«Vers l'autonomie, pour une évolution institutionnelle de la Corse », Wanda Mastor "

Wanda Mastor : " L'autonomie législative est la seule qui vaille "

 Propos recueillis par Julian Mattei

Corse-Matin - Publié le: 20 mars 2022 à 18:00 Dans: Politique

 

*« Vers l'autonomie, pour une évolution institutionnelle de la Corse », Wanda Mastor, éditions Albiana, 257 pages, 18 euros.*
 

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Auteure du rapport sur l'évolution institutionnelle de l'île remis en octobre 2021 à l'exécutif nationaliste, la professeure de droit public vient tout juste de publier un essai sur l'autonomie aux éditions Albiana*. Un livre qui éclaire le débat à l'heure des annonces

L'exécutif nationaliste revendique un statut d'autonomie de "plein droit et de plein exercice". Concrètement, qu'est-ce que cela signifie pour la juriste que vous êtes ?

La seule autonomie qui vaille est l'autonomie législative : la capacité pour la Collectivité de Corse d'adopter ses propres lois. Autonomie n'est donc pas seulement décentralisation poussée. Cette dernière est revendiquée par l'unanimité des collectivités territoriales françaises.

La Corse, de par son histoire et surtout les dernières élections territoriales, mérite un traitement différent. Sans même parler des spécificités historiques, géographiques et culturelles, l'argument démocratique des urnes est irréfutable. La voix des urnes a porté au pouvoir une liste qui a fait de l'autonomie le cœur de son programme. Il ressort des entretiens que j'ai menés dans le cadre de mon rapport sur l'autonomie, non une confusion, mais des interprétations "à géométrie variable" du concept.

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C'est-à-dire ?

J'ai essayé d'éclaircir le débat en expliquant qu'en droit constitutionnel comparé, l'autonomie signifiait la possibilité pour une région d'adopter ses lois directement, dans un certain nombre de domaines. Ce qui se traduit, dans les discours de la majorité territoriale, par "l'autonomie de plein droit et de plein exercice". Mais il faut prendre garde à distinguer l'autonomie d'une "certaine" autonomie qui renvoie, en réalité, à un certain degré de décentralisation.

Le ministre Gérald Darmanin a évoqué, parmi d'autres possibilités, un statut " à la polynésienne. " À quoi cela pourrait-il correspondre pour la Corse ?

La Polynésie française jouit d'un statut d'autonomie depuis 2004. Il faut commencer par préciser qu'il ne s'agit pas d'une autonomie comme celle que j'ai définie plus haut, pour laquelle je plaide juridiquement dans mes travaux en m'inspirant des pays voisins - l'Italie, l'Espagne, le Portugal. Autonome, l'archipel ultramarin l'est du point de vue de ses compétences.

La Polynésie jouit par exemple d'une autonomie fiscale, ce qui correspond à l'une des revendications de la majorité territoriale corse : le droit de fixer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Ce qui, en principe, ne relève que du Parlement français.

La Polynésie a également des compétences en matière de préférence locale pour l'emploi, et d'accession à la propriété. Deux autres éléments que l'on retrouve au cœur des revendications nationalistes corses. Mais il faut néanmoins préciser que le " peuple " polynésien n'est juridiquement pas reconnu - la Constitution parle des " populations d'outre-mer " - pas plus que la langue polynésienne.

Le ministre de l'Intérieur a également fait référence à l'éventualité d'un autre type de statut. En l'état actuel, quelle formule pourrait répondre aux aspirations des nationalistes ?

L'unique formule qui répond aux aspirations de la majorité territoriale est l'autonomie législative, assortie de la reconnaissance du peuple et de la langue corses. Ceci n'est sans doute ni dans l'esprit du ministre de l'Intérieur, ni sur la table des négociations.

Élargir le domaine de compétences de la Collectivité et offrir à cette dernière les outils juridiques correspondants pour les exercer est peut-être une autre piste que proposera le gouvernement. Mais alors, il faut préciser qu'il ne s'agit en rien d'une autonomie : seulement d'une décentralisation plus forte. Ce qui, comme je le disais précédemment, renvoie aux expressions " plus " d'autonomie ou autonomie "poussée."

