Le Saint

traduzzione Maria Anghjula

Le Saint (traduzzione Maria Anghjula)

« Joue avec les bambins mais ne plaisante pas avec les Saints ! »

 

Quoi qu’il en soit, il est brisé ! Eclatée cette nuit à l’improviste, lorsque les adultes dormaient et les jeunes faisaient les quatre cent coups, la tempête s’est arrêtée au dessus de la vallée plantée d’arbres et brunie par la canicule. L’endroit lui a plu, elle a voulu s’y arrêter et c’est alors qu’elle fit retentir des foudres et des tonnerres sur les maisons et la région taries à cause de la sécheresse. Il était temps qu’arrive cette petite vague de fraîcheur : la canicule, la foule (musculeghju : image d’une foule pareille à une nuée de mouches), le boucan des voitures et le chahut des jeunes gens noctambules avaient semé la panique. Le désordre s’est un peu calmé cette nuit car la perturbation se trouvait plutôt dans le ciel que sur les places. Pendant ce temps, les toits inclinés se laissaient bercer par le chant (nanna : berceuse) des gouttes de pluie paisibles caressant les tuiles, elles glissent sur leur dos arrondi et bondissent jusque sur la terre trempée qui les absorbe à peine arrivées. Il était temps qu’il pleuve enfin !

Telle est la pensée du saint dans l’église, entrouvrant les yeux vers l’aube trempée qui s’infiltre par les vitraux multicolores. Lui en tout cas est très content : c’est sa fête aujourd’hui, ils vont la célébrer. Ses collègues, les autres saints, vont le regarder avec envie : puisque eux ne sont pas concernés . Ils n’iront pas en procession de nuit sur le brancard autour du village ; ils n’auront droit ni au chants, ni aux bougies, ni aux baisers, ni aux fleurs, ni aux prières. Eux, ce sont des petits saints, tandis que le Saint… Et il le sait lui, le sournois, qui ne fait jamais de commentaires : sa fête lui suffit puisque l’église met tout le monde sur le même plan… mais derrière lui. Aujourd’hui il sera le seul à son montrer, lui seul en a le droit. De plus, nous sommes en août, au moment où le village est rempli. Pour la Vierge, il y avait trois pelés et un tondu ; pour Sainte Lucie, il faut écarquiller les yeux pour apercevoir quelqu’un : pas même le Saint de la montagne, là haut dans sa chapelle, ne mobilise autant de monde que le Saint Patron à la fin de l’été. En plus même le Seigneur lui vient en aide : une belle ablution la nuit pour que la journée se passe au mieux. Le saint est un vrai pacha, on peut même dire le chouchou de la Sainte Famille. Les autres se réveillent petit à petit : lorsqu’ils comprennent ce que la nuit vient d’offrir, ils ne peuvent s’en empêcher et à tous leur échappe en même temps : « Il a plu exprès, le Seigneur ne pense qu’à lui, nous autres ne sommes que des vieux souliers. Il est certain que  maintenant toutes les maisons doivent être ouvertes alors ça ne pourra être qu’un grand spectacle. Nous autres, l’automne comme l’hiver, nous restons entre nous, nous avons de la peine à trouver des fidèles. » (circà cù u ruspulone : chercher avec la fourche à châtaignes) 

Même Jeanne d’arc voulait s’immiscer dans la conversation mais personne ne la laisse respirer : dès qu’elle ouvre la bouche, ils la regardent de travers et la mitraillent du regard (sttilitate : coup de stilet). Ils l’appellent la Pinzuta, depuis qu’elle est venue s’installer avec son épée et son drapeau dans tous les villages de l’île, imposée par un certain évêque qui portait les armes autant que la croix. Voyant que personne n’a envie de l’écouter, elle reste muette et doublement envieuse : du saint, qui ne se prend pas pour n’importe qui, de cette langue que parlent les collègues mais qu’ils n’ont jamais voulu lui traduire. Elle a demandé de l’aide au Saint des Saints en lui expliquant qu’elle voulait connaître l’idiome local mais la plus haute intercession ne fut respectée : tous les saints fâchés, qu’ils soient hommes ou femmes, dirent au Seigneur que personne ne leur avait demandé leur avis concernant l’étrangère, si elle pouvait rester ou partir. Ils voulaient donc la mettre de côté jusqu’à la fin des temps et c’est pourquoi ils l’avaient appelé la Pinzuta. Donc, aussi discrète et muette qu’elle fut,  ils en avaient assez avec ce Saint plein d’orgueil et de prétention qui prenait un peu plus d’ampleur tous les ans.

