U CANTU IN CORSICA VISTU DA W.LAADE-2

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Texte: 

LE CHANT TRADITIONNEL CORSE

 

ETHNOGRAPHIE ET HISTOIRE-GENRES ET STYLE

 

Volume 1 Questions Ethnographiques et Historiques

 

La situation musicale 1973

 

Lors de la recherche des chants traditionnels corses existant toujours sur l'île en 1973, il m'a traversé plus d’une fois l’esprit que le moment où je déciderais de ce que je ferais avec le micro serait similaire à ce que montre une dernière photo avant un enterrement, avant la disparition définitive de ce monde. Inévitablement, les sentiments de regret se mêleraient à la prise de conscience que cette disparition ne pouvait être qu’inéluctable

 

Le fait est que de telles pensées s’expliquent par les expériences vécues lors de mon dernier voyage, qui, au moins en partie, ont été relatées dans les notes de mon journal. Certaines parmi d’autres devraient éclaircir la situation.

 

Les anciens chanteurs et poètes, que j’ai connus et enregistrés en 1958 sont presque tous décédés, tout comme ceux que Edith Southwell-Colucci a enregistrés dans les années 1920.

 

NIOLU (séjour de cinq jours). À Calacuccia, le propriétaire de l'hôtel et les membres de la famille Leca (que je connais depuis 1956) me font savoir qu’il n’est plus possible de trouver de poètes-improvisateurs possédant une réelle inspiration. De plus personne ne compose plus de chants électoraux ; ils sont à présent remplacés par des discours. À Lozzi, je m’adresse à deux hommes âgés dans une rue du village. Ils me répondent : «  Tout est terminé, aujourd’hui, plus personne ne connaît de chants traditionnels ». Les personnes susceptibles de les connaître ou éventuellement de les écrire  – et ils me citent un nom  –  sont toutes décédées. Un vieux berger que nous rencontrons derrière le village nous répète la même chose. À Calasima : nous recevons une information similaire. Un homme là-bas serait soi-disant capable de chanter, mais il est fortement enroué. Je revisite Casamaccioli, où, en 1956, j'avais accompli mon travail principal. Le poète berger Ours- Jean Luciani vit maintenant avec sa famille à Bastia ; il y travaille dans une usine. Deux autres chanteurs de cette époque sont morts. Un des plus jeunes de ce temps là  – le boulanger drôle : Michel Galeazzi – vit également à Bastia. Le maire, Jacques Luciani, est absorbé par les prochaines élections, – bien que je lui aie annoncé notre visite par lettre quelques semaines auparavant – il refuse tout d'abord toute conversation. Cependant, lorsque j’ai l’occasion de le voir et de lui demander s’il connaît quelqu’un capable d’interpréter des chants anciens, il répond : « Non, c'est complètement fini ». Dans ce cas précis, cela pourrait bien sûr aussi signifier : « Laissez-moi tranquille avec votre demande et allez-vous en ». Et d'autres personnes ne me donnent pas non plus de meilleures  informations.

 

Janine Leca, qui a chanté quelques chansons en 1956 et 1958 et qui m’a aidé à trouver d'autres chants, est mariée en France continentale, mais se trouve à ce moment-là en vacances chez elle. Elle nous emmène en voiture à Corscia, où elle a de la famille. Il s’agit un village isolé, ou plutôt de deux villages fusionnés, qui constituait un point de rencontre pour les traditions du Niolu. Nous sommes  informés encore une fois de plus que tous ceux qui connaissaient les chants traditionnels sont morts. Et on nous cite également des noms, que plus personne ne connaît aujourd'hui.

 

Janine commente : cette situation ne serait pas étonnante, il est normal que les chants traditionnels disparaissent. Les anciens vivaient ce qu'ils chantaient. Les chants avaient donc une signification pour eux. Pour la jeune génération ils ne signifient -  et ne peuvent signifier – plus rien, car le mode de vie a fondamentalement changé. Je réplique que les chants traditionnels peuvent encore avoir une signification pour les personnes âgées vivant dans cet environnement qui a changé. En effet, même si elles ne « vivent » plus dans ce monde décrit dans les chants, le contenu des chants peut leur évoquer des souvenirs. C’est la raison pour laquelle nous pourrions nous attendre à ce que les personnes âgées se souviennent également de ces chants. Mon argumentation n'a toutefois pas abouti. Selon toute source littéraire, le Niolu, une province corse, peuplée de bergers, pleine de traditions vivantes, n'a pas permis un seul enregistrement ; déjà en 1956, en comparaison avec la Castagniccia visitée plus tard, il paraissait musicalement pauvre.

 

L'étonnante perte de tradition dans cette région peuplée de bergers, particulièrement imprégnée de la vie traditionnelle, nécessite une explication. Le Niolu constitue une région considérablement isolée en raison de sa situation géographique, une vallée entourée de hautes parois montagneuses, où les hivers sont habituellement particulièrement rigoureux. En hiver, les bergers se déplaçaient avec leurs troupeaux vers la côte de Filosorma, entre le golfe de Portu et celui de Galeria, tandis que les femmes restaient chez elles dans les villages de montagne et, pendant les longs mois d'hiver, produisaient le tissu brun célèbre et recherché dans toute l'île et les lins (Robiquet 1835:40). Les familles vivaient donc séparément pendant la moitié de l'année.  L'isolement conduit à ce «|…] qu’une vie archaïque a pu s'y maintenir pendant le XIXe siècle et, pratiquement, ne commencer à se désagréger qu'à partir de la fin de la première guerre mondiale » ... (Blasini 1971-72 : 62). Malgré la vie difficile de cette population, elle n'y était jamais dans le besoin réel au Niolu : «  Chaque famille possédait un troupeau de chèvres ou de moutons, ce qui lui permettait de fumer les pièces les parcelles de terre où l'on cultivait blé et seigle. La production était ainsi suffisante pour la consommation. La vie était assurée" (Blanchard 1913, cité dans Blasini, 1. c. 62). La population a considérablement augmenté durant la première moitié du XIXe siècle, puis plus lentement, mais n'a pas diminué. Blasini identifie dans la collision soudaine et brutale de ce mode de vie « archaïque » avec la culture industrielle et urbaine du continent la véritable raison de son effondrement. L'ouverture de la région a pratiquement commencé avec la construction de la route de Caluccia via Evisa à Portu (1865) et de la route de Calacuccia à Ponte Leccia (achevée en 1892). Cependant, c’est l'automobile qui a mené pendant environ un demi-siècle à une communication plus intense avec l'environnement. Surtout, la Première Guerre mondiale a fait sortir les hommes en grand nombre de leur isolement pour les amener sur le continent, où ils ont été confrontés au mode de vie continental. Blasini (1971-72 : 66) écrit à ce sujet :

 

« Ce contact brutal d’une vie archaïque avec la vie d’une métropole riche, à l’industrie, à l’agriculture et au commerce évolués, devait fatalement enlever tout espoir d’adaptation progressive, et finalement détruire, sans le remplacer, l’équilibre socio-économique qui s’était établi. Seul l’élevage, (quoiqu’en régression) a pu se maintenir. Même sans se moderniser, car cette activité procurait des revenus encore acceptables, et c’est la seule qui pouvait encore être pratiquée.

« La guerre de 14-18 opéra une coupe sombre parmi la population active, et mit en contact direct de nombreux jeunes avec le continent.

« La tendance à aller chercher ailleurs des emplois plus rentables, et plus faciles se développa, surtout avec le succès des études ; la garde du troupeau familial était laissée à ceux des enfants n’ayant pu trouver d’autres voies. Le cheptel, seul reste de l’activité passée, à néanmoins diminué de près de moitié depuis une vingtaine d’années, malgré l’avantage certain du débouché que procure la Société de Roquefort.

Cet exodeet les pertes de la guerre ont entraîné en outre un vieillissement de la population, une élévation de l’âge moyen, et donc, également une diminution du taux de natalité. Nous verrons ci-dessous que l’examen des pyramides des âges confirme la date de début de la décadence de la région que, d’après ce qui précède, nous situons aux années qui ont suivi la première guerre mondiale. »

 

Nous rencontrons à nouveau la Première Guerre mondiale comme le moment et la cause de changements aussi profonds, comme le moment du contact décisif avec la culture continentale moderne. Si celles-ci ont exercé une influence encore plus durable sur la culture du Niolu isolée, que dans d’autres régions, cela peut s’expliquer par le fait que les personnes âgées ont déclaré à plusieurs reprises avoir entendu par le passé des chants polyphoniques – paghjelle et des chants d’église, – des currente au violon et des chants de battage, bien qu'aucune trace de ceux-ci n'ait été retrouvée, ni en 1956, ni en 1973.

 

CASTAGNICCIA (séjour de 7 jours). La province de Castagniccia possède une importante  réputation dans toute l'île en tant que centre des traditions musicales du terroir. Et les villages de Rusiu et Sermanu sont ceux à qui est attribuée une aura très particulière en matière de richesse musicale et de qualité de leurs chanteurs.

 

Sermanu doit sa réputation musicale encore aujourd'hui à plusieurs raisons réelles : le fait que les habitants y chantaient, tout comme avant, des paghjelle et qu’il est encore l'un des rares endroits où la messe est célébrée « en paghjelle ». Cela vaut, depuis un certain temps, a valu au groupe de chanteurs d'être invités par les églises d'autres villages où la messe de paghjelle est soudain appréciée comme quelque chose de spécial ; le fait est que l’on peut encore rencontrer des violonistes de type traditionnel ; le fait que les activités musicales à Sermanu aient donné naissance au groupe folklorique « Mannella », un groupe folklorique de l'intérieur de la Corse, qui opère à Corti (son dirigeant, Jacques Luciani, est de Sermanu). Dans le groupe jouent également deux violonistes, encore vivants, François Turchini et Félix Guelfucci. Tous en étaient déjà membres en 1958Les deux hommes jouent encore occasionnellement ensemble pour les bals, les soirées dansantes ou les divertissements lors de festivités publiques ou privées. Chacun d'eux a un élève : Turchini, enseigne à la jeune épouse française du facteur français de Sermanu; Guelfucci, vivant maintenant à Ajaccio où il travaille comme facteur, enseigne au jeune Evisan en ville. Tous deux apprennent –  sans notes à l’appui – à ces jeunes gens à jouer des danses traditionnelles de manière traditionnelle. Félix Guelfucci, qui rentre toujours au village tous les week-ends, m'a demandé une copie de tous les enregistrements que j'avais réalisés avec Don Mathieu Giacometti en 1958, afin qu'il puisse apprendre et transmettre tous ces morceaux de violon : même enfant, il écoutait les vieux violonistes de Sermanu. Comme dans tous les autres villages, les hommes (les personnes âgées, par ailleurs tous des retraités) se réunissaient au café du village, où ils passaient jour et nuit à discuter et à jouer. À l’époque, les enregistrements constituaient un travail pour moi, pour eux un changement et un divertissement. Aujourd'hui, les cafés de Sermanu et des autres villages sont vides, ou bien seules une ou deux personnes y boivent un pastis, ou sont assises ensemble à une table pour jouer aux cartes.

 

 À Rusiu, des hommes âgés et jeunes chantaient les paghjelle avec une légèreté frappante qui consiste à exécuter le chant haut et pressé sans cet effort visible que l’on remarque ailleurs et sans la main à l'oreille. Cependant, ces chanteurs de Rusiu ont été enregistrés des dizaines de fois sur cassette, la BBC de Londres est venue sur place, et la radio française y a effectué des enregistrements télévisés. Pour les hommes de Rusiu, les enregistrements sonores ne signifient rien de spécial.

