Ducumentu
Literatura siciliana - Vittorini
Vittorini Le Sicilien
Vittorini s’est constamment préoccupé de retrouver, de redécouvrir le contenu simple, premier, incontestable de ce que l’on appelle « homme ». Il a voulu proposer une littérature dont l'homme dépourvu de formation intellectuelle et d’éducation bourgeoise ne se sente pas exclu. Il voulait en même temps prendre la défense de ce pauvre, ce paria, contre toutes les idéologies politiques et les totalitarismes qui déclarent vouloir libérer l’homme, mais en réalité ne visent et ne travaillent qu’à le soumettre.
On rapproche généralement cette sensibilité de l’origine sicilienne de Vittorini, petit-fils d'ouvriers, fils de cheminot, autodidacte. Les impostures d’un prétendu humanisme n’auraient donc pas été si bien mises en lumière par un autre qu’un témoin des misères du sud italien. Mais aussi il est impossible d’ignorer que la Sicile est, avec la Grèce, un des berceaux mythiques de la dignité humaine où la personne de chacun a été reconnue sacrée ? C’est donc parce qu’il est doublement sicilien, comme témoin de la dégradation matérielle de l'homme et comme gardien de sa dignité spirituelle, que l’on peut comparer son humanisme à celui d’un Camus. Au cœur de cette conscience se trouve alors posée l’origine du sud et le témoignage sur le drame des pays sous-développés.
Pourtant la différence est grande entre les deux écrivains car Vittorini s’en tient au niveau des problèmes vitaux : la faim, la misère, le froid, la lutte incessante contre la mort qui guette. Pas de morale élaborée au terme d’une profonde méditation sur l’homme et sa condition. Ici, une seule philosophie : la survie !
Erica, fillette sans ressources, forcée d'élever ses petits frères dans une baraque délabrée (Erica et ses frères), le jeune couple sicilien réduit à se nourrir d'oranges (Conversation en Sicile), la famille d'ouvriers milanais nourris seulement de chicorée bouillie, mais soucieux d'apprendre aux enfants à faire les gestes symboliques de découper un imaginaire poulet, le cantonnier invité à leur table qui sort de sa poche intérieure un minuscule paquet contenant un seul anchois, tout a la force convaincante et terrible de la lutte pour la vie, dans un climat d’effort tendu et de gestes essentiels.
Mais une autre lutte l’anime, comme elle anime les Pavese, les Moravia, les Carlo Levi : la dénonciation de la dictature fasciste et de la barbarie nazie. Né en 1908, Vittorini fit partie de la génération antifasciste dressée contre l’infâmie.
Dans la littérature sicilienne, si riche, les écrivains se divisent en deux groupes.
On range d’un côté ceux qui, tels Brancati, Lampedusa ou Sciascia, restent enracinés dans leur terre natale, au risque de passer pour des provinciaux. Les autres, dont le plus illustre est Pirandello, échappent à leur milieu insulaire pour se lancer dans l'aventure littéraire internationale. Elio Vittorini est à ranger parmi les seconds. Installé à Milan, où il mourut en 1966, il avait joué un rôle important dans les mouvements d'avant-garde. Et pourtant on constate dans son grand roman resté inachevé et posthume, combien il demeurait sicilien, dans ses sujets, dans ses thèmes, dans ses rêves, dans sa mythologie. Les Villes du monde (Le Città del mondo, 1969. Traduction française, 1972, Gallimard), est en effet un hymne â la Sicile, avec ses multiples scènes typiques et inimitables. Bergers qui poussent leurs troupeaux sur les hauts plateaux désertiques, paysans rassemblés en mystérieuses processions nocturnes avec leurs fanfares et leurs oriflammes, rustiques prostituées qui déambulent dans leur charrette tintinnabulante mais aussi un univers de sons et de lumières. Les bruits, les odeurs de la Sicile, et, scintillant entre deux pans de montagne sous les yeux émerveillés de ce peuple toujours errant, les lumières des villes tapies au fond des ravins.