Dopu lettu U Balcone, Paulu Michele FILIPPI scrive à G.Thiers :

Ton roman est d'une construction complexe qui laisse l'impression d'une maîtrise absolue d'une écriture qui conduit le lecteur, au fil du texte, vers la révélation d'une vérité où demeurent longtemps des zones d'ombre, des mystères, comme l'évocation du personnage de Petru, dont l'absence envahit la narration pour laisser en creux le sentiment d'une énigme dont le dénouement est sans cesse retardé.
C'est à travers l'évocation de souvenirs qui vont du cocasse (les canistrelli, Salute, bonjour, comment ça va? ... moments d'une vérité si précisément captée, cueillie par l'écriture) au profond, au grave, ( la mort des deux jeunes amants, le Noël des soldats... ) que le roman se tisse, le dérisoire et le tragique marchant d'amble, avec pour épicentre, ce balcon à l'architecture presque monstrueuse , d'où une femme guette vainement le retour de son Petru, et qui a peut-être été le lieu d'un crime, (à moins que tout cela ne soit que délire d'une âme un peu folle ?).

L'histoire des personnages, qui peut être succession d'anecdotes, rejoint parfois l'Histoire du Monde, avec ses grands tumultes où les vies sont comme égarées, avec comme seules et dernières balises dans l'horreur, la survivance d'humbles vertus. En fond d'écran, tu ouvres des trouées vers la grande guerre, dont tu montres l'horreur absurde. Du village à l'universel. Mais ces lentes révélations n'émergent que parce que tu ponctues leur évocation par de brèves notations (un jeu de lumières sur des tissus ou sur le cuivre des obus, les remous d'un roncier, les silhouettes pathétiques ou grotesques, parfois, en même temps, pathétiques et grotesques, de personnages qui peuvent être touchants ou odieux) qui font la pâte (excuse le choix du mot) même de ton écriture.
Je te livre les choses en désordre. D'abord ce goût me semble-t-il chez toi pour la stratégie du roman policier : un, des mystère(s) sont à découvrir. Mais leur découverte ne dissipe jamais toutes les ombres. Parce qu'elles sont là, constitutives d'une réalité. Il y a sans doute, qui légitime ton besoin d'écrire et que tu peux opposer à des analyses comme celle-ci où je vais peut être vers des conclusions hâtives, il y a donc le plaisir d'écrire, d'emmener le lecteur vers le réel ou l'horizon que tu as décidé de lui montrer, mais il y a aussi (c'est là que je peux me tromper, au point de ne savoir comment dire!) un fond de savoir, de pensées, de constats, définitivement sans illusions majeures . (S'o mi sbagliu, mi scuserai) mais, mais... mais avec, aussi une foi profonde dans le pouvoir de certaines lumières et certains êtres pour éclairer la route, au milieu de toutes les grisailles.
Le contexte justifie sans doute en grande partie que l'on trouve « notre langue » en parlant du français. Mais en même temps ça me semble montrer combien tu laisses loin derrière toi certaines crispations. Il en est de même quand tu transcris et propose au lecteur corse le dialogue d'Hippolyte et de Phèdre. Et cette idée qui transparaît que ce théâtre peut trouver une grave et belle résonance dans toutes les âmes et toutes les cultures.

Voilà. C'est brouillon, mais je reviendrai sur tout ceci. Je te le promets. Je ne sais pas pourquoi précisément mais, en te lisant, je pensais à Carlo Levi. C'est peut-être irrationnel, mais c'est comme ça !
À très bientôt.
Amicizia