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Ducumentu
Villa Igeia

Nous sommes ici près d’une ville immense, envoûtante et belle. Partout les essences de la flore méditerranéenne diffusent leurs parfums. Pins maritimes, palmiers d'Afrique, palmiers nains de Sicile, yuccas aux branches horizontales comme des candélabres et aux feuilles pointues, lauriers-roses, hibiscus aux fleurs écarlates. De l’hôtel on descend vers la mer par un petit escalier. Une vue magnifique sur une baie pleine de vie et d’activité : cargos au mouillage, ferrys à la coque blanche et qui laissent un sillage éblouissant, silhouette grise du porte-avions américain, barques de pêche, yachts, tout change d’aspect et de couleurs au gré des heures.

On parle toujours de la Palerme grecque, de la Palerme arabe, de la Palerme normande, de la Palerme espagnole, de la Palerme baroque, à juste titre d'ailleurs, car peu de villes offrent un aussi riche amalgame de civilisations. Mais pourquoi, alors, négliger la Palerme Liberty, dont cette Villa Igiea est justement le témoignage le plus insigne ? L'édifice fut construit en 1900, par l'architecte Ernesto Basile, qui ajouta au modern style européen des touches typiquement siciliennes. Ainsi, l'extérieur se présente comme un palais arabo-normand, massif, à deux grosses tours, crénelé. Fenêtres pointues en ogive.

A l'intérieur, d'immenses couloirs et des escaliers majestueux en proportion ont une grande allure de palace, mais la surprise est surtout dans les salles à manger. Celle d'été est dans le goût néoclassique. Elle est ornée de fresques d’inspiration chinoise, de lustres feuillus à abat-jour roses, de miroirs à montures incrustées et de parements originaux. C'est un bon exemple de kitsch 1900. Mais la merveille des merveilles, c'est la grande salle à manger d'hiver, achevée en 1908, chef-d'oeuvre du goût Liberty, dont elle exalte avec une amusante rigueur la végétale exubérance. Le mobilier lui-même, les guéridons, les fauteuils, les paravents de cristal, ainsi que les armatures des portes et la corniche des miroirs, montrent le même style contourné et tarabiscoté que les nervures de la voûte et les poutres du plafond. Aux murs d’une salle au plafond très haut sont peintes d'immenses fresques dues au peintre Andrea de Maria. Elles glorifient la femme, dans une nature aussi évanescente que sophistiquée. D'un côté le soleil surgit de la mer, et des bacchantes, à moitié nues ou drapées d'étoffes à fleurs, brandissent des coupes pleines d'encens, tout en courant dans un champ de narcisses. Ailleurs, près d'un étang où des cygnes s'étirent entre des plantes aquatiques, elles dansent de dionysiaques farandoles en agitant des guirlandes de roses. Du plafond pend un lustre extravagant, tout en longueur, soutenu par quatre paires de serpents en fer forgé. Beaucoup de miroirs répercutent l'image des meubles et des fresques,  Plus qu’une salle à manger, c’est une salle de bal idéale...