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Francese

Voyageurs des Langues

Une fantaisie, un voyage onirique, mais aussi un véritable poème composé par Rosa Alice Branco, à partir des éléments qui ont marqué le séjour bastiais des poètes invités à Linguimondu et logés à l’Hôtel des Voyageurs.
Aurélia Arcocha, Rosa Alice Branco, Carles Duarte, Moncef Ghacem, Alain Di Meglio, Sébastien Quenot et Ghjacumu Thiers sont croqués par l’auteure dans sa rêverie pleine de malice, de poésie et d’affection.

 


 

Comme pèlerins venus des quatre chemins du monde,
nous voilà arrivés à l’hôtel des Voyageurs, au cœur même de Bastia.
En montant les escaliers je suis allée vers la Russie, Aurelia vers l’Afrique
et Moncef s’en est allé en train, quoique tôt le matin il se régalait
du petit déjeuner avec un sourire reposé. Quand Carles est monté,
lui aussi, il s’est plongé dans la chambre de la photographie.
Mais je suis sûre que ce n’était pas lui qui m’a photographiée
entre le Tsar Alexandre et le drap de Staline.
Mon lit est plein d’icônes peintes, et le général de l’armoire
généreusement médaillé. Ma première nuit j’ai eu des cauchemars.
C’est peut être normal pour celle qui pense arriver dans un pays et part
à toute vitesse vers un autre. C’est dommage de ne pas avoir habité
la chambre du cinéma. J’aurais certainement parlé avec De Sica
et Fellini, vu celui qui a volé les bicyclettes, je ferais partie du miracle
de Milan. Au moins Visconti a dîné avec nous sur la Place du Marché.
À vrai dire, c’était Burt Lencaster, mais ce qui compte c’est la splendeur
de Gattopardo, c’est d’avoir bu pour la Corse et, après les Affreux,
sales et méchants que Scola avait bien anticipés, nos langues rouges
parlaient déjà pas mal de langues, Alain soulevait son verre plein
de corse et Sébastien a versé le sien sur nos têtes nues.
À la fin du dîner chaque langue avait sa patrie, sauf Aurelia et moi
qui devions partir pour l’Afrique et la Russie. Mais cette nuit nous
avons rêvé en corse sur le droit des langues et sur la compassion.
Le drap du lit s’est réveillé comme un drap flottant dans l’air frais.
Sur son cheval de Troie le redoutable chevalier Ghjacumu annonçait
que désormais toutes les langues étaient officiellement reconnues
et le papillon de Carles les acceptait tendrement de ses ailes.