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Francese

A FILETTA / LA FOUGERE

Onze poètes Corses contemporains

Existe en 2 versions

corse-français (Editions PHI, Luxembourg, 2005, 311 pages.
corse-italien (Edizioni dell’Orso, Alessandria, 2005, 163 pages.

D’une génération à l’autre la poésie corse a pu s’étendre d’une tradition presque exclusivement populaire sans perdre ses liens avec l’oralité. La Génération de 1970 a d’ailleurs largement accompagné l’expansion de la chanson corse. Comme cette dernière, la poésie aspire à sortir de ses frontières : non seulement les poètes qui figurent dans cette anthologie lisent la littérature française et italienne dans l’original, mais ils sont aussi traversés par différents courants de la littérature mondiale accessible en traduction. Qui plus est, ils la traduisent souvent.
          Aux côtés des auteurs se tiennent surtout, depuis quelques années, les éditions Albiana et le Centre Culturel Universitaire de Corte, après le travail considérable accompli par des éditeurs comme La Marge ou Cismonte è Pumonti, à côté d’autres petits éditeurs comme Sammarcelli, et parfois de simples imprimeurs.
          Le choix de poèmes présenté ici n’est pas destiné uniquement à la consommation insulaire et prétend rivaliser avec ce qui s’écrit dans les langues de grande diffusion. Il lui était donc impossible d’éluder toute dimension critique. N’ayons pas peur des mots : il s’agit là de ce qui nous a semblé constituer quelques-unes des meilleures pages de la poésie corse des dernières décennies dont le premier et le dernier auteur constituent chacun un tournant indiscutable. La présentation chronologique par générations et dates de naissance veut que cette anthologie commence par Ghjacumu Biancarelli et s’achève par son neveu Marcu. Le premier est de loin le plus fécond et le plus novateur des poètes corses de la deuxième moitié du XXe siècle, une partie de son œuvre reste inédite, ses œuvres méritent d’être traduites. Quant au dernier, qui est un peu l’enfant terrible de la littérature corse actuelle, il est celui dont la production, qui fait entendre le corse tel qu’il est souvent parlé par les jeunes générations, n’hésite pas à bousculer la langue, au grand dam des puristes. Cependant elle est sans doute par son énergie iconoclaste une de celles les plus en phase avec les tendances qui traversent le monde contemporain.
 

(extrait de la présentation par Francescu-Micheli Durazzo)
 

 

En guise de portique
U Rigiru/Le Tour

Les grosses pierres qui ferment l’aire encerclent le grain et un cercle œillu se forme avec les anneaux ébouriffés, exorbités des gerbes déliées que piétinent les bœufs. Tours, retours et tours encore des bœufs qui tournent en rond tandis que le rond du premier œil du bœuf comme un astre noir monte et descend, décrit des cercles dans l’or de la paille. Le rouleau, que traîne la paire, dense et rond comme un œuf, tourne lui aussi et décrit des cercles au milieu des milliers de billes des grains de blé. Puis le Grand-Cercle, là-haut, tout feu, tout rayons ! La corde et le fouet à la main, comme s’il était dans l’axe du cosmos, l’homme se tient tout droit en plein milieu. Ses bras comme des aiguilles donnent l’heure à la grande horloge.

Et il tourne, l’homme qui va et vient.

Et tourne le soleil quand il oblique, mais la voûte est ce qui soutient la maison. L’arc en ciel forme une voûte, la voûte du four cache la pierre ronde de l’âtre.

Une roue tourne,
Et tourne la pensée, et celui qui cherche tourne et vire dans tous les sens.

La meule tourne sur le pal.
Le fût de l’arbre est rond les fruits
Arrondis en pelote le vivant dans le ventre de la mère
Chaque tête

Yeux clos, les cercles s’agrandissent, s’arrondissent.

La terre est ronde qui tourne et tourne autour du soleil. Du soir au matin les jours sont ronds du matin au soir. Les saisons tournent en rond d’un battage à l’autre et les années aussi, leurs tours ne font jamais défaut, les siècles sont ronds.Grain, épi fleuri de ronds pailleux, gerbes cerclées, farine ou grain, de terre en terre tourne le grain et tourne l’être de la naissance à la mort.De génération en génération un peuple tourne.En chaque homme l’humanité venue du rien tourne et revient au rien, au rien qui est le tout.

La nature est ronde et la vie tourne, ce qui est droit vient d’ailleurs. L’emporte le pal si léger, qu’incendie une lumière aveuglante. C’est l’axe du monde mais l’homme l’ignore et se prend de vertige.

Avec le pal du moulin, il imprime à la meule le bon mouvement. Au-dessus de la voûte tout à droite et toute droite, ce ne peut être la pierre angulaire de la maison et, de la ruche à la fleur, la route de l’abeille va tout droit. C’est pourquoi l’homme, pour ne pas être pris de vertige, lève sur le globe terrestre le pal de l’esprit, transperce l’univers et tente de le tenir fermement en suivant son instinct Il le guide avec l’anneau du sang versé depuis l’origine. Suivant la force, le pal s’approche plus ou moins et resplendit jusqu’à se fondre dans la lumière de la hampe, si elle le peut.

Chacun est en la nature animal ou personne mais s’il ne lève le pal, il ne peut y avoir en ce monde famille ou peuple.
Le tour est le naturel
Sculpté dans l’anneau du sang
Qui tourne avec la vie
Au-dessus du cercle de la nature
Autour du pal.

Dumenicantone Geronimi
U Rigiru, 1974

Publicatu in 2005

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