*« Vers l'autonomie, pour une évolution institutionnelle de la Corse », Wanda Mastor, éditions Albiana, 257 pages, 18 euros. -

Quel que soit le type d'autonomie envisagé, ces évolutions nécessiteront-elles une révision constitutionnelle ?

Tout dépend de l'option choisie. Si le gouvernement ne propose qu'une décentralisation plus poussée, une loi ordinaire suffit. Si, en revanche, un statut d'autonomie est proposé, que ce soit un alignement sur la Polynésie ou une " vraie " autonomie législative - à mon avis absolument pas à l'ordre du jour - la Constitution doit être révisée.

Il faut dans ce cas que la Corse " sorte " de la catégorie des collectivités territoriales de droit commun. Même si elle jouissait déjà d'un statut de Collectivité à statut particulier, mais en compagnie... de la métropole de Lyon. On peut toujours imaginer l'adoption d'une loi organique, c'est-à-dire une loi qui complète la Constitution, et qui offrirait à la Corse un nouveau statut, sans passer par la révision de la Constitution. Mais ce serait constitutionnellement une erreur, et rendrait le titre de la Constitution relatif aux collectivités territoriales, qui est déjà complexe, totalement incompréhensible.

Ce n'est pas la première fois qu'un candidat en campagne envisage de réformer la Constitution. En pratique, ces promesses ont-elles souvent été honorées ?

Chaque président de la République française a eu " sa " révision constitutionnelle. C'est pratiquement une sorte de tradition. Ce n'est pas uniquement une question de tenir ses promesses, mais aussi d'avoir les moyens politiques de les concrétiser. Il faut pouvoir compter sur une majorité forte.

Celui qui nourrit encore des regrets sur cette question, notamment concernant la Corse, est François Hollande. Il l'avait d'ailleurs précisé lors d'un discours devant l'Assemblée de Corse. C'est la raison pour laquelle un nouveau président élu ne doit pas seulement pouvoir compter sur une simple majorité parlementaire, mais sur une majorité renforcée - les 3/5e. Car sans elle, aucune révision constitutionnelle n'est possible.

En 2017, Emmanuel Macron s'était déjà engagé à modifier la Constitution dans le cadre de la réforme des institutions. L'affaire Benalla et le blocage du Sénat ont mis un terme à ce processus. Sans majorité acquise au Parlement, aura-t-il seulement les moyens de le faire ?

Aucun président de la République ne peut engager une révision de la Constitution s'il ne jouit pas d'une majorité parlementaire qualifiée, et donc, de l'appui du Sénat. S'ajoute à cela un autre problème, totalement indépendant de toutes les volontés politiques : les "incidents" qui font passer une modification de la Constitution au second plan. L'affaire Benalla, la crise sanitaire, et à présent la guerre en Europe...

D'aucuns, dont le maire d'Ajaccio, Laurent Marcangeli, considèrent qu'il faudrait que les Corses soient consultés. Que prévoit la Constitution de ce point de vue ?

Selon le maire d'Ajaccio, l'importance de la question d'un nouveau statut rend légitime un référendum. Mais la Constitution ne le rend pas obligatoire. Il ne s'agit que d'une évolution d'un statut, pas d'une cession d'un territoire, laquelle rendrait obligatoire le "consentement des populations intéressées" selon les termes de la Constitution. Mais la Constitution ne l'interdit pas non plus, la chose est politiquement et juridiquement possible.

Dans leurs revendications, les élus nationalistes ont reçu le soutien de l'Association des régions de France. N'est-ce pas aussi parce que la Corse a souvent servi de laboratoire au mouvement plus général de décentralisation ?

Absolument. C'est l'un des points sur lesquels j'ai insisté dans mes travaux, et qui explique les excellents liens que j'ai avec les juristes de l'Association des régions de France, et de plusieurs présidents de régions. La Corse sert déjà, et peut continuer de servir à être un modèle, une chef de file, et entraîner dans son sillon d'autres évolutions.

Les souverainistes parlent, à propos d'un éventuel nouveau statut de la Corse, de "l'ouverture de la boîte de Pandore". Je parle au contraire d'une décongestion salvatrice du pouvoir central, de prise en compte des richesses territoriales et non de leur négation. Indivisibilité n'est pas uniformité et la République française doit, au contraire, se nourrir de sa diversité plutôt que de continuer à la nier.