L’église s’embaume des parfums des bouquets apportés par les femmes. Ce sont elles les patrons : de l’entretient, du ménage, des fleurs dans les petits vases, de la cire sur les bancs, du produit passé sur les statues pour qu’elles resplendissent. Les femmes, mais pas toutes, celles du Parti, c’est à dire celui qui détient le pouvoir sur les lieux : villages, primes, marchés publics (enfin, le peu qu’il y a…), concours variés et fêtes diverses. L’église lui appartient, en dehors du chant : pour cela on accepte les contreparties car l’hiver la solitude fait que l’on a besoin d’accueillir les voix ; cependant, pour l’essentiel, peu en détiennent le savoir-faire. Les produits qu’on passe sur le saint lui donne mal à la tête, et le chiffon qui le frotte le chatouille. Il a envie de se gratter et d’éternuer mais les autres, qui l’épient, n’attendent que cela, qu’il faille comme n’importe quel humain. Mais non, il ne leur fera pas ce plaisir là, encore moins à la Pinzuta : le poste qu’il occupe lui demande de faire preuve de discernement en plus de son orgueil. Aujourd’hui il se doit de supporter tournis et vertiges puisque il s’agit de faire bonne figure. Les femmes vont et viennent, chacune son occupation : l’église ressemble à un bijou.

Le piévan satisfait se frotte les mains. C’est un véritable jour de splendeur ! Les gens rassemblés et les richesses de l’église nettoyées et exposées, les chants à tue-tête et un buffet assuré chez le premier adjoint. Quelle belle journée en prévision ! Surtout qu’après la messe sera révélée l’annonce du maire : ils vont commencer la construction d’un camp de vacances, à un kilomètre seulement du village, sur une châtaigneraie appartenant au territoire communal. Le curé se caresse le menton, le président directeur général de la société qui construit le camp a offert plusieurs millions pour restaurer le toit de l’église, sans compter les énormes bouquets de fleurs qui embaument l’air. Cet homme important venu du continent est vraiment une manne de Dieu ! Le début des travaux et les dons financiers seront annoncés à la mairie, à l’heure de l’apéritif, après la messe. L’abondance de tant d’argent, après tant d’années de manque ne fait de mal à personne, n’est ce pas ? Le Saint n’est est pas moins fier : fête patronale, adulation de sa personne, argent à foison au profit de l’église. Que soit remercié le Seigneur qui ordonne un si bel événement. Les autres saints grincent des dents et le Seigneur observe du haut de sa croix.

Dehors, le soleil entame son ascension vers le ciel. Les châtaigniers secouent l’eau qui reste de l’averse sur eux, les chênes verts et les chênes blancs boivent les dernières gouttes qui gisent sur leur feuilles. Les maisons collées les unes aux autres présentent maintenant leur cuirasse de pierre au rayons qui s’amplifient, arrêtant la dernière pluie. Ils ressemblent à une poitrine vivante qui se gonfle en respirant l’air frais.

On s’occupe dans chaque maison. Chacun se prépare pour la messe, on vérifie les ongles et les oreilles des enfants, on leur donne leurs quatre sous, puis on va réveiller les adolescents mal élevés qui dorment toujours après avoir passé la nuit dehors (sous la pluie !). Eux aussi vont se conduire comme des chrétiens, au moins pour cette journée. Ils se lèvent à moitié endormis, ensuqués par manque de sommeil et vont se rafraîchir dans la salle de bain, où les femmes énervées ne peuvent plus pénétrer. En plus de préparer le repas, d’habiller les enfants, de chercher les cravates aux maris, il faut perdre du temps après les petits enfants qui eux s’endorment au levé du jour. Mais ce n’est pas le jour pour blasphémer, chacun va se pavaner du moment où il va sortir de la maison jusqu’au coucher, cette nuit, après le bal…

Le second coup retentit, de plus en plus de monde arrive dans la rue principale qui débouche sur l’église. Les hommes, plutôt regroupé selon les quartiers, les femmes, elles plus traditionnelles, se regroupent par famille : grand-mères, mères, tantes et cousines suivies de la marmaille qui, de temps en temps, malgré l’occasion, il faut moucher (on ne peut rien y faire, s’ils éternuent, ils se salissent tout de suite car ils ne savent pas se servir des mouchoirs !). A peine arrivé sur la place elles se dépêchent de rentrer dans l’église, pendant ce temps là les hommes discutent sous les ormeaux.

Depuis plusieurs jours ils ont un sujet de conversation qui arrive juste à ce moment le maire accompagné du président, de son trésorier et toute la clique en cravate du conseil municipal. Le maire, personnage important venu du continent, a connu le président à l’occasion d’une « garden party » donnée par le ministre d’on ne sait plus quoi. Notre PDG, entendu qu’il devait parler du territoire de la communauté, maintenant dits de la commune, et de l’abandon général de la parcelle, des alentours du village, du verger et de la propriété, avait voulu venir, le printemps dernier pour découvrir le village et, fasciné, il avait tout de suite donné l’affaire en mains du maire. Il y avait eu beaucoup de conversations au conseil municipal vu qu’elles continuent aujourd’hui sous les ormeaux : l’endroit appartient à tout le monde, les châtaigniers propres aux familles, qui va les rembourser ? Les cochons ne pourront plus les saccager, une belle châtaigneraie si près ! On a parlé et même trop parlé concernant cette affaire, mais le maire a convaincu les conseillers : taxe professionnelle, impôts locaux et surtout des emplois à l’année avaient dépassé les scrupules de la majorité car les élus ne sont pas tous éleveurs de porcs ou de vaches.