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Francese

Marin SORESCU et la poésie roumaine

La poésie de Marin Sorescu

 Marin Sorescu, qui vient de disparaître à l’âge de soixante ans, était le plus grand des poètes et dramaturges roumains. Trois recueils de textes sont disponibles en traduction française : L’Ouragan de papier, Ed.Saint-Germain des-Prés, Paris, 1980 ; Céramique, Ed.Saint-Germain des-Prés, Paris, 1984 ; Soixante-six poèmes, Centre d’Etudes Inter-culturelles, Université de Lyon III, 1985. Dana Marina Dumitriu, de l’Université de Craiova, nous présente son œuvre.

Tout comme Camil Petrescu, Marin Sorescu voit l'abstraction. Mais, à la différence de son précurseur, il ne se contente pas de la voir, il l'objectualise pour ainsi dire, il lui donne de la chair ; et vie : ses poèmes en deviennent des scénarios. Une rétroversion signifie pour Sorescu une traduction de l'homme en singe ou la traduction d'un fragment de forêt :

Je soutenais l'examen
De langue morte
Et devais me traduire
De l'homme en singe.
J'ai commencé de loin
En traduisant d'abord un texte
Tiré d'une forêt.
La rétroversion devenait
De plus en plus difficile
A mesure que je m'aprochais de moi-même.

La,journée est une sorte de Rossinante sur laquelle Don Quichotte-Sorescu monte et la gravitation quelque chose que l'on suspend aux pieds pour revenir sur la terre dès que l'on s'avère être une lance foncée dans le soleil. Les rivières, les mers, les océans sont des sentiments créés par Dieu-Shakespeare avant de "mourir un peu".
Il y a plusieurs types d'objectualisation chez Marin Sorescu.
Le premier est celui de la chose abstraite, de l'idée, du sentiment qui deviennent des objets concrets, palpables. L'histoire est un livre à images, mais un livre qui reçoit des dimensions gigantesques:

Au-dessus de Posada est la bataille de Posada.
Au-dessus de Podul Inalt
Est la bataille de Podul Inalt.
Au-dessus de Calugareni
Est la bataille de Calugareni.
Il y a des batailles sur tous les murs
Est dans les niches des mures.
Le visage des hommes de jadis est peint sur les étoiles.
Et là-haut, dans le grand clocher noir,
Il y a Decebal sur des nuages de poison
Buvant le poison
Et le poison s'écoulant le long de ses moustaches.

L'histoire s'apprend en regardant " notre ciel (...) teint/ Comme le Voronet ", allusion aux habitudes des princes roumains d'immortaliser leurs victoires par la construction de monastères. En représentant l’histoire de manière figurative, Sorescu abolit la dimension diachronique et il est possible que le poète soit assis sur les genoux des princes roumains " habillés de cuirasses (...) /Au-dessus de la chemise de la mort " et qui, allant à la guerre, accomplissent leur tâche quotidienne:

J'ai envie de m'asseoir sur leurs genoux
Et de jouer avec leurs moustaches
Et de leur demander pourquoi ils portent tous
Des cuirasses.
Où partent-ils chaque matin,
Pourquoi ne restent-ils pas chez eux
A tailler leur barbe
Qui me gratte
En calinant mon âme ?

La haine et l'amour sont des médicaments prescrits pour guérir la maladie étrange dont souffre le poète qui a mal au soleil, à la lune et aux étoiles.
Des objets déjà existants, mais intouchables parce que trop loin de la perception humaine ( le soleil, la lune) ou trop vagues ( la nuit, la poésie) sont réobjectualisés.

Les nuages ressemblent à des troupeaux de moutons.
J'ai mal partout
Le jour j'ai mal au soleil
Et le soir à la lune et aux étoiles.
Je tâte un caillou au nuage
Que je n'avais pas remarqué jusqu'alors.
Et je me réveille chaque matin
Avec une sensation d'hiver.
(Maladie)

Le ciel est le monastère de Voronet (Hommes). La poésie est un bateau que le poète porte sur ses épaules toute la vie et qui, tout comme dans la ballade populaire, tue son créateur (Lancement).

Alors je suis entré dans la mer
Jusqu'aux chevilles, jusqu'au torse.
Son envie de vagues m'écrasait de plus
En plus.
Quand on ne put plus me voir
Le bateau s'est mis en mouvement
Tout seul.