Au cours des dernières années, les nationalistes n'ont pas forcément enregistré de grandes réussites dans l'exercice des compétences déjà dévolues à la Collectivité de Corse. On le dit souvent à propos des déchets ou des transports. Dans ce contexte, n'est-il pas prématuré de pousser plus loin l'évolution statutaire ?

On peut aussi voir les choses de manière plus positive. Comme je l'ai écrit dans mon rapport, la voie de l'autonomie doit nous obliger à faire des efforts d'amélioration, notamment pour ce qui concerne les agences et offices. Mais d'un autre côté, si l'autonomie est possible, c'est aussi parce que la Collectivité est prête à la recevoir, institutionnellement et matériellement parlant.

Institutionnellement, car elle est dotée d'une architecture unique sans équivalent en métropole : une assemblée, un président du conseil exécutif, et des conseillers exécutifs qui sont les prémices de ce que pourrait être un gouvernement local.

Matériellement, il ne faut pas oublier l'historique de l'évolution de la Corse, depuis les lois de décentralisation de 1982. Même si beaucoup les estiment insuffisantes, de nombreuses compétences ont été progressivement transférées à la Corse.  Malheureusement, sans vrai pouvoir normatif, la Collectivité ne peut pas les exercer pleinement.

Vers l'autonomie

 L'approche des élections présidentielles, les événements actuels en Corse mais aussi en Guadeloupe, le livre blanc de l'association des régions, les aspirations d'une société insulaire exprimées majoritairement dans les urnes font de la "question de l'autonomie" un sujet central du débat démocratique dans l'île et au-delà. Mais cette autonomie de la Corse est-elle seulement compatible avec la constitution française ?

 

Vers l’autonomie
Pour une évolution institutionnelle de la Corse
Wanda Mastor

L'autonomie est au menu des débats démocratiques en Corse depuis le début du XXe siècle. La question posée avec une acuité particulière depuis l'arrivée des nationalistes au pouvoir de l'assemblée de Corse achoppe notamment aujourd'hui sur sa "faisabilité juridique".

Le Rapport Mastor (2021), publié ici dans son intégralité et augmenté, revient sur la question constitutionnelle au cœur de ce questionnement pour en déterminer les éventuelles hypothèses de réalisation.
Il donne la parole à un grand nombre de dirigeants politiques de l'île et d'ailleurs qui éclairent le débat de points de vue parfois inattendus

 4e de couverture

 

La question de l'autonomie taraude la Corse depuis plus d’un siècle. Il n’est pas de période politique qui n’ait soulevé la question à sa façon… Les arguments partisans n’ont jamais manqué et ont conduit, au fil d’une histoire mouvementée que chacun connaît, aux modifications institutionnelles successives qui font la Corse d’aujourd’hui (bidépartementalisation, premier statut Defferre et statut Joxe notamment).

Depuis 2017, le nationalisme est devenu majoritaire dans l’île suite à une succession de victoires électorales qui conduisent à nouveau la classe politique tout entière à reconsidérer ce « vieux » débat de l’autonomie : est-il justifié ? de quoi parle-t-on ? qu’y mettre ? jusqu’où aller ?...

La question posée dans le présent ouvrage est plus simple et plus précise : est-elle seulement possible juridiquement parlant ?

L’auteure, professeure de droit constitutionnel à Toulouse, fut chargée en 2021 d’éclairer à ce propos la collectivité de Corse – à la demande de son président de l’exécutif – et de proposer éventuellement des pistes réalistes de concrétisation.

Le rapport de mission rendu en décembre de la même année met en perspective trois axes principaux de réflexion : tout d’abord, l’amélioration du fonctionnement des institutions existantes, déjà largement décentralisées ; ensuite, la question de la pertinence du sujet face au droit constitutionnel français (réformisme constitutionnel, jurisprudence et analyse comparative avec les autres îles de Méditerranée) ; enfin, le recueil des avis de différentes personnalités politiques insulaires (tous bords confondus) et d’ailleurs.

Il constitue en cela un élément fondamental du débat démocratique en cours et prend place d’ores et déjà comme un jalon important de l’histoire institutionnelle de l’île. C’est la raison pour laquelle le Rapport Wanda Mastor est porté aujourd’hui à la connaissance du public le plus large, sous la forme d’un ouvrage de référence.