 

CASINCA. A Venzulasca, en 1958, j'ai pu réaliser de très beaux enregistrements de chants profanes et religieux. De fins chants de battage (tribbiere) et des paghjelle ont été enregistrées. Il faut y ajouter les Lodi (Laudes), que j’ai découvertes la première fois à cet endroit. Toutefois, cette fois-ci, les habitants me font comprendre que des chanteurs connaissant ces airs traditionnels sont introuvables dans le village, sauf ceux qui chantent à l'église, mais qui ne connaissent pas de morceaux profanes.

 

FIUMALTU. Pour la première fois, je visite Tagliu-Isulacciu, où vit la famille Bernardini qui sait chanter des paghjelle, et dont j'ai entendu dire des choses merveilleuses en divers endroits.

 

Le journaliste français Maurice Bitterqui voyage dans le monde entier avec un micro et édite ensuite des disques mal réalisés et accompagnés de pauvres commentaires, a récemment enregistré ici des paghjelle (disque BAM LD 5788), Ce ne sont toutefois pas les Bernardinimais d'autres hommes qui ont chanté pour lui.

 

Mon ami, Philippe de Mari, n'a pas réussi à réunir un groupe de trois hommes, car dans toute la ville, il existe de bonnes voix aiguës – l’homme aimant chanter la voix ténor –  mais pas de basse. C’est pourquoi, dans la famille Bernardini, le père se charge de chanter la voix basse, bien qu'il soit habitué à chanter une voix haute de paghjelle. Mon ami de Mari possède également une voix aiguë, mais comme décrit, il chante pour la même raison parfois la voix basse (au moment de notre visite, il n’était pas du tout en mesure de chanter, à cause d’une extinction de voix). Ce qui rendait difficile le fait de réunir un trio vocal peut également s’expliquer par des divisions politiques dans le village, tout le monde n'étant pas prêt à chanter avec tout le monde. Notre ami a réussi à convaincre une femme âgée. Elle a chanté une complainte après l'autre, mais toutes sur la même mélodie. Les hommes qui n'étaient pas amis avec de Mari et les Bernardini ou qui avaient une orientation politique différente se sont révélés inaccessibles. Ainsi, il reste surtout les enregistrements réalisés avec les Bernardini.

 

VERDE. Dans tout Verde, le travail est particulièrement difficile à réaliser. Lorsque les personnes âgées ne prétendent rien savoir, elles invoquent la « fatigue », la maladie, les mauvaises voix, pour ne pas être obligées de chanter. Un visiteur du continent et d’origine corse organise une séance d'enregistrement le premier soir à Chjatra. Deux femmes âgées et un vieil homme viennent chanter : les trois personnes du village, les seules qui sont aptes à interpréter les chants. Lors de la réunion préliminaire, un seul morceau a été jugé approprié pour l'enregistrement car cet air n'avait auparavant pas été enregistré. La rencontre donne lieu à trois autres chansons. Toutefois, du dernier, le texte n’est pas connu en entier. Le lendemain, Dominique Grimaldi nous accompagne de maison en maison dans le petit village et demande à presque tous ses proches de chanter individuellement. Sa propre mère, une autre femme âgée et sa cousine, particulièrement douée pour le chant (mais dont le répertoire me semble peu intéressant), chantent chacune un ou deux morceaux. Dans la ville voisine de Petra-di-Verde, nous rendons visite à Madame Bangala, ouverte d'esprit et compréhensive. Elle a écrit des poèmes et a été une collaboratrice de "U Muntese". Elle m’explique que les habitants ne chantent plus de chants traditionnels, car ils ne signifient plus rien pour personne et de plus il manque les occasions pour le faire. En outre, il existe peu de possibilités de communiquer. Tout ceci expliquerait pourquoi les chants connus autrefois sont oubliés et qu’il n’en reste qu’une connaissance fragmentaire, d’où le fait de se rappeler des paroles nécessite un effort.

 

FIUMORBU. A Poghju di Nazza, nous attend une surprise considérable. L'homme, qui nous avait été indiqué, chante bien à l'église dans le meilleur des cas, mais il ne connaît pas de chants profanes traditionnels. Il nous conduit à Pompilia Brancaleonil'aveugle qui a beaucoup chanté dans sa jeunesse. La septuagénaire, souvent seule avec elle-même à penser au temps passé, chante pas moins de treize morceaux particulièrement longs, anciens, créés au village, et qui m’étaient  totalement inconnus.

 

Je possède une adresse de contact à Ghisoni. Cependant, l'homme en question ne chante qu'à l'église et ne connaît pas de chants profanes traditionnels. Dans toute la ville, il ne se trouve personne connaissant des chants traditionnels. Le même jour, je continue ma route via Zicavu (où des nouvelles négatives m’attendent) jusqu'à Cuzzà, où j'espère rencontrer deux vieux amis et chanteurs, rencontrés en 1958 et qui, à l’époque, étaient encore jeunes, Noël Spadoni et Martin QuilichiniSpadoni vit maintenant à Auddè, où il travaille à la poste. Quilichini est particulièrement grincheux et peu coopératif. Non seulement il ne veut pas chanter, mais il ne souhaite pas non plus m’aider à trouver des contacts avec d'autres personnes. Comme d'habitude, les renseignements recueillis restent les mêmes : nous ne trouvons personne et rien, des faits confirmés par les hommes présents. Il s’agit du jour des élections. Nous n’entendons plus les chants entonnés habituellement à cette occasion. Les hommes se tiennent par groupes sur la place du village et dans les rues et discutent. En un tel jour, Quilichini et ses compatriotes ne peuvent probablement pas penser à autre chose qu’à la politique. Cependant,  même le lendemain et le jour d'après, celui-ci reste aussi inaccessible et grincheux qu’auparavant. L'indifférence et l'apathie totales sont particulièrement perceptibles ici.

 

Dans Auddè, à la poste, je trouve Noël Spadoni bien occupé. Pendant la journée Il travaille et la nuit, il est introuvable. Lui – qui aimait tellement chanter autrefois  – me dit, qu’il ne chante plus. Isabelle Lucchinien revanche, se produit avec  plus de zèle. Elle tient une épicerie à Auddè, tandis que son mari occupe un autre emploi. Elle sait qu'elle chante bien et elle jouit d’une bonne réputation dans la région. Elle aime évidemment se produire –  les enregistrements sont réalisés dans le hall de l'hôtel devant un public restreint –  et elle rêve encore de chanter –  si l’occasion s’y prête – pour réaliser un disque. Elle écrit ses chansons elle-même. Son « U Paisolu » est une chanson sentimentale relatant les souvenirs de jeunesse de son village natal, louant le pays de son enfance. Celle-ci est basée sur des modèles modernes, de qualité moyenne, avec une mélodie larmoyante. Toutefois, cette chanson est populaire parmi les jeunes d'Auddè. Elle est déterminée à en faire un disque à succès.

 

SUD. Nous arrivons à Quenza avec une recommandation. Le « bon chanteur » que nous devrions rencontrer, ne connaît que des chansons modernes. Jean-Pierre Milanini, lui-même auteur de nombreux poèmes, nous accueille et nous conduit vers différentes personnes et familles du village, chez lesquelles il présume une connaissance des chants traditionnels. Il a apparemment saisi le but de notre travail (il fait donc figure de remarquable exception). Après de nombreuses vaines tentatives, nous effectuons des enregistrements avec un homme âgé qui connaît les chansons d'un poète satirique décédé de Serra. Ils sont drôles et constituent un véritable enrichissement. Milanini veut nous conduire le lendemain matin avec sa voiture –  comme Janine Leca au Niolu – vers d'autres villages pour y chercher des gens qui pourraient  convenir pour notre travail.

 

Nous arrivons d'abord à Surbuddà. La femme à qui Milanini avait pensé, nous renvoie vers Ninino Mondoloni à Santa Lucia di Taddà. Cet homme prétend ne connaître aucun chant et nous dirige vers un certain Marengo à Livia. Ce dernier n'est pas chez lui, il se trouve dans la plaine de Figari, où il aide à récolter les raisins dans les jardins d'un dentiste. Non seulement Marengo est indisponible, mais il ne connaît pas non plus de chants traditionnels. Ensuite, nous rendons visite à plusieurs femmes âgées de la famille de Milanini à Sotta et ses environs, dont nous supposons qu'elles connaissent des chants traditionnels. Nous restons sur la route toute la journée jusqu'à la tombée de la nuit. Un seul fragment de voceru est mis au jour.

 

À Portivechju, Antoine Filippiprofesseur à la retraite, nous chante quelques lamentations dont il a écrit les textes.

 

À plusieurs reprises mon attention a été attirée par Maria Leandri à Prupià. Je peux la rencontrer avec Tino Codaccioni  au « Café de la Marine ». Le chant de Maria Leandri est exquis avec l'accompagnement de Tino à la guitare. Elle a  travaillé pour la radio dans le cadre des émissions et programmes corses. Cependant, elle ne connaît pas de chants traditionnels, sauf ceux connus par tout le monde. Elle est fière de sa voix et de certaines aptitudes vocales (ornements, longues notes finales). Elle aimerait se faire enregistrer sur un disque pour « beaucoup d'argent », un souhait qu’elle partage avec Isabella Lucchini à Auddè. De plus, comme elle, se contenter de pouvoir chanter spectaculairement bien ne lui suffit plus : toutes deux souhaitent se produire devant un public et gagner de l'argent avec.

 

Nous avons souvent entendu parler de « bons chanteurs » qui, d’après à ce que nous avons pu entendre, chantaient effectivement très bien, mais dont le répertoire se limitait à des morceaux connus et modernes (« Coco »Tiberini à Poghju di Nazza, Dédé Foata à Quenza, Mathilda Colonna à U Spidali, Maria Leandri à Prupià, Charles Nicoli et Lucien Giordani à Bastia). Ainsi, aujourd'hui, pour juger les chanteurs, nous nous  laissons guider par la sélection des bonnes voix entendues à la radio, à la télévision et dans des disques. Cependant, cela fait longtemps que je ne demande plus à être mis en relation avec des chanteurs, afin d’éviter d’être orientée vers des stars en vogue d’Aiacciu et se produisant sur disques ou vers des chanteurs du genre chanteurs de variété ou autres, mais vers des personnes âgées connaissant des chants traditionnels.

 

Pour le reste, les vains efforts se poursuivent jusqu'au bout en vain : à Sartè, j’entends que « ici, il n'y a personne qui connaisse les chants anciens », et il en est de même à Ulmetu, où la commune de Pitretu m’est déconseillée, car y aller n'en vaudrait pas la peine. La visite de Vicu est également infructueuse. Ici, je ne mentionne que quelques étapes importantes du voyage afin de caractériser la situation.

D'autre part, cette fois-ci, comme en 1958, nous avons en main des recommandations pour d'autres endroits où – selon les dires – du matériel traditionnel devrait toujours exister. Cette fois-ci, cependant, ces recommandations sont moins fondées. À Rusiu, Orezza et Cervioni, par exemple, on nous a recommandé de visiter Pietra-di-Verde, mais l'effort est vain. À Cjiatra di-Verde et Poghju di Nazza, des habitants me parlent de la « région derrière le Col di Verde » avec Cuzzà et Palleca. Dans le  Fiumorbu et le Taravu, nous sommes dirigés vers le Niolu. Toutefois, dans tous ces endroits recommandés – à l'exception de la Castagniccia avec Rusiu et Sermanu, déjà mentionnée à plusieurs reprises – nous ne trouvons rien. Parmi les lieux recommandés, seuls les villages d’Alisgiani, de Moita et de Matra, proches les uns des autres ne sont pas visités. Car en 1958, nous avions déjà travaillé dans les villages voisins (Zalana, Pianellu).

 

Là, où il reste possible de trouver des chanteurs, il devient toutefois difficile de conclure des accords contraignants avec eux et de planifier fermement des rencontres.

