Hiérophanie ou cérémonie de la sirène

Imaginez-vous la piscine d'un hôtel
sous les cieux lents de la Sicile.
Dans la stridulation des cigales à l'heure de la sieste
jusqu'à l'ombre brûlée des arbres.
Sous un olivier un homme livre sa chair à la somnolence
de cette heure.
Soudain,
les braises de l'instant sont agitées
par un barbotage qui lui fait ouvrir les yeux.
Il regarde, et devant lui
contemple un visage heureux qui émerge
avec un sourire troublant
des eaux bleues.
La créature sortit de la piscine. Elle passa lentement devant l'homme.
Solitude lunaire de la beauté,
évanescente, miracle, butin du monde,
perle parfaite, ensorcelante, avec cette
fastueuse qualité de soie
de jeunesse, fraîchement sortie
de la brutale chrysalide enfantine
comme un être fabuleux, flux de Venus.
Elle passa lentement,
et s'étendit, non loin de lui, au soleil.
La lumière brillait sur sa peau mouillée. Et ce sourire sur sa
bouche, ces yeux perdus.
L'homme pense : « C'est quelque chose de métaphysique. En [soi-même,
qui se réjouit en son existence miraculeuse
et qui offre à ce soleil de Dieux
l'orgueil de son existence ».
Durant un long moment l'homme la contemple.
Il se délecte en admirant
sa peau luxueuse, depuis ce cou
de perdition
jusqu'à l'éclatante courbe de ses fesses ;
le pouvoir mythique de ces jambes brunes,
le duvet blond qui brille,
son ventre creux, ambigu,
sa bouche, qu'il rêve chaude,
ses yeux, qui soudain s'ouvrent, et regardent,
regardent le monde
voulant en faire sa conquête.
L'homme se sent comme sous l'effet d'un narcotique. Il se
dit « Étaient-ils ainsi ce sourire
et ces yeux, ce
soir de sang et de poussière
sur cette
muraille lointaine ? »
La créature, lentement, s'étirant
comme si elle se dégourdissait
dans son lit, au réveil, tourne
son visage vers lui.
Ces yeux brillent comme la mer.
Quelque chose de sauvage niche dans cette chair, comme
si palpitait
dans la force aveugle qui fit le monde,
cette première lumière qui sépara les ténèbres.
« Être mystérieux - pense l'homme -
qui flottes sur ma vie
comme la Lune sur le grand calme des mers,
où conduis-tu mon désir ? »
Alors, elle se leva. Elle passa
à côté de moi. Je sentis son odeur.
Ses yeux me frôlèrent.
Entre ses lèvres brillaient de petites dents.
Je la vis s'éloigner vers le bar.
« Ou peut-être - dis-je - n'es-tu rien venu
me donner ni me demander.
Seulement que je te contemple
et repose dans ce sortilège de ce que je suis devenu. »
C'était la Beauté. Création sans ombres, chair
glorieuse, non
seulement pour l'aimer,
pour jouir de sa grâce, mais
pour la vénérer comme l'un de
ces
sommets de la vie
où il semble que la Nature rende
hommage au mystère de son origine.
« Amour…», dis-je.
Et je tendis les mains vers toi.
Mais je ne touchai que de l'air enflammé.

Mais comme si la force de cette invocation
avait été une main caressant sa nuque,
la créature se retourna
et me regarda. Ses yeux
rirent. Elle se pourlécha. Ses dents brillèrent au soleil.
Et ce fut comme si l'air s'était fait toile
et qu'en elle ta beauté avait laissé son exsudation d'or.
Alors je compris.
Ce n'était pas que du Désir. Ou c'était un Désir qui brûlait
au-delà de toi
ce qui embrasait mes entrailles et ma mémoire.
Ce que cet être me donnait
c'était la dissolution dans l'instinct
- comme le sang chaud de l'animal chassé -,
la tension
même de l'Art. Où
me fondre.
L'anéantissement dans la Beauté.

« C'est la flamme qui éclaire
les cavernes de la Mort », me
dis-je.
Et cet homme t'adora comme un Dieu.