, érigée sous Louis XVI en l'honneur de l'héritier de la couronne. G.Thiers en a fait le décor de son roman A Funtana d'Altea (Albiana, Levie, 1990), traduit ensuite en français (Les Glycines d'Altea) en italien (Il Canto di Altea) et en roumain (Parfum de glicine).
[8] En corse : «L'Alta Strada», qui désigne le chemin de grande randonnée qui traverse les montagnes corses (GR20).
[9] Vent du sud-ouest qui souffle plus particulièrement sur Bastia et le Cap corse.
[10] Bastia compte deux grandes rues parallèles à la Place Saint-Nicolas et à la mer, qui traversent la ville du nord au sud et datent toutes deux du XIXe siècle : le boulevard Paoli appelé « La Traverse » et la rue César-Campinchi.
[11] Allusion au rite pascal des «stagnunacci» (charivari), seaux étamés que les gamins impatients traînaient avec bruit dans les rues.
[12] Le massif du Pignu, au pied duquel s'est construite la ville de Bastia, forme un amphithéâtre naturel autour du vieux port, actuellement port de pêche et de plaisance.
[13] Seconde montagne de l'île en hauteur avec 2622 m, située au centre-nord de la Corse et sur les flancs de laquelle est perchée Corti, la capitale historique de la Corse sous Pascal Paoli.
[14] Montagne du nord-ouest, la plus haute de l'île avec 2706 m. Son pic est distant de celui du Rotondu de vingt-deux kilomètres, à une cinquantaine de kilomètres à vol d'oiseau de Bastia.
[15] L'Incudine, que l'auteur cite dans le dialecte du sud où elle se trouve l'Alcudina' s'élève à 2136 m.
[16] On trouve «la filetta» (litt. «la fougère») dans une expression figurée qui désigne la langue corse et, plus généralement, l'amour du pays. « Si hè scurdatu di a filetta »/ »Il a oublié la fougère » dit-on de quelqu'un qui ne se soucie plus de son pays natal. A Filetta est aussi le nom d'un groupe polyphonique emblématique.