 

SERMANU : Le jour de l’arrivée, les deux violonistes jouent le soir, ravis de mon retour après tant d'années. Il est impossible d’enregistrer des chants : la salle des fêtes du village, dans laquelle le maire nous a accueillis, pose des problèmes acoustiques dus à une résonance trop importante. Pendant la brève discussion autour de ce problème, l'un des trois chanteurs de paghjelle présents perd l’envie de chanter et disparaît. Nous ne le revoyons pas non plus dans les jours qui suivent. L’enregistrement est renvoyé au lendemain, et ce jour là, nous le décalons au soir et il doit finalement avoir lieu dans la maison du facteur. En réalité, cette réunion musicale du soir se révèle être une fête d'adieu à l’intention de la belle-sœur du facteur, qui, en raison de la fin de ses congés, rentre le lendemain en France continentale. Pendant le week-end, les jeunes en visite à Sermanu et le plus jeune des deux violonistes, Felix Guelfucci, divertissent les personnes présentes avec de la musique : ils chantent une paghjella, quelques chants traditionnels bien connus, mais surtout des chansons modernes accompagnées de guitares et de mandoline. Guelfucci joue au violon quelques morceaux, que j'ai enregistrés à plusieurs reprises, en 1958 et la veille de la fête. Les enregistrements sonores n’ont pas pu être effectués à cause du bruit des invités et du programme musical peu intéressant et ils sont reportés au lendemain, dimanche, avant et après la messe. Comme la fête est longue, nous nous levons trop tard le lendemain, c’est-à-dire le dimanche. Les chanteurs de Sermanu partent accompagnés de visiteurs étrangers à midi pour chanter la messe "en paghjella" à Antisanti, à l’extérieur de la ville, dans l'après-midi. Je n'avais pas soupçonné ce déplacement jusqu'alors. Ils ne reviennent qu'après minuit ; ils ont été invités à dîner et ont ensuite passé la soirée à Antisanti, à chanter et à boire. En conséquence, le lundi matin, aussi, le réveil est difficile et  tardif. Les enregistrements ont finalement lieu le lundi soir : notre  poursuite du voyage ainsi été reportée trois fois, afin de pouvoir réaliser ces quelques enregistrements dont nous espérions  quelque chose. Qui sait, peut-être ne  trouverons-nous  pas du tout de chanteurs dans la ville voisine ?

 

RUSIU. Deux enterrements dans le voisinage, le jour de l'arrivée. Tous les hommes s’y trouvent là et rentrent tard. Le lendemain matin, nous effectuons des enregistrements avec le poète Michel Frederici. Les autres chanteurs vaquent à leurs occupations pendant la journée, viennent me voir avant le dîner et chantent de merveilleuses paghjelle. Ils veulent revenir après le dîner. Personne ne vient. Au lieu de cela, tous les hommes sont assis sur la place du village et discutent à propos de la chasse qui doit se dérouler le lendemain : il s’agit en effet de la saison de la chasse. La discussion dure jusqu'à minuit environ, après quoi plus rien n'est possible. Rendez-vous est pris pour le lendemain soir à 18 heures. Le lendemain matin, un autre enterrement a lieu dans le voisinage. À midi, presque tous les hommes, y compris les chanteurs de paghjelle, partent à la chasse et reviennent à 19h30 avec un sanglier abattu. Ils s'assoient au café du village et racontent ce qu’il s’est passé pendant la chasse. Le sanglier est dépouillé par un homme et éviscéré pour le partager ; tous les chasseurs sont là. Ensuite, ils se retrouvent au café du village pour une nouvelle discussion sur la journée de chasse autour d'un pastis. Peu avant 21 heures, on va dîner avec la promesse de venir chanter ensuite. Les enregistrements se font vers 22 heures : car nous partons le lendemain matin.

 

À Tagliu Isulacciu, nous parcourons le village avec notre ami Philippe de Mari et cherchons des chanteurs. Nous obtenons plusieurs accords verbaux. Après que tout est bien arrangé, rien ne se  passe. Notre ami avait pris plusieurs rendez-vous à notre insu et les avait fixés à différents endroits, – aurions-nous laissé passer quelque chose ? Nous ne le saurons jamais. Quoi qu'il en soit, nous réalisons finalement les enregistrements susmentionnés  avec les Bemardini et une femme âgée.

 

Pas une seule fois nous n’avons été informés de tout changement de date. Pas un mot n'a été prononcé par la suite. Nous avons dû constamment deviner et nous demander ce qui se passait réellement. Ainsi il était impossible de planifier d’une manière précise, car les rendez-vous n’ont jamais été tenus avec précision et presque chaque jour, l'imprévu a bouleversé tous les plans.

 

Le travail sur place et dans de telles circonstances serait difficilement concevable aujourd'hui. Le changement des conditions exige une adaptation, une façon différente de travailler lorsqu’il s’agit de documenter des investigations musicales, à savoir : être mobile, se déplacer en voiture, afin de pouvoir atteindre les endroits les plus petits et les plus éloignés, rencontrer les personnes individuellement, et ne pas perdre son temps inutilement en restant ou en attendant dans des endroits improductifs.

 

Toutefois, il semble nécessaire de mentionner un autre aspect. À Guagnu : Jean-Toussaint Polinous a été recommandé plusieurs fois dans le village, car il connaît certains chants. Nous ne le trouvons pas chez lui, mais son frère promet de venir avec lui le soir à notre hôtel. Personne ne se montre. Lorsque je rencontre Jean-Toussaint le lendemain, il se rétracte : « Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que veux-tu de moi ? Je ne sais pas chanter ! » Quand je lui explique que j’attends un autre homme qui veut chanter, il est surpris : « C'est vrai ? »   Cette fois-ci, il vient avec moi. Après que l'autre a chanté un morceau peu intéressant, connu, avec beaucoup de pathos et tout à fait faux, Jean-Toussaint se met à chanter, lui aussi. À ce moment-là, nous nous rendons compte qu'il connait bien des choses intéressantes et qu'il se souvient aussi sans difficulté des nombreux vers des morceaux. Qui sait dans combien de cas des résultats similaires auraient été possibles, si les circonstances avaient été plus favorables et si la chance avait été avec nous. Je suis convaincu que parfois, ce n'est pas la méconnaissance, mais que ce sont la timidité, le manque d'habitude et d’envie qui empêchent les gens de chanter.

 

En résumé, on peut dire ce qui suit. Il a été impossible en Corse en 1973 - mais aussi en 1956 et 1958 - de trouver ne serait-ce qu'une personne, qui comprend notre travail et qui est intéressée à transmettre des informations, semblable à ce qui s’est passé avec mes meilleurs informateurs sur les îles du détroit de Torres, tout comme les vieux Aborigènes en Australie du Nord face à l'effritement de leur culture traditionnelle. Ils ont consciemment saisi l'occasion de transmettre des connaissances sur des traditions qui n'intéressaient pas leur propre jeunesse à l'époque. La préservation de ce savoir permettrait toutefois aux générations futures de connaître ces traditions, si un jour l'intérêt s'éveillait à nouveau. Dans de tels cas, se servir d’un ethnologue dans un but précis,, n’est que justifiable. Cependant, comme je l'ai dit, de tout cela, il n’existait pratiquement pas de trace en Corse en 1973. En effet, ils chantaient et jouaient de la musique, du moins s’ils acceptaient, principalement pour me faire plaisir, rarement pour le plaisir de le faire, chose qui était encore très présente en 1958.

 

Du reste, chanter à la demande de quelqu'un ne semble plus être considéré comme un plaisir et un divertissement, mais plutôt comme un travail à accomplir dont le sens et le but – s’ils ne sont pas commerciaux - restent incompris, et que la personne n’a pas envie d’effectuer. Le désintérêt se double alors rapidement d'un manque de volonté. Ce n'est que pendant les semaines de vacances que les gens sont comme transformés. Quand les parents et les amis de France continentale sont présent, ils chantent ensemble pour le plaisir, – et bien sûr, des morceaux généralement connus –  surtout modernes.

 

Pour les mêmes raisons, des discussions comme celles que j'ai eues si souvent avec la vieille Aniba à Saibai, avec Elisala à Dauan, avec Marau et Deila à Murray Island (détroit de Torres) ou avec Billy Daniels et ses amis sur la péninsule de Cape York (nord-est de l'Australie) sont ici presque impossibles.

 

Autre observation : aujourd’hui, en présence d’un intermédiaire adéquat, il semble plus facile d’inciter les femmes âgées à chanter. En 1958, elles étaient plutôt timides et  laissaient les hommes chanter en leur soufflant les paroles.

 

Encore plus étonnant : lors de ce nouveau voyage, j'ai entendu dire, qu’aujourd’hui  les gens ne chantent plus de chants provocateurs, comme les plaintes de bandits, qui contiennent toujours le thème des conflits familiaux, ni les chants de propagande électorale provocants. Ils souhaitaient éviter d’offenser.

 

Il est certain que tous les phénomènes décrits ne sont pas inhabituels. Pourtant, le choc ressenti lorsqu’une île de chanteurs, de poètes et de poétesses –  et ce n'est pas exagéré – perd soudainement son potentiel créatif de façon si radicale, devient si culturellement stérile, ne devrait pas être surprendre.

 

La perte des chants s'explique par la perte de leur fonction : disparition de l'ancienne méthode de battage, disparition de l'ancienne forme de lamentation, de la vendetta et du banditisme. En raison de cette perte de fonction, et, après la disparition de certaines coutumes et traditions, les chants ne signifient plus rien, surtout pour la jeune génération.

 

Pour les personnes âgées, en 1958, les chants traditionnels signifiaient au moins souvenir, édification par le chant et joie par la beauté des textes. Depuis que les villages ont été désertés et que les distractions par le biais de la télévision –  et pour le berger se trouvant dehors par celui de la radio transistor ont remplacé les rencontres dans le café du village – les personnes âgées ne chantent plus non plus  Cependant, ce faisant, elles perdent le souvenir de morceaux autrefois connus. La communication est absente, et la mémoire n'est donc plus rafraîchie. Il manque un retour d'information, qui résulte de la communication avec un public. Le savoir de ceux qui connaissent des choses se décompose donc de plus en plus, les connaissances deviennent de plus en plus incomplètes. C'est pourquoi, au cours des enregistrements, le souvenir laborieux et souvent vague, et, les nombreux fragments de chansons qui sont mis en lumière : – sont autant de signes trop évidents de la déchéance de la tradition.

 

Il manque aussi aujourd'hui le fameux « loisir pastoral », qui encourageait à écrire de la poésie. Nous pensons aux heures, aux jours, aux semaines que le berger passait seul dans les montagnes, où il ne rencontrait qu'occasionnellement quelques amis avec lesquels il chantait. Nous pensons au muletier qui errait pendant des heures sur des chemins étroits et sauvages dans la solitude de la montagne. Ici, la poésie s'est développée comme par magie à partir de l'expérience et de l'observation de la nature, de la pensée aux amis et aux événements récents, des souvenirs et de la réflexion. Dans de telles situations, la théorie du « loisir pastoral » se confirme sans aucun doute, ce qui, associé à une vie d'errance plus aventureuse, fait des bergers et des peuples pastoraux les porteurs d'une poésie vivante et développée et d'une poésie narrative épique.

 

Et puis, au milieu de cette image de déchéance, existe une apparition comme la vieille aveugle Pompilia Brancaleoni à Poghju di Nazza. Elle vit pour elle-même. Certes, elle a des amis, mais elle est souvent seule et suit ensuite le cours de ses pensées et de ses souvenirs. Par ailleurs,  elle a beaucoup chanté dans le village quand elle était enfant et jeune fille, – comme disent les autres d’elle. Peut-être chante-t-elle encore beaucoup de vieilles chansons en secret : elle n'a aucun mal à s'en souvenir !

