CANTU IN MOSSA

 

Quand la chanson fait son Cinéma…

 

Depuis quelques années un certain nombre d’œuvres cinématographiques ou télévisées sont tournées dans l’île. C’est l’occasion pour des comédiens insulaires d’interpréter des rôles divers. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir apparaître à l’écran des chanteurs interprétant l’emblématique « paghjella » pour illustrer une scène de film. C’est le cas notamment du groupe Tavagna dans L’enquête corse d’Alain Berberian.
Le chant dépasse toutefois son rôle d’illustration dans certaines productions pour apporter une dimension supplémentaire, participant alors du récit. Leur notoriété a valu à certains groupes ou interprètes d’heureuses rencontres, des collaborations avec des réalisateurs ou des compositeurs de musiques de films. Du documentaire au film grand public ou à la série télévisée, l’aboutissement de ces projets est souvent surprenant d’originalité.

A Filetta et Bruno Coulais : Plusieurs bandes originales de films.

La collaboration du groupe A filetta avec Bruno Coulais sur plusieurs œuvres cinématographiques marque le parcours des chanteurs de façon significative. Entre 1997 et 2002, une dizaine de participations à des musiques de films dont cinq bandes originales qui s’avèrent être des succès populaires sont à mettre à l’actif du groupe. La première collaboration entre Bruno Coulais et A filetta sur le Don Juan de Jacques Weber en 1997 en entraînera plusieurs autres. Dans Don Juan A Filetta chante des textes de Marcellu Acquaviva. L’interprétation des chanteurs « forte et émouvante» dépasse les espérances du compositeur. Cette rencontre constituera pour lui « un enrichissement unique et indélébile ». L’album de la bande originale du film paraît en 1998. En 1999 Le film Himalaya, L’enfance d’un chef d’Eric Valli vaut à Bruno Coulais son deuxième César de la meilleure musique de film après Microcosmos en 1997 et confirme définitivement la notoriété du compositeur . Cette récompense rejaillit également sur le groupe. L’album Himalaya paraît la même année alors que déjà les chanteurs s’attellent à la musique originale du film Le libertin de Gabriel Aghion sorti au cinéma en mars 2000 ainsi que sur celle du film Comme un aimant de Khamel Saleh et Akhenaton paru la même année. Dans Le Peuple migrateur, film documentaire français réalisé par Jacques Perrin, Jacques Cluzaud et Michel Debats paru en 2001, les voix de A Filetta accompagnent des milliers d’oiseaux en vol durant leurs migrations. Associé à des images d’une beauté à couper le souffle, le chant contribue à faire de ce film un hymne à la vie et à la beauté.

