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Ducumentu
La sainte, la ville et le maire

Le Festino di Santa Rosalia fut au temps de Leoluca Orlando un formidable symbole, la théâtralisation d'une utopie.

Le renouveau a investi Palerme pendant la période où L. Orlando (de 1993 à 2000) en a été le maire. Sa politique a fait une large part aux initiatives culturelles. Le festival " Palermo di scena" animait les nuits. Les réjouissances vouées à la sainte patronne, le Festino di Santa Rosalia, ont pris un essor prodigieux. Alors que dans les années quatre-vingts ces festivités n'attiraient pas plus de trente mille personnes, à la moitié des années quatre-vingt-dix elles en rassemblaient près de cinq cent mille.

L’origine date de 1624. Palerme était ravagée par la peste. La maladie sévissait jusqu'au jour où Rosalia Sinibaldi apparut à un homme pour lui révéler l'emplacement de ses os sur un sommet où elle avait trouvé la mort, en 1170. Les autorités décidèrent que la dépouille de la jeune fille serait gardée dans une urne en argent déposée à l'intérieur de la cathédrale et que le 15 juillet, jour anniversaire de la découverte des os, la châsse serait portée en procession. L'épidémie s'atténua. Dès le XVIIe siècle, la procession solennelle des reliques de sainte Rosalie a été précédée par une fête profane, le Festino. Comme la cérémonie religieuse, le rite profane mettait en scène le mythe d'origine du Festino, de l'irruption du fléau à la procession miraculeuse.

A partir de 1995 (pendant trois ans), L. Orlando a fait représenter la peste à Palerme, en utilisant la ville comme décor. Les horreurs de la mafia rendaient ce passé on ne peut plus actuel. Par trois fois, entre 1995 et 1997, les citoyens de Palerme sont devenus les spectateurs de leur propre histoire, celle de 1624 où un bateau de Tunis dans un temps arrêté car suspecté de peste, puis accueilli par le Vice-roi qui en attendait des cadeaux, porta la peste à Palerme. C’était toujours un succès fou. Le parallèle entre la peste et la mafia est flagrant.

Leoluca Orlando s'est présenté comme l'homme nouveau. Sauver la ville signifiait l'arracher à l'emprise mafieuse. La présence de cinq cent mille personnes dans le Cassaro lors du Festino a été la manifestation spectaculaire d'une réappropriation. En 1997, la compagnie Ditirammu y a représenté les Triunfi di Santa Rosalia. Faisant écho au Festino, il reprenait des chants et des récits traditionnels de la sainte, pour devenir, à son tour, la toile de fond où le conflit victorieux mené par le maire contre la criminalité mafieuse était mis en scène. Comment imaginer un meilleur plateau que ce monument "guéri" pour représenter le "triomphe" de Santa Rosalia sur l'épidémie et, à travers lui, celui de L. Orlando sur la mafia ?

À partir de 1998, le message avait changé de sens. Dans son discours, une fois la mafia vaincue, le défi est l'intégration des différentes ethnies au sein d'une société multiculturelle. En 1999, le maire conçut le projet de jumeler la Sicile, avec Cuba, l'île du "métissage". Mais le spectacle est éloigné de l'âme sicilienne. On sentait déjà que l'accord entre le maire et la ville commençait à se fissurer. En 2000, le "métissage" était encore le maître-mot du Festino, mais l'image de l'étranger s'était comme dédoublée. D'un côté, l'ennemi qu'il fallait chasser, de l'autre, l'altérité positive qu'il fallait s’incorporer. Les mafieux, naguère considérés par les autochtones comme les détenteurs de valeurs partagés par tous, d'un "code" commun, voire de la plus authentique culture sicilienne, s'étaient progressivement transformés en "ennemis de la Sicile". A partir de 1998, L. Orlando a commencé à promouvoir le culte de San Benedetto il Moro patron de Palerme depuis 1652, dont la figure avait été éclipsée par sainte Rosalie. En 1999, pendant les festivités de sainte Rosalie, la statue du saint noir a été sortie de l'église où elle était pour ainsi dire détenue.

Le "rêve d'Orlando" a été celui de chaque Palermitain croyant pouvoir vaincre la mafia et vivre à Palerme comme dans une "ville normale". Ce rêve peut-il encore redevenir le moteur du changement dans la triste réalité du présent ?