 

Dans certains endroits où nous avons reçu des informations négatives, les répondants ne sont simplement pas en mesure de savoir ce que telle ou telle personne parmi eux sait et est capable de faire, simplement parce que la personne en question ne chante plus en public.

 

Dans l'ensemble, la Corse peut être considérée comme un exemple frappant de la façon dont la perte de fonction des chants traditionnels peut les anéantir et dont les divertissements automatisés (radio, télévision) peuvent détruire en peu de temps la communication interpersonnelle et la créativité artistique. En effet, et contrairement à ce qui s’est passé ailleurs, un changement de fonction et un accomplissement des formes traditionnelles par des contenus actuels, ne se sont pas produits en Corse – ici, seul le silence s'est installé, et ce qui reste encore audible, en dehors de ce qui est tout à fait étranger, ce sont les créations de la chanson corse moderne, faisant partie de la production d'une industrie du divertissement superficielle, sans contenu et impersonnelle.

 

Dans ce contexte, il faut également mentionner l'émigration, qui a conduit un grand nombre de Corses à évoluer dans un environnement très différent. Ils se sentent transformés, et cela se voit en eux, et leurs enfants grandissent de façon non-corse et n'apprennent souvent plus à parler la langue corse, encore moins à la chanter. Ce qui reste de la patrie pour les Corses du continent représente, comme déjà décrit, un paradis de vacances romantiques avec une maison de vacances dans le village de leurs parents et avec des « chants du pays natal » francisés. Dans les quartiers populaires des grandes villes corses se produit cependant la dépersonnalisation sociale et psychologique qu'un tel environnement entraîne inévitablement.

 

En 1887, Paul Bourde a déclaré (cité dans Xavier Tomasi 1932 : 10)

 

« Les Corses qui sont fermés aux sentiments des beaux-arts ont en revanche au plus haut degré, le don de poésie. Je ne crois pas qu’il y ait eu un autre peuple en Europe chez lequel la pensée s’exprime ainsi spontanément dans les formes rythmées ».

 

Déjà en 1932, Xavier Tomasi (1.c. 10) écrivait cependant au sujet des chansons, qu’il l enregistrait lui-même dans les villages corses :

 

« Les ancêtres sont morts depuis longtemps, les vieux n’ont plus que de vagues souvenirs, et les jeunes encore moins ».

 

Dans ce monde où les formes de vie extérieures sont de plus en plus nivelées globalement, le besoin d'un sentiment d'identité se fait soudain sentir ici et là –  apparemment pas toujours dans un contexte politique –. Cela s'est exprimé non seulement dans le nationalisme culturel de certains pays non européens, mais aussi sous une forme inattendue chez certaines minorités ethniques des pays européens (Bretons, Basques, Catalans, en outre), ainsi que chez les Corses. La négligence économique de ces régions et semblables joue un certain rôle, mais « l'autonomie » qui constitue au moins un enjeu pour le groupe régionaliste corse est toujours présentée comme essentiellement culturelle.Toutefois, le surcroît de difficultés de cette autonomie posé par le centralisme émanant de Paris est considéré comme une oppression politique. En quoi consiste cependant concrètement l'autonomie culturelle, sinon peut-être au droit d'utiliser sa propre langue chez soi, droit qui n'a pratiquement jamais été remis en cause et qui a tout au plus été abandonné par les Corses eux-mêmes ? Le droit, peut-être, d'utiliser cette langue dans les écoles, les bureaux, les journaux et la littérature - ce qui ne pouvait qu'intéresser sérieusement les quelques Corses restés sur l'île ? En dehors de l'île, leur langue et leur littérature restaient méconnues.

 

Quel que soit l'objectif, parmi les plus jeunes membres des groupes régionaux, le chant en paghjelle prenait manifestement de l'ampleur ici et là : paghjella comme un chant corse originaire dont le contenu ne doit pas nécessairement être lié à des temps et des conditions dépassés. Partout où j'ai entendu des jeunes chanter en paghjelle dans la Castagniccia, à Orezza, au Fiumaltu et même à Aiacciu (en collaboration avec un jeune homme de Sermanu : le fils de notre violoniste Félix Guelfucci), le style a été simplifié, les ornements réduits et stéréotypés et le tout figé dans un cliché rigide. En outre, les paroles n'étaient pas du tout nouvelles et leur contenu n'était pas opportun.

 

Si  les lamenti di banditi, les voceri et autres chants plus anciens - grâce à leurs riches qualités poétiques, leur contenu dramatique et leur nature corse originelle - pouvaient connaître une revitalisation similaire « pas encore complètement éteints », comme les ballades d'Irlande, d'Écosse et des États-Unis ou le chant folklorique italien, espagnol et latino-américain. Et si éventuellement par un changement social similaire, nous supposions que des groupes d'étudiants les cultiveraient en grande partie et, de là, les renverraient dans des cercles plus larges ? Si les anciennes formes –  et parmi celles-ci, surtout les motifs mélodiques traditionnellement utilisés pour l'improvisation poétique – comme dans les pays mentionnés, mais aussi dans certains pays hors d'Europe, étaient remplies de contenus nouveaux et actuels et conduisaient ainsi à une utilisation très vivante ? Si les chants de l'abbé Filippi signifiaient la fin d'une tradition ou un nouveau départ ? –  Si les racines du chant corse sont complètement flétries comme notre propre chant allemand, la décennie à venir en montrera probablement déjà les signes.  

 


      Son livre m'était encore inconnu en 1958. En 1973, j'avais avec moi une  liste des noms de ses répondants. En fonction de leur âge, il n'aurait pas été impossible de rencontrer certaines de ces personnes.

      Il convient de rappeler que je ne suis généralement pas venu en tant que parfait étranger et inconnu et que lorsque c'était le cas, j'étais généralement accompagné d'une personne serviable.

      Le contenu de la chanson "Bartulumeay fait justement allusion (voir n° 167).

         Les produits industriels moins chers arrivèrent  les premiers en Corse depuis le continent par le biais du commerce, pénalisant l'économie locale.

     La bassa de paghjelle est actuellement et généralement chantée par Paul "Bébé" Mariani, l'"artiste" du village (il peint et crée des sculptures à partir de pierres naturelles). Mariani chante également la basse dans le chœur de l'église. Il chante avec une voix de bel canto pleine, complètement « anti corse », sans doute trop volumineuse pour la paghjella. En Corse, j’ai rencontré  seulement encore une fois quelqu’un possédant  une telle voix : le poète Jean-André CulioliDe plus, chaque homme aspire à chanter la voix ténor, une caractéristique que les Corses semblent partager avec les autres peuples méditerranéens.

     Parmi les quelques violonistes qui étaient encore en vie dans les années 50, la plupart sont morts : Jean-Vitus Grimaldi de Petra-di-Verde, Jean Marcellesi de Carbini, Pierre Rocchi (le père du célèbre chanteur de disques Charles Rocchi ) de Rusiu et Don Mathieu Giacometti de Sermanu. Parmi ceux-ci, je n'ai pu documenter Giacometti qu'en 1958.

        Où je ne pouvais pas me  rendre en 1958

     Leurs paghjelle seront mentionnées dans le deuxième tome de l'ouvrage.

          Le fait que nous cherchions surtout des pièces qui n'avaient pas encore été documentées n'a pas facilité la tâche des informateurs. D'autre part, nous voulions bien sûr connaître les chansons locales en plus du matériel généralement connu.

     Markus Römer pense que je n’ai vraiment pas eu de chance à Cuzzà et Auddè à cause de l'élection. Il a trouvé les gens - après les difficultés initiales - plus coopératifs.

     À chaque voyage, de nombreux chants de ce type avaient été enregistrés et se répétaient. Ils sont également disponibles sur les registres

         NDT : Catinchi (Polyphonies Corses, 1999, p.123, lamenti et voceri) «  le voceru, quasiment impossible à capter en

         direct, peut cependant, repris en remémoration, atteindre une intensité dramatique exceptionnel »

     Tout cela est familier à chaque chercheur « in situ » de par sa propre expérience et ne peut vraiment pas le surprendre. En fait, il serait inconcevable et déraisonnable que les gens s'adaptent complètement, ainsi que leur routine quotidienne, au chercheur « in situ ». Mais lors de mes courtes visites en tant que personne pas vraiment  inconnue, j’aurais pu espérer une coopération quelque peu meilleure.

      Tout cela est visible dans la situation habituelle du chercheur « in situ », qui est obligé  de perdre du temps et de l'argent pour  apporter les résultats chez lui. Je n'ai guère besoin de m'étendre sur le caractère douteux et insatisfaisant d'une telle procédure. Aujourd'hui, les chercheurs « in situ »  n'ont souvent pas d'autre choix que d'effectuer des travaux dans des circonstances totalement inadaptées ou de s'abstenir totalement de faire de telles recherches.

      Et l'ethnologue devrait considérer comme un devoir de renvoyer le matériel sur lequel il a travaillé à son lieu d'origine après sa publication.

     Les deux violonistes de Sermano jouent pour le plaisir. Maria Leandri et Isabelle Lucchini ont également chanté, sans doute par joie, mais aussi inspirées par l'ambition et le désir de produire.

       En raison des rencontres avec les étrangers et les personnes étrangères lors des migrations, et en raison des coutumes de vol de bétail, de querelles et de vengeance sanglante, qui sont souvent liées au pastoralisme. Wilhelm Radloffavec ses recueils de poésie sibérienne sur les bergers épiques, a érigé un énorme monument.

      Voir à ce sujet WLaade"New Music in Africa, Asia and Oceania". Heidelberg 1971.

        Lit. s. Guy Heraud , L’Europe des Ethnies, Réalités du Présent, vol.3, Paris 1963, Yves Person (ed.) ; Minorités

            Nationales en France, Les Temps Modernes, vol. 29(324-326), août-sept.1973 ; voir aussi  Disque chez  Chant du Monde

     Les objectifs des différents groupes d'autonomistes ne sont bien sûr pas tout à fait identiques, et les changements économiques et sociaux ne jouent naturellement pas un petit rôle dans leurs programmes.

                    NdT : Le fils de Félix se nomme Petru Guelfucci

         Markus Römer n'est pas d'accord avec ces observations. Avec les jeunes d'Ajaccio, il a réalisé des paghjelle et les chants polyphoniques de l'église ont été enregistrés, ce qui lui a semblé être un style assez authentique. Ce serait avant tout grâce au jeune Guelfucci (NdT : de prénom Petru), qui a maîtrisé la véritable paghjella style de Sermanu et l'a transmis à d'autres. Bien sûr, je dois supposer que mon impression personnelle, qui ne repose pas seulement sur le.groupe ajaccien, a été déclenchée par des observations concrètes. On peut certainement se demander dans quelle mesure ces observations - qui dépendent bien sûr de la coïncidence - étaient représentatives. Quoi qu'il en soit, mes remarques et la contradiction de Römer pourraient inciter à étudier un éventuel changement du style traditionnel dans les circonstances actuelles et dans un environnement urbain.

     Les événements et circonstances chantés dans les lamenti et voceri (conflits familiaux, meurtres et vendetta) semblent cependant encore trop proches de certains Corses et font penser à des choses inquiétantes, que l'on préférerait voir passées et oubliées. Cela m'a parfois été dit de manière très directe.

