SANTUCCI Lucia

Institutrice, conseillère pédagogique puis inspectrice de l'Éducation nationale, Lucia Santucci a toujours associé l'éducation avec l'illustration de la langue corse. Aujourd'hui à la retraite, cette militante de la langue corse poursuit son oeuvre d'écriture à Luri où elle a enseigné pendant quelques années. Elle a d'abord exercé comme institutrice à Paris avant de rejoindre la Corse dans les années soixante-dix, en pleine période du « riacquistu ».

Rigiru, une revue d'avant-garde

La revendication politique entraînant une renaissance culturelle et littéraire, celle-ci s'exprime dans la revue Rigiru, fondée en 1974 par Dumenicantone Geronimi, écrivain et dramaturge.

Ghjuvan Teramu Rocchi, alors conseiller pédagogique qui anime des stages pour les enseignants, fait connaître à Lucia Santucci la revue où écrivent Ghjacumu Thiers, Ghjacumu Fusina, Rinatu Coti, Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi et de jeunes talents prometteurs comme Pasquale Ottavi.

Cette revue littéraire et poétique connaît un certain succès en dépit de ses détracteurs qui estiment qu'elle est réservée à une élite. Un point de vue que ne partage pas la poétesse : « Il faut quitter le cliché de la poésie traditionnelle pour écrire de manière contemporaine. Avec Rigiru, on avait envie d'avancer, sans en être conscient. C'était un passage d'un monde d'hier au monde d'aujourd'hui pour aller vers demain. Nous venons tous de la tradition mais nous nous en sommes dégagés. Dans ma famille, ma grand-mère improvisait. Elle chantait des berceuses, des voceri. Avec Rigiru, nous sommes passés d'une poésie orale populaire pour parler d'aujourd'hui. Tous ceux qui parlent corse peuvent lire la poésie contemporaine », estime Lucia Santucci.

Rigiru n'est pas une revue engagée mais sa création est bien un acte politique : « Nous n'écrivions pas de textes engagés mais notre démarche était engagée. Nous avons apporté quelque chose à la société. L'acte d'écriture est un acte de citoyen. Nous avions quelque chose à dire. C'était une époque extraordinaire. À partir d'un lieu, de nous, on parlait du monde. Il n'y avait pas de nostalgie du passé. Je découvrais le théâtre, la poésie, la prose. »

Une écriture novatrice

L'écriture de Lucia Santucci est liée aux combats d'émancipation des années soixante-dix.Elle a traduit en langue corse des poètes étrangers comme Lorca. Preuve s'il en est que la langue corse peut se hisser au rang de la littérature.

Avant Rigiru, la poétesse avait rejoint à Paris un groupe d'auteurs qui regroupait des Roumains, des Catalans et des Corses. « Les Roumains avaient fui le communisme. Pour eux, le français était la langue de la liberté ! Ce que les Corses ne comprenaient pas ! »

Lucia Santucci fait partie de cette génération qui a appris le français à l'école. La langue corse est sa langue maternelle. Elle pense donc tout naturellement que le corse doit être obligatoire dans la société, et pas seulement dans les écoles : « Il faut la coofficialité. La langue corse sert à vivre, à penser. Si on l'impose, cela ne mettra pas la langue française pas en péril ! »

Attentive aux rapports entre paroles et graphisme, elle a publié et illustré son premier recueil de poésies intitulé « Sogni di disegni » en 1980.

Outre sa participation à des ouvrages collectifs avec le CCU, elle a collaboré à « Parulle di donne », un recueil anthologique dédié à la poésie féminine.

Un de ces derniers ouvrages intitulé « Santacroce » (chez Albiana) est axé sur le thème de l'alphabet : « J'ai interrogé toutes les lettres de l'alphabet. Lorsque j'ai présenté mon livre, les gens fuyaient ! Ils pensaient que c'était un livre sur la religion ! Alors que c'est un livre de poésies, pas de prières ! » dit-elle en riant.

Le titre de cet ouvrage rappelle qu'autrefois les enfants apprenaient l'alphabet dans les livres de psaumes. « U saltere » et « u santacroce » désignaient l'alphabet.

Les miroirs du quotidien

Au fil du temps, les poésies de Lucia Santucci se sont épurées : « Plus ça va, plus mes textes sont brefs, reconnaît-elle. Ma recherche en poésie est une quête sans fin. C'est la recherche impossible de l'harmonie entre le monde extérieur et le monde intérieur. Entre soi et l'autre. C'est une recherche de ce qui a de fondamental dans tout être humain. On reçoit un message et on renvoie comme un miroir. »

Dans « Spechji », elle raconte la journée d'une femme qui passe par tous les miroirs du quotidien. Cette oeuvre sera bientôt traduite en portugais et en arabe.

Ses poésies sont regroupées dans « A Filetta », un recueil dédié à onze poètes corses contemporains (éditions PHI).

Dernièrement, Jacques Fusina lui a demandé des poèmes inédits pour la revue « Nu(e) ». Son prochain livre ? Elle y pense déjà. Pour l'évoquer, elle utilise la jolie métaphore de la pâte et du levain : « ça dort, ça travaille. »

Elle déplore qu'il n'existe pas de véritable critique littéraire en Corse et que la poésie ait perdu son pouvoir d'attraction auprès du grand public alors que « c'est la forme la plus universelle de la littérature. »

En complément de son travail d'écriture, Lucia Santucci participe dans le Cap Corse à la journée du livre, « Libru in paese ». Elle s'implique aussi dans l'association « Operata culturale » avec Jean-Pierre Santini qui veut dynamiser la littérature régionale. Et trouve encore le temps de s'engager dans A Cunfraterna de Luri.

« L'idée, c'est le partage. Les gens qui ont envie de donner, donnent. Le capital humain, c'est le plus gros capital. Je ne travaille pas pour la reconnaissance mais pour la connaissance. Je crois à la vie. Je suis assez proche des mazzeri. Il faut savoir regarder au-delà des apparences. La création, c'est un mystère. Je crois aux rencontres. Cela nous permet de développer des choses sur nous ».

Un aveu qui en dit long sur la personnalité de Lucia Santucci et sur son parcours poétique qui n'en finit pas de tisser des liens avec le monde. (Paru dans Corse-Matin, 21.04.2011)