Mais encore… On retrouve les voix de A Filetta dans de nombreux films dont la musique originale est signée de Bruno Coulais. Le groupe intervient notamment dans : Serrial Lover de Jales Huth paru en 1998, dans Scènes de crimes de Frédéric Schoendoerffer et Harrison’s Flowers d’Elie Chouraqui sortis en 2000; dans le Vidocq de Pitof avec Gérard Depardieu paru en 2001 et en 2008 dans Max and co, long métrage d’animation de Samuel et Frédéric Guillaume. Notons également que sur le générique des Rivières Pourpres de Mathieu Kassovitz sorti en 2000, on peut entendre la voix de Laura Giansily, fille du chanteur Paul Giansily membre du groupe A Filetta. Laura et Marie Giansily interviennent également sur la bande originale du film Le peuple Migrateur. La collaboration entre Bruno Coulais et A Filetta se poursuit au delà du grand écran à travers des productions discographiques ou scéniques et de nouveaux projets voient régulièrement le jour. D’autres rencontres. Ange Leccia connu à travers le monde pour ses œuvres picturales d’art contemporain nourrit une passion pour le cinéma. Dans son film Nuit Bleu tourné en Corse et paru en 2011, le réalisateur mêle subtilement les deux domaines. La musique et les chants sont également très présents dans cette œuvre. Dans une interview donnée à Corse-Matin en avril 2011, Ange Leccia justifie cette importance « à l’image de la dissonance des personnages ». Pour le réalisateur les voix du groupe A Filetta qui apparaît d’ailleurs à l’écran dans l’interprétation de « Sumiglie », offrent « des chants charismatiques, en lien direct avec une forme d’atavisme corse ». Des téléfilms aussi. Jean Claude Acquaviva écrit et compose la chanson du générique du téléfilm Liberata de Philippe Carrese tourné en Balagne et diffusé en 2005. Le film relate la période d’occupation de la Corse par les « chemises noires » en 1943. Dans la chanson Liberata interprétée par A Filetta, Jean Claude Acquaviva rend hommage à Pierre Griffi, jeune radio corse qui s’illustra dans sa mission et fut fusillé à Bastia en 1943 par les « chemises noires ». En 2014 le téléfilm de Thierry Binisti, Les disparus, accueille plusieurs chants interprétés par A Filetta, des chants liturgiques et des créations polyphoniques dont les textes sont empruntés à différents auteurs dont Jean Claude Acquaviva, François Vincenti, Petru Santucci et Fernando Pessoa. I Chjami Aghjalesi et Goran Bregovic. Le film La reine Margot paraît au cinéma en 1994. Patrice Chéreau a confié la composition de la bande originale à Goran Bregovic, l’un des plus grands représentants de la musique tzigane. Le compositeur qui a entre autres étroitement collaboré avec le cinéaste Emir Kusturica et produit les musiques originales des films Le temps de Gitans (1988) ; Arizona dream (1993) ou Underground (1995) a remporté de très beaux succès. Le style musical de Goran Bregovic est basé sur la fusion entre divers courants musicaux. Le compositeur réunit dans ses productions de nombreux artistes du monde entier, professionnels ou amateurs très divers. Dans ses créations, la musique et les chants des Balkans se mêlent à d’autres traditions mais aussi au rock, à la pop à l’électro, au reggae, au tango, à la musique classique... Ainsi pour La Reine Margot, Goran Bregovic compose une musique majestueuse aux accents rock. Le générique de fin : Canto Nero, est interprété par la chanteuse israélienne Ofra Haza accompagnée par les chœurs des Chjami Aghjalesi, une belle opportunité pour le groupe car le film obtient la « Palme d’or » au Festival de Cannes en 1994. Les Chjami Aghjalesi reprendront ce titre sur l’album Credo paru en 1998. Dans ce film, Un Tantun ergo traditionnel de la région du Boziu est également interprété à une voix par un chanteur d’origine Slave sur les images du massacre de la Saint Barthélemy.

Natali Valli et I Surghjenti : Pour « prolonger l’émotion ».
I Surghjenti ont à ce jour contribué à trois longs métrages. Natali Valli ouvre la voie en 1983 en composant la musique du film de Pierre Cangioni Santu Nicoli qui raconte en langue corse une histoire de vendetta entre les villages de Lama et de Petralba dans les années 20. Natali invite I Surghjenti à placer des choeurs sur certaines parties musicales. En 2000, après la parution de leur album Ramenti, c’est le groupe qui est cette fois sollicité par le réalisateur José Giovanni pour interpréter deux chants de la bande originale du film Mon père paru en avril 2001. Dumani écrit par Marcu Ceccarelli et composé par Natali Valli ainsi que Pardona mi de Charles Contri et Guy Canarelli ouvrent et concluent le récit. Pour José Giovanni, le chant de I Surghjenti s’imposait comme une évidence : "Écrire que mon père était corse est en-dessous du terme. Il était une parcelle de son île. Son respect de la tradition familiale à la hauteur de son sacrifice pour me sauver la vie m'a poussé à ancrer mon film sur lui, tout contre les rivages de son île natale. J'ai donc laissé la résonance des chants corses m'envahir... Alors le groupe SURGHJENTI s'est imposé. Leur émotion, leurs thèmes, sont entrés dans mon film comme dans une famille. Dès les premières images, en les écoutant, le combat de mon père prend son élan. A la fin du film, les voix bouleversantes du groupe prolongent l'émotion, maintiennent dans leurs fauteuils les spectateurs. Il me semble que les SURGHJENTI ont ressuscité mon père pour le ramener dans son île...".
En 2004 dans Le silence d’Orso Miret, la question de la violence est évoquée comme celle du silence qu’elle engendre. L’imbasciata est le titre choisi pour accompagner certaines images du film ainsi que le teaser. Ce titre écrit par Ghjacumu Thiers et composé par Bruno Susini pour l’album Ramenti, colle parfaitement au thème de l’oeuvre, l’imbasciata étant une exhortation à la réconciliation.