     Dans un tel usage vivant, j'ai trouvé en Tunisie que les formes traditionnelles de poésie et de chant, qui sont utilisées par les  poètes du village ont été à maintes reprises remplies de textes opportuns. En Grèce, des chansons de klephtes ont survécu pendant des siècles - et au moins jusqu'à la Seconde Guerre mondiale - moyen d'expression de la résistance politique. En Sicile et  aujourd'hui, dans le sud de l'Italie, la catastorie (NdT : sicilienne) utilise encore d'anciennes formes de récits chantés pour raconter des histoires qui ne se limitent pas au meurtre, à la vengeance sanglante  et aux bandits, mais aussi aux autres événements de la journée. Ce ne sont là que quLE CHANT TRADITIONNEL CORSE

 

ETHNOGRAPHIE ET HISTOIRE-GENRES ET STYLE

 

Volume 1 Questions Ethnographiques et Historiques

 

La situation musicale 1973

 

Lors de la recherche des chants traditionnels corses existant toujours sur l'île en 1973, il m'a traversé plus d’une fois l’esprit que le moment où je déciderais de ce que je ferais avec le micro serait similaire à ce que montre une dernière photo avant un enterrement, avant la disparition définitive de ce monde. Inévitablement, les sentiments de regret se mêleraient à la prise de conscience que cette disparition ne pouvait être qu’inéluctable

 

Le fait est que de telles pensées s’expliquent par les expériences vécues lors de mon dernier voyage, qui, au moins en partie, ont été relatées dans les notes de mon journal. Certaines parmi d’autres devraient éclaircir la situation.

 

Les anciens chanteurs et poètes, que j’ai connus et enregistrés en 1958 sont presque tous décédés, tout comme ceux que Edith Southwell-Colucci a enregistrés dans les années 1920.

 

NIOLU (séjour de cinq jours). À Calacuccia, le propriétaire de l'hôtel et les membres de la famille Leca (que je connais depuis 1956) me font savoir qu’il n’est plus possible de trouver de poètes-improvisateurs possédant une réelle inspiration. De plus personne ne compose plus de chants électoraux ; ils sont à présent remplacés par des discours. À Lozzi, je m’adresse à deux hommes âgés dans une rue du village. Ils me répondent : «  Tout est terminé, aujourd’hui, plus personne ne connaît de chants traditionnels ». Les personnes susceptibles de les connaître ou éventuellement de les écrire  – et ils me citent un nom  –  sont toutes décédées. Un vieux berger que nous rencontrons derrière le village nous répète la même chose. À Calasima : nous recevons une information similaire. Un homme là-bas serait soi-disant capable de chanter, mais il est fortement enroué. Je revisite Casamaccioli, où, en 1956, j'avais accompli mon travail principal. Le poète berger Ours- Jean Luciani vit maintenant avec sa famille à Bastia ; il y travaille dans une usine. Deux autres chanteurs de cette époque sont morts. Un des plus jeunes de ce temps là  – le boulanger drôle : Michel Galeazzi – vit également à Bastia. Le maire, Jacques Luciani, est absorbé par les prochaines élections, – bien que je lui aie annoncé notre visite par lettre quelques semaines auparavant – il refuse tout d'abord toute conversation. Cependant, lorsque j’ai l’occasion de le voir et de lui demander s’il connaît quelqu’un capable d’interpréter des chants anciens, il répond : « Non, c'est complètement fini ». Dans ce cas précis, cela pourrait bien sûr aussi signifier : « Laissez-moi tranquille avec votre demande et allez-vous en ». Et d'autres personnes ne me donnent pas non plus de meilleures  informations.

 

Janine Leca, qui a chanté quelques chansons en 1956 et 1958 et qui m’a aidé à trouver d'autres chants, est mariée en France continentale, mais se trouve à ce moment-là en vacances chez elle. Elle nous emmène en voiture à Corscia, où elle a de la famille. Il s’agit un village isolé, ou plutôt de deux villages fusionnés, qui constituait un point de rencontre pour les traditions du Niolu. Nous sommes  informés encore une fois de plus que tous ceux qui connaissaient les chants traditionnels sont morts. Et on nous cite également des noms, que plus personne ne connaît aujourd'hui.

 

Janine commente : cette situation ne serait pas étonnante, il est normal que les chants traditionnels disparaissent. Les anciens vivaient ce qu'ils chantaient. Les chants avaient donc une signification pour eux. Pour la jeune génération ils ne signifient -  et ne peuvent signifier – plus rien, car le mode de vie a fondamentalement changé. Je réplique que les chants traditionnels peuvent encore avoir une signification pour les personnes âgées vivant dans cet environnement qui a changé. En effet, même si elles ne « vivent » plus dans ce monde décrit dans les chants, le contenu des chants peut leur évoquer des souvenirs. C’est la raison pour laquelle nous pourrions nous attendre à ce que les personnes âgées se souviennent également de ces chants. Mon argumentation n'a toutefois pas abouti. Selon toute source littéraire, le Niolu, une province corse, peuplée de bergers, pleine de traditions vivantes, n'a pas permis un seul enregistrement ; déjà en 1956, en comparaison avec la Castagniccia visitée plus tard, il paraissait musicalement pauvre.

 

L'étonnante perte de tradition dans cette région peuplée de bergers, particulièrement imprégnée de la vie traditionnelle, nécessite une explication. Le Niolu constitue une région considérablement isolée en raison de sa situation géographique, une vallée entourée de hautes parois montagneuses, où les hivers sont habituellement particulièrement rigoureux. En hiver, les bergers se déplaçaient avec leurs troupeaux vers la côte de Filosorma, entre le golfe de Portu et celui de Galeria, tandis que les femmes restaient chez elles dans les villages de montagne et, pendant les longs mois d'hiver, produisaient le tissu brun célèbre et recherché dans toute l'île et les lins (Robiquet 1835:40). Les familles vivaient donc séparément pendant la moitié de l'année.  L'isolement conduit à ce «|…] qu’une vie archaïque a pu s'y maintenir pendant le XIXe siècle et, pratiquement, ne commencer à se désagréger qu'à partir de la fin de la première guerre mondiale » ... (Blasini 1971-72 : 62). Malgré la vie difficile de cette population, elle n'y était jamais dans le besoin réel au Niolu : «  Chaque famille possédait un troupeau de chèvres ou de moutons, ce qui lui permettait de fumer les pièces les parcelles de terre où l'on cultivait blé et seigle. La production était ainsi suffisante pour la consommation. La vie était assurée" (Blanchard 1913, cité dans Blasini, 1. c. 62). La population a considérablement augmenté durant la première moitié du XIXe siècle, puis plus lentement, mais n'a pas diminué. Blasini identifie dans la collision soudaine et brutale de ce mode de vie « archaïque » avec la culture industrielle et urbaine du continent la véritable raison de son effondrement. L'ouverture de la région a pratiquement commencé avec la construction de la route de Caluccia via Evisa à Portu (1865) et de la route de Calacuccia à Ponte Leccia (achevée en 1892). Cependant, c’est l'automobile qui a mené pendant environ un demi-siècle à une communication plus intense avec l'environnement. Surtout, la Première Guerre mondiale a fait sortir les hommes en grand nombre de leur isolement pour les amener sur le continent, où ils ont été confrontés au mode de vie continental. Blasini (1971-72 : 66) écrit à ce sujet :

 

« Ce contact brutal d’une vie archaïque avec la vie d’une métropole riche, à l’industrie, à l’agriculture et au commerce évolués, devait fatalement enlever tout espoir d’adaptation progressive, et finalement détruire, sans le remplacer, l’équilibre socio-économique qui s’était établi. Seul l’élevage, (quoiqu’en régression) a pu se maintenir. Même sans se moderniser, car cette activité procurait des revenus encore acceptables, et c’est la seule qui pouvait encore être pratiquée.

« La guerre de 14-18 opéra une coupe sombre parmi la population active, et mit en contact direct de nombreux jeunes avec le continent.

« La tendance à aller chercher ailleurs des emplois plus rentables, et plus faciles se développa, surtout avec le succès des études ; la garde du troupeau familial était laissée à ceux des enfants n’ayant pu trouver d’autres voies. Le cheptel, seul reste de l’activité passée, à néanmoins diminué de près de moitié depuis une vingtaine d’années, malgré l’avantage certain du débouché que procure la Société de Roquefort.

Cet exodeet les pertes de la guerre ont entraîné en outre un vieillissement de la population, une élévation de l’âge moyen, et donc, également une diminution du taux de natalité. Nous verrons ci-dessous que l’examen des pyramides des âges confirme la date de début de la décadence de la région que, d’après ce qui précède, nous situons aux années qui ont suivi la première guerre mondiale. »

 

Nous rencontrons à nouveau la Première Guerre mondiale comme le moment et la cause de changements aussi profonds, comme le moment du contact décisif avec la culture continentale moderne. Si celles-ci ont exercé une influence encore plus durable sur la culture du Niolu isolée, que dans d’autres régions, cela peut s’expliquer par le fait que les personnes âgées ont déclaré à plusieurs reprises avoir entendu par le passé des chants polyphoniques – paghjelle et des chants d’église, – des currente au violon et des chants de battage, bien qu'aucune trace de ceux-ci n'ait été retrouvée, ni en 1956, ni en 1973.

 

CASTAGNICCIA (séjour de 7 jours). La province de Castagniccia possède une importante  réputation dans toute l'île en tant que centre des traditions musicales du terroir. Et les villages de Rusiu et Sermanu sont ceux à qui est attribuée une aura très particulière en matière de richesse musicale et de qualité de leurs chanteurs.

 

Sermanu doit sa réputation musicale encore aujourd'hui à plusieurs raisons réelles : le fait que les habitants y chantaient, tout comme avant, des paghjelle et qu’il est encore l'un des rares endroits où la messe est célébrée « en paghjelle ». Cela vaut, depuis un certain temps, a valu au groupe de chanteurs d'être invités par les églises d'autres villages où la messe de paghjelle est soudain appréciée comme quelque chose de spécial ; le fait est que l’on peut encore rencontrer des violonistes de type traditionnel ; le fait que les activités musicales à Sermanu aient donné naissance au groupe folklorique « Mannella », un groupe folklorique de l'intérieur de la Corse, qui opère à Corti (son dirigeant, Jacques Luciani, est de Sermanu). Dans le groupe jouent également deux violonistes, encore vivants, François Turchini et Félix Guelfucci. Tous en étaient déjà membres en 1958Les deux hommes jouent encore occasionnellement ensemble pour les bals, les soirées dansantes ou les divertissements lors de festivités publiques ou privées. Chacun d'eux a un élève : Turchini, enseigne à la jeune épouse française du facteur français de Sermanu; Guelfucci, vivant maintenant à Ajaccio où il travaille comme facteur, enseigne au jeune Evisan en ville. Tous deux apprennent –  sans notes à l’appui – à ces jeunes gens à jouer des danses traditionnelles de manière traditionnelle. Félix Guelfucci, qui rentre toujours au village tous les week-ends, m'a demandé une copie de tous les enregistrements que j'avais réalisés avec Don Mathieu Giacometti en 1958, afin qu'il puisse apprendre et transmettre tous ces morceaux de violon : même enfant, il écoutait les vieux violonistes de Sermanu. Comme dans tous les autres villages, les hommes (les personnes âgées, par ailleurs tous des retraités) se réunissaient au café du village, où ils passaient jour et nuit à discuter et à jouer. À l’époque, les enregistrements constituaient un travail pour moi, pour eux un changement et un divertissement. Aujourd'hui, les cafés de Sermanu et des autres villages sont vides, ou bien seules une ou deux personnes y boivent un pastis, ou sont assises ensemble à une table pour jouer aux cartes.

 

 À Rusiu, des hommes âgés et jeunes chantaient les paghjelle avec une légèreté frappante qui consiste à exécuter le chant haut et pressé sans cet effort visible que l’on remarque ailleurs et sans la main à l'oreille. Cependant, ces chanteurs de Rusiu ont été enregistrés des dizaines de fois sur cassette, la BBC de Londres est venue sur place, et la radio française y a effectué des enregistrements télévisés. Pour les hommes de Rusiu, les enregistrements sonores ne signifient rien de spécial.

