Le palmier de Kairouan
Puesia
DUMAS Catherine
Je t'épelle Kairouan dans cette maison vide
sans arcades pour abriter ton absence.
J'épelle chaque morceau de ciel sur le pas de tes portes,
dans la poussière des rues qui s'élève
pour tisser les nuages avec la laine des tapis.
Heure de la prière. J'écoute ta voix depuis les marges de Kairouan,
les genoux collés au sol vus du dehors. Je dessine
des cercles autour du puits. Sysiphe travaille mon eau,
l'éternel retour à Kairouan. Qui donc t'a fait bleu :
porte, fenêtre, arcade, trottoir symétrique du blanc ?
Qui donc a fait de Kairouan le ciel de midi ? Et terre pourtant
où un tailleur coud la nuit devant sa porte. Pourtant
toutes les couleurs et les chats qui fouillent les poubelles. Conserves
et petites boîtes sur les étagères près du coca-cola.
Je frappe à ta porte pour que la maison se recueille
avant de m'accueillir. Lits où nous nous asseyons
pour boire le secret du vin alors que nos mains
se retrouvent dans une seule assiette. Nous mouillons le pain et la bouche
entre le « ka » et le « da » des bavards de la nuit et c'est avec des mots
que nous berçons la Medina déserte à cette heure-ci.
Et chaque jour le ciel se fait bois de la porte,
ciment des moulures et les sept coudes de la ruelle
que les guides débitent aux touristes avant les dinars.
Marabout, laisse-moi épeler le nom de ton saint.
Mosquée, laisse-moi rester aux alentours du rien,
Là où la Palestine eut sa demeure et dis-moi combien de poussière
je devrai manger, combien de bleu verser pour que tu aies une maison.
Et moi je dis que ma maison est vide, la table seulement table,
et l'assiette non répartie. Que le ciel et la mer ne font pas corps
dans le corps de la ville. Qu'il y a une explication
aux nuages qui n'est pas la poussière de mes pas.
Mais le bleu est rouge dans ta langue où le mot
n'est même pas maison. Les grilles brûlent au dedans des fenêtres,
au dedans des poumons irrespirables qui t'endurent. Palestine,
mes pieds épelleront ton sol comme ma bouche
épelle Kairouan, le corps du ciel dans tes maisons. Je m'éloigne
comme le chat qui se faufile sur le mur, l'avion qui me ramène
sur le siège vide. Dis que tu me vois traverser le Souk,
frapper à ma porte dans la Medina, dis que je suis ton bleu sur la terre
quand nous nous endormons dans le puits le plus profond de Kairouan,
là où se reflète le ciel entre nos ailes. Kairouan unit les deux côtés
de mon coeur comme un palmier hermaphrodite.