UNA STONDA CÙ U TEATRU DI TOGNOTTI

Teatru Paisanu, anni dopu...

Scontri di 16.01.2013

Eccu un articulu ricacciatu da:
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Ci ne simu ghjuvati da riferenza pè a meza ghjurnata cunsacrata à u mese di ottobre 2012 à Dumenicu Tognotti, a so opera, e riflessione è i studii nantu à issu mumentu predilettu di creazione, anni fà…


LE THEATRE CORSE AUX ANNEES '70
LES ANNÉES 1970 EN CORSE : UN THÉÂTRE EN QUÊTE DE « JE ».


'Il devenait indispensable de vaincre la peur de la liberté, la peur de ne plus être l'autre.' (Dumenicu Tognotti)

par Dumenica Verdoni

    On relève, dans la vie culturelle des trente dernières années, une référence théâtrale forte, perçue et rappelée comme un événement esthétique de haut niveau, mais également comme un acte social, politique et culturel revêtant une signification identitaire de premier plan. Aux origines du théâtre corse d'aujourd'hui, multiple et foisonnant, porteur d'acquis et de perspectives non négligeables, s'impose le souvenir du théâtre des années 1970, que l'on s'en réclame ou que l'on s'en démarque explicitement.

    Cette production a été essentiellement animée par le souffle créateur de "Teatru Paisanu" dont le metteur en scène, D.Tognotti, a été formé au C.U.I.F.E.R.D de Nancy et fortement influencé par J.Grotowski avec lequel il a travaillé. Au total, entre 1973 et 1984, si l'on inclut la démarche de "Teatru Cupabbia", troupe créée par Saveriu Valentini, 6 pièces ont été montées:

Teatru Paisanu

-1973: U Fiatu (le souffle)
-1974: A Rimigna (la mauvaise herbe)
-1980: A Cabbia (la cage)
-1981: Innò (Non!)
-1982: Prima tù (Toi, avant tout)
-1984: Soli di sogni (des soleils de rêves)

Teatru Cupabbia

-1984: Soli di Ghjugnu (des soleils de juin)

Pour caractériser ce théâtre, trois points de repères permettent de déterminer trois phases dans le processus théâtral des années 70.

* De 1973 à 1981, quatre pièces qui s'articulent autour d'un jeu de face à face entre "je" et l'autre.

* 1982: Prima tù. Pièce centrale du jeu théâtral avec laquelle on dépasse le contexte historique pour s'orienter vers le mythique.

* 1984: Soli di Ghjugnu. Actualité et mythique dialectiquement surmontées en symbolique.

Dix ans séparent ces productions, dix ans d'un théâtre dit "de recherche" où la parole est au coeur de tous les affrontements: elle nourrit les obsessions, elle fonde les contradictions. L'utilisation de la langue corse lourde de valeur symbolique confère à cette parole une charge émotionnelle exceptionnelle.

"Résister culturellement, vouloir parler, c'est vouloir vivre (...) dans notre théâtre, les mots ne sortent pas de la tête du comédien, mais du creux de son corps, par où passent les émotions, toutes les peurs, toutes les colères, tous les cris."

De plus, les créateurs des années 70 sont mus par un souci commun, non fixé par des règles abstraites, une préoccupation, un projet identique 'l'indiatura' (l'engagement)- vis à vis de la vie et des conflits apparents ou cachés qui la dominent.

'Et le théâtre me paraît être le lieu de la réconciliation du corse avec lui-même.' (D.Tognotti)

'Ici nous prenons la vie dans la vie même. À fleur de chair.'

On peut toutefois noter que de 74 à 84, on assiste peu à peu à un changement de jeu: les figures emblématiques de A Rimigna : u mazzeru, u favulaghju (le conteur), u populu (le peuple), u nunziu (le messager), qui fonctionnent comme des masques, s'effacent à partir de Prima tù pour des figures d'une exemplarité archétypale plus efficace encore parce que non identifiables immédiatement par le spectateur.

'(... ) Les autres pièces de Teatru Paisanu dans lesquelles le face à face se faisait avec l'état colonial répressif (....) déplaçaient sensiblement le problème.'

En « déplaçant » l'attention sur la réalité socio-politique, le metteur en scène nie le véritable enjeu de la communication. Même si de façon différente, le metteur en scène et le spectateur, par le spectacle, sont obligés de quitter la stabilité et la certitude de leurs "fables", ils ont constaté qu'un non-dit -un non-être?- tient en échec le dit.

"Prima tù met en scène un face à face lucide avec nous même, avec nos propres faiblesses et nos propres forces, avec notre désir et notre peur d'être. Et cela est bien plus angoissant, tant il est vrai qu'il est plus facile d'exister "contre" que de "s'affirmer tout seul"

Et c'est là, dans l'indicible, qu'habite cette présence étrange dont on ne peut s'approcher qu'en renonçant à l'espoir de la posséder tout à fait puisqu'elle a rompu avec toutes les identifications -identités?- possibles.

Après les pièces du face à face, de U fiatu à Innò, naît un cycle nouveau ouvert par Prima tù où la pratique théâtrale délivre alors le spectateur de l'un utopique ou de l'autre manichéen, pour le renvoyer, cette fois-ci, à son imagination stupéfiante.

Il s'agit de dépasser l'anecdote funeste pour accéder à la dimension archétypale, rappelant le caractère rituel, propitiatoire du tragique.

"Prima tù est né précisément de la puissance du mythe: une tache de sang en forme de coeur est tombée dans la Méditerranée pour former la Corse. Ce mythe n'a pu se redire qu'à travers l'histoire sans cesse réinventée dans l'action directe scénique, par la création d'un langage contemporain."

Le théâtre vécu comme une puissance terrible : Soli di Ghjugnu boucle le processus théâtral, au départ plus "militant" (A Cabbia, Innò), pour montrer définitivement que nous ne sommes plus en présence d'un théâtre à slogans, mais d'une création où le poétique donne une telle dimension au tragique que l'événement d'actualité, la disparition d'un militant nationaliste, support de la pièce, devient an-historique. L'âme qui se bat et qui est introuvable tout au long de la pièce n'est plus seulement l'âme du militant mais surtout l'âme collective de tout un peuple pris entre les forces du destin qui le condamnent et sa volonté de vivre. Révolte tragique devant l'Histoire qui de domination en domination ressemble fort à un destin, destin d'un peuple en quête d'une identité toujours fugitive. Grâce à ces créations, c'est un arc qui se tend de l'irrationalité du passé à celle de l'avenir, éclair brusque et fulgurant entre deux zones de ténèbres: "mouvement culturel, compris comme le rêve du politique" (D.Tognotti).