 

CASINCA. A Venzulasca, en 1958, j'ai pu réaliser de très beaux enregistrements de chants profanes et religieux. De fins chants de battage (tribbiere) et des paghjelle ont été enregistrées. Il faut y ajouter les Lodi (Laudes), que j’ai découvertes la première fois à cet endroit. Toutefois, cette fois-ci, les habitants me font comprendre que des chanteurs connaissant ces airs traditionnels sont introuvables dans le village, sauf ceux qui chantent à l'église, mais qui ne connaissent pas de morceaux profanes.

 

FIUMALTU. Pour la première fois, je visite Tagliu-Isulacciu, où vit la famille Bernardini qui sait chanter des paghjelle, et dont j'ai entendu dire des choses merveilleuses en divers endroits.

 

Le journaliste français Maurice Bitterqui voyage dans le monde entier avec un micro et édite ensuite des disques mal réalisés et accompagnés de pauvres commentaires, a récemment enregistré ici des paghjelle (disque BAM LD 5788), Ce ne sont toutefois pas les Bernardinimais d'autres hommes qui ont chanté pour lui.

 

Mon ami, Philippe de Mari, n'a pas réussi à réunir un groupe de trois hommes, car dans toute la ville, il existe de bonnes voix aiguës – l’homme aimant chanter la voix ténor –  mais pas de basse. C’est pourquoi, dans la famille Bernardini, le père se charge de chanter la voix basse, bien qu'il soit habitué à chanter une voix haute de paghjelle. Mon ami de Mari possède également une voix aiguë, mais comme décrit, il chante pour la même raison parfois la voix basse (au moment de notre visite, il n’était pas du tout en mesure de chanter, à cause d’une extinction de voix). Ce qui rendait difficile le fait de réunir un trio vocal peut également s’expliquer par des divisions politiques dans le village, tout le monde n'étant pas prêt à chanter avec tout le monde. Notre ami a réussi à convaincre une femme âgée. Elle a chanté une complainte après l'autre, mais toutes sur la même mélodie. Les hommes qui n'étaient pas amis avec de Mari et les Bernardini ou qui avaient une orientation politique différente se sont révélés inaccessibles. Ainsi, il reste surtout les enregistrements réalisés avec les Bernardini.

 

VERDE. Dans tout Verde, le travail est particulièrement difficile à réaliser. Lorsque les personnes âgées ne prétendent rien savoir, elles invoquent la « fatigue », la maladie, les mauvaises voix, pour ne pas être obligées de chanter. Un visiteur du continent et d’origine corse organise une séance d'enregistrement le premier soir à Chjatra. Deux femmes âgées et un vieil homme viennent chanter : les trois personnes du village, les seules qui sont aptes à interpréter les chants. Lors de la réunion préliminaire, un seul morceau a été jugé approprié pour l'enregistrement car cet air n'avait auparavant pas été enregistré. La rencontre donne lieu à trois autres chansons. Toutefois, du dernier, le texte n’est pas connu en entier. Le lendemain, Dominique Grimaldi nous accompagne de maison en maison dans le petit village et demande à presque tous ses proches de chanter individuellement. Sa propre mère, une autre femme âgée et sa cousine, particulièrement douée pour le chant (mais dont le répertoire me semble peu intéressant), chantent chacune un ou deux morceaux. Dans la ville voisine de Petra-di-Verde, nous rendons visite à Madame Bangala, ouverte d'esprit et compréhensive. Elle a écrit des poèmes et a été une collaboratrice de "U Muntese". Elle m’explique que les habitants ne chantent plus de chants traditionnels, car ils ne signifient plus rien pour personne et de plus il manque les occasions pour le faire. En outre, il existe peu de possibilités de communiquer. Tout ceci expliquerait pourquoi les chants connus autrefois sont oubliés et qu’il n’en reste qu’une connaissance fragmentaire, d’où le fait de se rappeler des paroles nécessite un effort.

 

FIUMORBU. A Poghju di Nazza, nous attend une surprise considérable. L'homme, qui nous avait été indiqué, chante bien à l'église dans le meilleur des cas, mais il ne connaît pas de chants profanes traditionnels. Il nous conduit à Pompilia Brancaleonil'aveugle qui a beaucoup chanté dans sa jeunesse. La septuagénaire, souvent seule avec elle-même à penser au temps passé, chante pas moins de treize morceaux particulièrement longs, anciens, créés au village, et qui m’étaient  totalement inconnus.

 

Je possède une adresse de contact à Ghisoni. Cependant, l'homme en question ne chante qu'à l'église et ne connaît pas de chants profanes traditionnels. Dans toute la ville, il ne se trouve personne connaissant des chants traditionnels. Le même jour, je continue ma route via Zicavu (où des nouvelles négatives m’attendent) jusqu'à Cuzzà, où j'espère rencontrer deux vieux amis et chanteurs, rencontrés en 1958 et qui, à l’époque, étaient encore jeunes, Noël Spadoni et Martin QuilichiniSpadoni vit maintenant à Auddè, où il travaille à la poste. Quilichini est particulièrement grincheux et peu coopératif. Non seulement il ne veut pas chanter, mais il ne souhaite pas non plus m’aider à trouver des contacts avec d'autres personnes. Comme d'habitude, les renseignements recueillis restent les mêmes : nous ne trouvons personne et rien, des faits confirmés par les hommes présents. Il s’agit du jour des élections. Nous n’entendons plus les chants entonnés habituellement à cette occasion. Les hommes se tiennent par groupes sur la place du village et dans les rues et discutent. En un tel jour, Quilichini et ses compatriotes ne peuvent probablement pas penser à autre chose qu’à la politique. Cependant,  même le lendemain et le jour d'après, celui-ci reste aussi inaccessible et grincheux qu’auparavant. L'indifférence et l'apathie totales sont particulièrement perceptibles ici.

 

Dans Auddè, à la poste, je trouve Noël Spadoni bien occupé. Pendant la journée Il travaille et la nuit, il est introuvable. Lui – qui aimait tellement chanter autrefois  – me dit, qu’il ne chante plus. Isabelle Lucchinien revanche, se produit avec  plus de zèle. Elle tient une épicerie à Auddè, tandis que son mari occupe un autre emploi. Elle sait qu'elle chante bien et elle jouit d’une bonne réputation dans la région. Elle aime évidemment se produire –  les enregistrements sont réalisés dans le hall de l'hôtel devant un public restreint –  et elle rêve encore de chanter –  si l’occasion s’y prête – pour réaliser un disque. Elle écrit ses chansons elle-même. Son « U Paisolu » est une chanson sentimentale relatant les souvenirs de jeunesse de son village natal, louant le pays de son enfance. Celle-ci est basée sur des modèles modernes, de qualité moyenne, avec une mélodie larmoyante. Toutefois, cette chanson est populaire parmi les jeunes d'Auddè. Elle est déterminée à en faire un disque à succès.

 

SUD. Nous arrivons à Quenza avec une recommandation. Le « bon chanteur » que nous devrions rencontrer, ne connaît que des chansons modernes. Jean-Pierre Milanini, lui-même auteur de nombreux poèmes, nous accueille et nous conduit vers différentes personnes et familles du village, chez lesquelles il présume une connaissance des chants traditionnels. Il a apparemment saisi le but de notre travail (il fait donc figure de remarquable exception). Après de nombreuses vaines tentatives, nous effectuons des enregistrements avec un homme âgé qui connaît les chansons d'un poète satirique décédé de Serra. Ils sont drôles et constituent un véritable enrichissement. Milanini veut nous conduire le lendemain matin avec sa voiture –  comme Janine Leca au Niolu – vers d'autres villages pour y chercher des gens qui pourraient  convenir pour notre travail.

 

Nous arrivons d'abord à Surbuddà. La femme à qui Milanini avait pensé, nous renvoie vers Ninino Mondoloni à Santa Lucia di Taddà. Cet homme prétend ne connaître aucun chant et nous dirige vers un certain Marengo à Livia. Ce dernier n'est pas chez lui, il se trouve dans la plaine de Figari, où il aide à récolter les raisins dans les jardins d'un dentiste. Non seulement Marengo est indisponible, mais il ne connaît pas non plus de chants traditionnels. Ensuite, nous rendons visite à plusieurs femmes âgées de la famille de Milanini à Sotta et ses environs, dont nous supposons qu'elles connaissent des chants traditionnels. Nous restons sur la route toute la journée jusqu'à la tombée de la nuit. Un seul fragment de voceru est mis au jour.

 

À Portivechju, Antoine Filippiprofesseur à la retraite, nous chante quelques lamentations dont il a écrit les textes.

 

À plusieurs reprises mon attention a été attirée par Maria Leandri à Prupià. Je peux la rencontrer avec Tino Codaccioni  au « Café de la Marine ». Le chant de Maria Leandri est exquis avec l'accompagnement de Tino à la guitare. Elle a  travaillé pour la radio dans le cadre des émissions et programmes corses. Cependant, elle ne connaît pas de chants traditionnels, sauf ceux connus par tout le monde. Elle est fière de sa voix et de certaines aptitudes vocales (ornements, longues notes finales). Elle aimerait se faire enregistrer sur un disque pour « beaucoup d'argent », un souhait qu’elle partage avec Isabella Lucchini à Auddè. De plus, comme elle, se contenter de pouvoir chanter spectaculairement bien ne lui suffit plus : toutes deux souhaitent se produire devant un public et gagner de l'argent avec.

 

Nous avons souvent entendu parler de « bons chanteurs » qui, d’après à ce que nous avons pu entendre, chantaient effectivement très bien, mais dont le répertoire se limitait à des morceaux connus et modernes (« Coco »Tiberini à Poghju di Nazza, Dédé Foata à Quenza, Mathilda Colonna à U Spidali, Maria Leandri à Prupià, Charles Nicoli et Lucien Giordani à Bastia). Ainsi, aujourd'hui, pour juger les chanteurs, nous nous  laissons guider par la sélection des bonnes voix entendues à la radio, à la télévision et dans des disques. Cependant, cela fait longtemps que je ne demande plus à être mis en relation avec des chanteurs, afin d’éviter d’être orientée vers des stars en vogue d’Aiacciu et se produisant sur disques ou vers des chanteurs du genre chanteurs de variété ou autres, mais vers des personnes âgées connaissant des chants traditionnels.

 

Pour le reste, les vains efforts se poursuivent jusqu'au bout en vain : à Sartè, j’entends que « ici, il n'y a personne qui connaisse les chants anciens », et il en est de même à Ulmetu, où la commune de Pitretu m’est déconseillée, car y aller n'en vaudrait pas la peine. La visite de Vicu est également infructueuse. Ici, je ne mentionne que quelques étapes importantes du voyage afin de caractériser la situation.

D'autre part, cette fois-ci, comme en 1958, nous avons en main des recommandations pour d'autres endroits où – selon les dires – du matériel traditionnel devrait toujours exister. Cette fois-ci, cependant, ces recommandations sont moins fondées. À Rusiu, Orezza et Cervioni, par exemple, on nous a recommandé de visiter Pietra-di-Verde, mais l'effort est vain. À Cjiatra di-Verde et Poghju di Nazza, des habitants me parlent de la « région derrière le Col di Verde » avec Cuzzà et Palleca. Dans le  Fiumorbu et le Taravu, nous sommes dirigés vers le Niolu. Toutefois, dans tous ces endroits recommandés – à l'exception de la Castagniccia avec Rusiu et Sermanu, déjà mentionnée à plusieurs reprises – nous ne trouvons rien. Parmi les lieux recommandés, seuls les villages d’Alisgiani, de Moita et de Matra, proches les uns des autres ne sont pas visités. Car en 1958, nous avions déjà travaillé dans les villages voisins (Zalana, Pianellu).

 

Là, où il reste possible de trouver des chanteurs, il devient toutefois difficile de conclure des accords contraignants avec eux et de planifier fermement des rencontres.