 

Pierre Gambini : Un artiste « pas ordinaire ».

Pierre Gambini fait ses débuts de compositeur pour le cinéma en collaboration avec Bruno Coulais dans Sempre V$ivu, un drame de Robin Renucci paru en 2007. Au fil des expériences et des rencontres, l’artiste a su développer un style bien particulier. Dans les compositions de Gambini, la langue corse trouve un dynamisme nouveau à la croisée de la musique traditionnelle et de la pop-électro. Après l’album Albe Sistematiche paru en 2011, Pierre Gambini se voit proposer la réalisation de la bande originale de Mafiosa, une série télévisée française créée par Hugues Pagan , tournée en grande partie sur l’île et qui met en scène le milieu mafieux corse. Les différentes saisons sont diffusées sur Canal plus à partir de 2006. Pierre Gambini se voit proposer la réalisation des bandes originales pour la saison 4 parue en 2012 puis la 5 parue en 2014. Une occasion à saisir pour le chanteur comme il l’explique dans une interview donnée au Corse-Matin en Janvier 2012 : « J'ai beaucoup de chance car je ne suis pas allé taper à leur porte. C'est Nicole Collet, la productrice de ce téléfilm qui a contacté la radio Frequenza Mora.. Elle était à la recherche d'un environnement musical autre que celui de la polyphonie ou du traditionnel. Apparemment mon nouvel album lui a plu, et elle a donc décidé, en accord avec le réalisateur Pierre Leccia, de me confier cette mission... C'est une opportunité de pouvoir toucher un public plus large que je n'aurais pas pu atteindre seul. C'est appréciable et évidemment flatteur …». Une réelle ouverture pour Pierre Gambini car la série sera primée en 2015 aux Globes de Cristal dans la catégorie Meilleur Téléfilm-Série Télévisée. Etant donné la qualité musicale de la Bande originale de Mafiosa, il est certain que de belles opportunités se présenteront à nouveau pour l’artiste qui a récemment réalisé la musique originale du documentaire de Pierre Antoine Beretti, produit par Intervista Prod. : Edmond Simeoni , l’esprit militant.

Michel Frassati, Stéphane Casalta et Jean Claude Acquaviva : U cantu di l’esiliati.
Le moyen métrage de Rinatu Frassati Les Exilés, entièrement tourné en Corse évoque pour la première fois l’histoire de Pasquale Paoli au cinéma. U Cantu di l’esiliati, titre phare de cette production, réunit l’énergie créatrice de trois talents insulaires. L’auteur Michel Frassati, le compositeur Stéphane Casalta et l’interprète Jean Claude Acquaviva ont œuvré de concert pour procurer à ce chant force et émotion.

Au fil du parcours…

Au fil de leur parcours d’autres artistes ont pu apporter leur collaboration chantée sur des œuvres cinématographiques à destination du grand ou du petit écran. Ainsi on a pu notamment entendre : le Trio Soledonna avec un Sanctus extrait de l’album In Paradisu paru en 1996 dans la comédie dramatique Marie Baie des anges, de Manuel Paradal sortie en 1997. Toujours en 1997, L’ensemble Tavagna interprète un Dies Irae dans la production américaine Dragon Art. Le titre Per un ‘antra matina, écrit par Jacques Thiers , composé par Ghjuvan Francescu Bernardini et interprété par I Muvrini clôture le documentaire Forza Bastia ou l’île en fête réalisé par Jacques Tati en 1978. Ce film sous la forme de rushs jusqu’en 2000 sera monté par la fille de Jacques Tati, Sophie Tatisceff et présenté à la cinémathèque de Corse en 2002.
Il faut ajouter à ces collaborations, de nombreux génériques, fonds sonores, spots publicitaires diffusés sur les chaines locales, nationales ou internationales et alimentés par la production discographique insulaire.