 

SERMANU : Le jour de l’arrivée, les deux violonistes jouent le soir, ravis de mon retour après tant d'années. Il est impossible d’enregistrer des chants : la salle des fêtes du village, dans laquelle le maire nous a accueillis, pose des problèmes acoustiques dus à une résonance trop importante. Pendant la brève discussion autour de ce problème, l'un des trois chanteurs de paghjelle présents perd l’envie de chanter et disparaît. Nous ne le revoyons pas non plus dans les jours qui suivent. L’enregistrement est renvoyé au lendemain, et ce jour là, nous le décalons au soir et il doit finalement avoir lieu dans la maison du facteur. En réalité, cette réunion musicale du soir se révèle être une fête d'adieu à l’intention de la belle-sœur du facteur, qui, en raison de la fin de ses congés, rentre le lendemain en France continentale. Pendant le week-end, les jeunes en visite à Sermanu et le plus jeune des deux violonistes, Felix Guelfucci, divertissent les personnes présentes avec de la musique : ils chantent une paghjella, quelques chants traditionnels bien connus, mais surtout des chansons modernes accompagnées de guitares et de mandoline. Guelfucci joue au violon quelques morceaux, que j'ai enregistrés à plusieurs reprises, en 1958 et la veille de la fête. Les enregistrements sonores n’ont pas pu être effectués à cause du bruit des invités et du programme musical peu intéressant et ils sont reportés au lendemain, dimanche, avant et après la messe. Comme la fête est longue, nous nous levons trop tard le lendemain, c’est-à-dire le dimanche. Les chanteurs de Sermanu partent accompagnés de visiteurs étrangers à midi pour chanter la messe "en paghjella" à Antisanti, à l’extérieur de la ville, dans l'après-midi. Je n'avais pas soupçonné ce déplacement jusqu'alors. Ils ne reviennent qu'après minuit ; ils ont été invités à dîner et ont ensuite passé la soirée à Antisanti, à chanter et à boire. En conséquence, le lundi matin, aussi, le réveil est difficile et  tardif. Les enregistrements ont finalement lieu le lundi soir : notre  poursuite du voyage ainsi été reportée trois fois, afin de pouvoir réaliser ces quelques enregistrements dont nous espérions  quelque chose. Qui sait, peut-être ne  trouverons-nous  pas du tout de chanteurs dans la ville voisine ?

 

RUSIU. Deux enterrements dans le voisinage, le jour de l'arrivée. Tous les hommes s’y trouvent là et rentrent tard. Le lendemain matin, nous effectuons des enregistrements avec le poète Michel Frederici. Les autres chanteurs vaquent à leurs occupations pendant la journée, viennent me voir avant le dîner et chantent de merveilleuses paghjelle. Ils veulent revenir après le dîner. Personne ne vient. Au lieu de cela, tous les hommes sont assis sur la place du village et discutent à propos de la chasse qui doit se dérouler le lendemain : il s’agit en effet de la saison de la chasse. La discussion dure jusqu'à minuit environ, après quoi plus rien n'est possible. Rendez-vous est pris pour le lendemain soir à 18 heures. Le lendemain matin, un autre enterrement a lieu dans le voisinage. À midi, presque tous les hommes, y compris les chanteurs de paghjelle, partent à la chasse et reviennent à 19h30 avec un sanglier abattu. Ils s'assoient au café du village et racontent ce qu’il s’est passé pendant la chasse. Le sanglier est dépouillé par un homme et éviscéré pour le partager ; tous les chasseurs sont là. Ensuite, ils se retrouvent au café du village pour une nouvelle discussion sur la journée de chasse autour d'un pastis. Peu avant 21 heures, on va dîner avec la promesse de venir chanter ensuite. Les enregistrements se font vers 22 heures : car nous partons le lendemain matin.

 

À Tagliu Isulacciu, nous parcourons le village avec notre ami Philippe de Mari et cherchons des chanteurs. Nous obtenons plusieurs accords verbaux. Après que tout est bien arrangé, rien ne se  passe. Notre ami avait pris plusieurs rendez-vous à notre insu et les avait fixés à différents endroits, – aurions-nous laissé passer quelque chose ? Nous ne le saurons jamais. Quoi qu'il en soit, nous réalisons finalement les enregistrements susmentionnés  avec les Bemardini et une femme âgée.

 

Pas une seule fois nous n’avons été informés de tout changement de date. Pas un mot n'a été prononcé par la suite. Nous avons dû constamment deviner et nous demander ce qui se passait réellement. Ainsi il était impossible de planifier d’une manière précise, car les rendez-vous n’ont jamais été tenus avec précision et presque chaque jour, l'imprévu a bouleversé tous les plans.

 

Le travail sur place et dans de telles circonstances serait difficilement concevable aujourd'hui. Le changement des conditions exige une adaptation, une façon différente de travailler lorsqu’il s’agit de documenter des investigations musicales, à savoir : être mobile, se déplacer en voiture, afin de pouvoir atteindre les endroits les plus petits et les plus éloignés, rencontrer les personnes individuellement, et ne pas perdre son temps inutilement en restant ou en attendant dans des endroits improductifs.

 

Toutefois, il semble nécessaire de mentionner un autre aspect. À Guagnu : Jean-Toussaint Polinous a été recommandé plusieurs fois dans le village, car il connaît certains chants. Nous ne le trouvons pas chez lui, mais son frère promet de venir avec lui le soir à notre hôtel. Personne ne se montre. Lorsque je rencontre Jean-Toussaint le lendemain, il se rétracte : « Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que veux-tu de moi ? Je ne sais pas chanter ! » Quand je lui explique que j’attends un autre homme qui veut chanter, il est surpris : « C'est vrai ? »   Cette fois-ci, il vient avec moi. Après que l'autre a chanté un morceau peu intéressant, connu, avec beaucoup de pathos et tout à fait faux, Jean-Toussaint se met à chanter, lui aussi. À ce moment-là, nous nous rendons compte qu'il connait bien des choses intéressantes et qu'il se souvient aussi sans difficulté des nombreux vers des morceaux. Qui sait dans combien de cas des résultats similaires auraient été possibles, si les circonstances avaient été plus favorables et si la chance avait été avec nous. Je suis convaincu que parfois, ce n'est pas la méconnaissance, mais que ce sont la timidité, le manque d'habitude et d’envie qui empêchent les gens de chanter.

 

En résumé, on peut dire ce qui suit. Il a été impossible en Corse en 1973 - mais aussi en 1956 et 1958 - de trouver ne serait-ce qu'une personne, qui comprend notre travail et qui est intéressée à transmettre des informations, semblable à ce qui s’est passé avec mes meilleurs informateurs sur les îles du détroit de Torres, tout comme les vieux Aborigènes en Australie du Nord face à l'effritement de leur culture traditionnelle. Ils ont consciemment saisi l'occasion de transmettre des connaissances sur des traditions qui n'intéressaient pas leur propre jeunesse à l'époque. La préservation de ce savoir permettrait toutefois aux générations futures de connaître ces traditions, si un jour l'intérêt s'éveillait à nouveau. Dans de tels cas, se servir d’un ethnologue dans un but précis,, n’est que justifiable. Cependant, comme je l'ai dit, de tout cela, il n’existait pratiquement pas de trace en Corse en 1973. En effet, ils chantaient et jouaient de la musique, du moins s’ils acceptaient, principalement pour me faire plaisir, rarement pour le plaisir de le faire, chose qui était encore très présente en 1958.

 

Du reste, chanter à la demande de quelqu'un ne semble plus être considéré comme un plaisir et un divertissement, mais plutôt comme un travail à accomplir dont le sens et le but – s’ils ne sont pas commerciaux - restent incompris, et que la personne n’a pas envie d’effectuer. Le désintérêt se double alors rapidement d'un manque de volonté. Ce n'est que pendant les semaines de vacances que les gens sont comme transformés. Quand les parents et les amis de France continentale sont présent, ils chantent ensemble pour le plaisir, – et bien sûr, des morceaux généralement connus –  surtout modernes.

 

Pour les mêmes raisons, des discussions comme celles que j'ai eues si souvent avec la vieille Aniba à Saibai, avec Elisala à Dauan, avec Marau et Deila à Murray Island (détroit de Torres) ou avec Billy Daniels et ses amis sur la péninsule de Cape York (nord-est de l'Australie) sont ici presque impossibles.

 

Autre observation : aujourd’hui, en présence d’un intermédiaire adéquat, il semble plus facile d’inciter les femmes âgées à chanter. En 1958, elles étaient plutôt timides et  laissaient les hommes chanter en leur soufflant les paroles.

 

Encore plus étonnant : lors de ce nouveau voyage, j'ai entendu dire, qu’aujourd’hui  les gens ne chantent plus de chants provocateurs, comme les plaintes de bandits, qui contiennent toujours le thème des conflits familiaux, ni les chants de propagande électorale provocants. Ils souhaitaient éviter d’offenser.

 

Il est certain que tous les phénomènes décrits ne sont pas inhabituels. Pourtant, le choc ressenti lorsqu’une île de chanteurs, de poètes et de poétesses –  et ce n'est pas exagéré – perd soudainement son potentiel créatif de façon si radicale, devient si culturellement stérile, ne devrait pas être surprendre.

 

La perte des chants s'explique par la perte de leur fonction : disparition de l'ancienne méthode de battage, disparition de l'ancienne forme de lamentation, de la vendetta et du banditisme. En raison de cette perte de fonction, et, après la disparition de certaines coutumes et traditions, les chants ne signifient plus rien, surtout pour la jeune génération.

 

Pour les personnes âgées, en 1958, les chants traditionnels signifiaient au moins souvenir, édification par le chant et joie par la beauté des textes. Depuis que les villages ont été désertés et que les distractions par le biais de la télévision –  et pour le berger se trouvant dehors par celui de la radio transistor ont remplacé les rencontres dans le café du village – les personnes âgées ne chantent plus non plus  Cependant, ce faisant, elles perdent le souvenir de morceaux autrefois connus. La communication est absente, et la mémoire n'est donc plus rafraîchie. Il manque un retour d'information, qui résulte de la communication avec un public. Le savoir de ceux qui connaissent des choses se décompose donc de plus en plus, les connaissances deviennent de plus en plus incomplètes. C'est pourquoi, au cours des enregistrements, le souvenir laborieux et souvent vague, et, les nombreux fragments de chansons qui sont mis en lumière : – sont autant de signes trop évidents de la déchéance de la tradition.

 

Il manque aussi aujourd'hui le fameux « loisir pastoral », qui encourageait à écrire de la poésie. Nous pensons aux heures, aux jours, aux semaines que le berger passait seul dans les montagnes, où il ne rencontrait qu'occasionnellement quelques amis avec lesquels il chantait. Nous pensons au muletier qui errait pendant des heures sur des chemins étroits et sauvages dans la solitude de la montagne. Ici, la poésie s'est développée comme par magie à partir de l'expérience et de l'observation de la nature, de la pensée aux amis et aux événements récents, des souvenirs et de la réflexion. Dans de telles situations, la théorie du « loisir pastoral » se confirme sans aucun doute, ce qui, associé à une vie d'errance plus aventureuse, fait des bergers et des peuples pastoraux les porteurs d'une poésie vivante et développée et d'une poésie narrative épique.

 

Et puis, au milieu de cette image de déchéance, existe une apparition comme la vieille aveugle Pompilia Brancaleoni à Poghju di Nazza. Elle vit pour elle-même. Certes, elle a des amis, mais elle est souvent seule et suit ensuite le cours de ses pensées et de ses souvenirs. Par ailleurs,  elle a beaucoup chanté dans le village quand elle était enfant et jeune fille, – comme disent les autres d’elle. Peut-être chante-t-elle encore beaucoup de vieilles chansons en secret : elle n'a aucun mal à s'en souvenir !

 

Dans certains endroits où nous avons reçu des informations négatives, les répondants ne sont simplement pas en mesure de savoir ce que telle ou telle personne parmi eux sait et est capable de faire, simplement parce que la personne en question ne chante plus en public.

 

Dans l'ensemble, la Corse peut être considérée comme un exemple frappant de la façon dont la perte de fonction des chants traditionnels peut les anéantir et dont les divertissements automatisés (radio, télévision) peuvent détruire en peu de temps la communication interpersonnelle et la créativité artistique. En effet, et contrairement à ce qui s’est passé ailleurs, un changement de fonction et un accomplissement des formes traditionnelles par des contenus actuels, ne se sont pas produits en Corse – ici, seul le silence s'est installé, et ce qui reste encore audible, en dehors de ce qui est tout à fait étranger, ce sont les créations de la chanson corse moderne, faisant partie de la production d'une industrie du divertissement superficielle, sans contenu et impersonnelle.

 

Dans ce contexte, il faut également mentionner l'émigration, qui a conduit un grand nombre de Corses à évoluer dans un environnement très différent. Ils se sentent transformés, et cela se voit en eux, et leurs enfants grandissent de façon non-corse et n'apprennent souvent plus à parler la langue corse, encore moins à la chanter. Ce qui reste de la patrie pour les Corses du continent représente, comme déjà décrit, un paradis de vacances romantiques avec une maison de vacances dans le village de leurs parents et avec des « chants du pays natal » francisés. Dans les quartiers populaires des grandes villes corses se produit cependant la dépersonnalisation sociale et psychologique qu'un tel environnement entraîne inévitablement.

 

En 1887, Paul Bourde a déclaré (cité dans Xavier Tomasi 1932 : 10)

 

« Les Corses qui sont fermés aux sentiments des beaux-arts ont en revanche au plus haut degré, le don de poésie. Je ne crois pas qu’il y ait eu un autre peuple en Europe chez lequel la pensée s’exprime ainsi spontanément dans les formes rythmées ».

 

Déjà en 1932, Xavier Tomasi (1.c. 10) écrivait cependant au sujet des chansons, qu’il l enregistrait lui-même dans les villages corses :

 

« Les ancêtres sont morts depuis longtemps, les vieux n’ont plus que de vagues souvenirs, et les jeunes encore moins ».

 

Dans ce monde où les formes de vie extérieures sont de plus en plus nivelées globalement, le besoin d'un sentiment d'identité se fait soudain sentir ici et là –  apparemment pas toujours dans un contexte politique –. Cela s'est exprimé non seulement dans le nationalisme culturel de certains pays non européens, mais aussi sous une forme inattendue chez certaines minorités ethniques des pays européens (Bretons, Basques, Catalans, en outre), ainsi que chez les Corses. La négligence économique de ces régions et semblables joue un certain rôle, mais « l'autonomie » qui constitue au moins un enjeu pour le groupe régionaliste corse est toujours présentée comme essentiellement culturelle.Toutefois, le surcroît de difficultés de cette autonomie posé par le centralisme émanant de Paris est considéré comme une oppression politique. En quoi consiste cependant concrètement l'autonomie culturelle, sinon peut-être au droit d'utiliser sa propre langue chez soi, droit qui n'a pratiquement jamais été remis en cause et qui a tout au plus été abandonné par les Corses eux-mêmes ? Le droit, peut-être, d'utiliser cette langue dans les écoles, les bureaux, les journaux et la littérature - ce qui ne pouvait qu'intéresser sérieusement les quelques Corses restés sur l'île ? En dehors de l'île, leur langue et leur littérature restaient méconnues.

 

Quel que soit l'objectif, parmi les plus jeunes membres des groupes régionaux, le chant en paghjelle prenait manifestement de l'ampleur ici et là : paghjella comme un chant corse originaire dont le contenu ne doit pas nécessairement être lié à des temps et des conditions dépassés. Partout où j'ai entendu des jeunes chanter en paghjelle dans la Castagniccia, à Orezza, au Fiumaltu et même à Aiacciu (en collaboration avec un jeune homme de Sermanu : le fils de notre violoniste Félix Guelfucci), le style a été simplifié, les ornements réduits et stéréotypés et le tout figé dans un cliché rigide. En outre, les paroles n'étaient pas du tout nouvelles et leur contenu n'était pas opportun.

 

Si  les lamenti di banditi, les voceri et autres chants plus anciens - grâce à leurs riches qualités poétiques, leur contenu dramatique et leur nature corse originelle - pouvaient connaître une revitalisation similaire « pas encore complètement éteints », comme les ballades d'Irlande, d'Écosse et des États-Unis ou le chant folklorique italien, espagnol et latino-américain. Et si éventuellement par un changement social similaire, nous supposions que des groupes d'étudiants les cultiveraient en grande partie et, de là, les renverraient dans des cercles plus larges ? Si les anciennes formes –  et parmi celles-ci, surtout les motifs mélodiques traditionnellement utilisés pour l'improvisation poétique – comme dans les pays mentionnés, mais aussi dans certains pays hors d'Europe, étaient remplies de contenus nouveaux et actuels et conduisaient ainsi à une utilisation très vivante ? Si les chants de l'abbé Filippi signifiaient la fin d'une tradition ou un nouveau départ ? –  Si les racines du chant corse sont complètement flétries comme notre propre chant allemand, la décennie à venir en montrera probablement déjà les signes.  

 


      Son livre m'était encore inconnu en 1958. En 1973, j'avais avec moi une  liste des noms de ses répondants. En fonction de leur âge, il n'aurait pas été impossible de rencontrer certaines de ces personnes.

      Il convient de rappeler que je ne suis généralement pas venu en tant que parfait étranger et inconnu et que lorsque c'était le cas, j'étais généralement accompagné d'une personne serviable.

      Le contenu de la chanson "Bartulumeay fait justement allusion (voir n° 167).

         Les produits industriels moins chers arrivèrent  les premiers en Corse depuis le continent par le biais du commerce, pénalisant l'économie locale.

     La bassa de paghjelle est actuellement et généralement chantée par Paul "Bébé" Mariani, l'"artiste" du village (il peint et crée des sculptures à partir de pierres naturelles). Mariani chante également la basse dans le chœur de l'église. Il chante avec une voix de bel canto pleine, complètement « anti corse », sans doute trop volumineuse pour la paghjella. En Corse, j’ai rencontré  seulement encore une fois quelqu’un possédant  une telle voix : le poète Jean-André CulioliDe plus, chaque homme aspire à chanter la voix ténor, une caractéristique que les Corses semblent partager avec les autres peuples méditerranéens.

     Parmi les quelques violonistes qui étaient encore en vie dans les années 50, la plupart sont morts : Jean-Vitus Grimaldi de Petra-di-Verde, Jean Marcellesi de Carbini, Pierre Rocchi (le père du célèbre chanteur de disques Charles Rocchi ) de Rusiu et Don Mathieu Giacometti de Sermanu. Parmi ceux-ci, je n'ai pu documenter Giacometti qu'en 1958.

        Où je ne pouvais pas me  rendre en 1958

     Leurs paghjelle seront mentionnées dans le deuxième tome de l'ouvrage.

          Le fait que nous cherchions surtout des pièces qui n'avaient pas encore été documentées n'a pas facilité la tâche des informateurs. D'autre part, nous voulions bien sûr connaître les chansons locales en plus du matériel généralement connu.

     Markus Römer pense que je n’ai vraiment pas eu de chance à Cuzzà et Auddè à cause de l'élection. Il a trouvé les gens - après les difficultés initiales - plus coopératifs.

     À chaque voyage, de nombreux chants de ce type avaient été enregistrés et se répétaient. Ils sont également disponibles sur les registres

         NDT : Catinchi (Polyphonies Corses, 1999, p.123, lamenti et voceri) «  le voceru, quasiment impossible à capter en

         direct, peut cependant, repris en remémoration, atteindre une intensité dramatique exceptionnel »

     Tout cela est familier à chaque chercheur « in situ » de par sa propre expérience et ne peut vraiment pas le surprendre. En fait, il serait inconcevable et déraisonnable que les gens s'adaptent complètement, ainsi que leur routine quotidienne, au chercheur « in situ ». Mais lors de mes courtes visites en tant que personne pas vraiment  inconnue, j’aurais pu espérer une coopération quelque peu meilleure.

      Tout cela est visible dans la situation habituelle du chercheur « in situ », qui est obligé  de perdre du temps et de l'argent pour  apporter les résultats chez lui. Je n'ai guère besoin de m'étendre sur le caractère douteux et insatisfaisant d'une telle procédure. Aujourd'hui, les chercheurs « in situ »  n'ont souvent pas d'autre choix que d'effectuer des travaux dans des circonstances totalement inadaptées ou de s'abstenir totalement de faire de telles recherches.

      Et l'ethnologue devrait considérer comme un devoir de renvoyer le matériel sur lequel il a travaillé à son lieu d'origine après sa publication.

     Les deux violonistes de Sermano jouent pour le plaisir. Maria Leandri et Isabelle Lucchini ont également chanté, sans doute par joie, mais aussi inspirées par l'ambition et le désir de produire.

       En raison des rencontres avec les étrangers et les personnes étrangères lors des migrations, et en raison des coutumes de vol de bétail, de querelles et de vengeance sanglante, qui sont souvent liées au pastoralisme. Wilhelm Radloffavec ses recueils de poésie sibérienne sur les bergers épiques, a érigé un énorme monument.

      Voir à ce sujet WLaade"New Music in Africa, Asia and Oceania". Heidelberg 1971.

        Lit. s. Guy Heraud , L’Europe des Ethnies, Réalités du Présent, vol.3, Paris 1963, Yves Person (ed.) ; Minorités

            Nationales en France, Les Temps Modernes, vol. 29(324-326), août-sept.1973 ; voir aussi  Disque chez  Chant du Monde

     Les objectifs des différents groupes d'autonomistes ne sont bien sûr pas tout à fait identiques, et les changements économiques et sociaux ne jouent naturellement pas un petit rôle dans leurs programmes.

                    NdT : Le fils de Félix se nomme Petru Guelfucci

         Markus Römer n'est pas d'accord avec ces observations. Avec les jeunes d'Ajaccio, il a réalisé des paghjelle et les chants polyphoniques de l'église ont été enregistrés, ce qui lui a semblé être un style assez authentique. Ce serait avant tout grâce au jeune Guelfucci (NdT : de prénom Petru), qui a maîtrisé la véritable paghjella style de Sermanu et l'a transmis à d'autres. Bien sûr, je dois supposer que mon impression personnelle, qui ne repose pas seulement sur le.groupe ajaccien, a été déclenchée par des observations concrètes. On peut certainement se demander dans quelle mesure ces observations - qui dépendent bien sûr de la coïncidence - étaient représentatives. Quoi qu'il en soit, mes remarques et la contradiction de Römer pourraient inciter à étudier un éventuel changement du style traditionnel dans les circonstances actuelles et dans un environnement urbain.

     Les événements et circonstances chantés dans les lamenti et voceri (conflits familiaux, meurtres et vendetta) semblent cependant encore trop proches de certains Corses et font penser à des choses inquiétantes, que l'on préférerait voir passées et oubliées. Cela m'a parfois été dit de manière très directe.

     Dans un tel usage vivant, j'ai trouvé en Tunisie que les formes traditionnelles de poésie et de chant, qui sont utilisées par les  poètes du village ont été à maintes reprises remplies de textes opportuns. En Grèce, des chansons de klephtes ont survécu pendant des siècles - et au moins jusqu'à la Seconde Guerre mondiale - moyen d'expression de la résistance politique. En Sicile et  aujourd'hui, dans le sud de l'Italie, la catastorie (NdT : sicilienne) utilise encore d'anciennes formes de récits chantés pour raconter des histoires qui ne se limitent pas au meurtre, à la vengeance sanglante  et aux bandits, mais aussi aux autres événements de la journée. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d'autres  existants