Quelquefois ces " objets " sont à mi-distance entre le concret et l'abstrait : ils deviennent des lettres et le poète passe sa vie à apprendre ce nouvel alphabet.

De la main on lui a couvert un oeil
Et montré le monde
Dessiné
Sur un grand panneau.
-Quelle est cette lettre ?
Lui a-t-on demandé.
-La nuit, a-t-il répondu.
-Tu te trompes, c'est le soleil.
La nuit, on le sait tous,
N'a pas de rayons. Et celle-là ?
-La nuit.
-Tu me fais rire !
C'est la mer, elle n'est pas
Si obscure, la mer.
Et celle-là ?
L'homme a hésité un peu
Et puis a répondu :
-La nuit.
-Oh, c'est la femme.
La nuit n'a pas de seins, mon vieux.
C'est sans doute à cause des cheveux, noirs,
Que tu t'es trompé. Et celle-là ?
Regarde-la bien.
Avant de répondre.
-Toujours la nuit.
-Dommage, tu n'as toujours pas deviné :
C'était toi cette lettre.
Toi.
Au suivant !
(Angle)

D’autres fois ils se transforment en une autre chose tout aussi vague à définir, mais plus intimement liée à l'être humain. Dans le poème Maladie l'hiver est un sentiment, une sensation avec laquelle se lève de bon matin le poète. Cette objectualisation est rarement présentée comme une intervention consciente du poète; le plus souvent elle est présentée comme la stricte réalité :

Ton âme fonctionne au bois
Et la mienne à l'électricité.
Ton amour salit le ciel de fumée
Le mien est de flammes propres.
(Conte)
ou encore :
Je tiens la place à une pierre du pavé.
J'y suis arrivé
Par une grave confusion (...)
Quoique je supporte
Avec stoïcisme
Mon sort de granite
Il m'arrive quelquefois de hurler :
Circuler seulement sur la partie carrossable
De mon coeur,
Barbares !

Situation plus tragique du moment où l'on se rend compte que, dans ce monde atteint de la maladie objectualisante, l'homme n'est qu'un vêtement (Vision), un robot (Les Robots) ou une chaise (Caprice). Parti en quête des hommes, le poète les cherche parmi les vêtements qui courent au travail ou s'arrête pour bavarder, parmi les serviettes ministérielles qui " flirtent depuis une heure / Avec un sac à main en cuir de serpent ", parmi les fers à repasser qui circulent sur les rails des omnibus ; mais il ne les trouve nulle part.

Et pourtant,
Je savais qu'ils devaient se trouver
Soit dans la poche de la veste
Soit au-dessus ou au-dessous des habits
Annexés à l'aide d'une épingle.
(Vision)

Un poème comme Caprice rappelle le théâtre de Ionesco :

Chaque soir
Je ramasse de chez mes voisins
Toutes les chaises disponibles
Pour leur lire des vers.
Les chaises sont très réceptives
A la poésie
Si l'on sait comment les ranger.

Dans une vision à la fois terratologique et sarcastique, qui contient en elle-même la solution de la guérison, Sorescu nous présente le monde surtechnicisé menacé par la rouille comme s’il s’agissait d'une épidémie :

La rouille faisait rage
D'une maison à l'autre
Elle cherchait les hommes-robots.
Le matin
Ils devaient s'extraire les uns les autres
A l'aide d'un harpon
De dessous les ruines de la rouille.
Aussi, les hommes ne voulaient-ils plus
Etre des hommes de fer.
Et j'ai vu des foules
D'hommes mécaniques
Qui, écoeurés de toute sorte de machine,
Rentraient dans la chair des ancêtres
A pied.

Première conclusion :
Le poète est un spectateur lucide, rusé, qui cherche les " anomalies ontologiques " par lesquelles l'univers se dévoile à lui, Sorescu, dans sa gaucherie.
Attitude démystifiante, qui trahit une angoisse existentielle que le poète essaie d’annuler par une descente dans la banalité ou grâce à l’ironie, mais, tout comme dans le théâtre de Ionesco l'objet assaille l'individu et le procédé relève moins de l’ironie que de l’amertume : c’est une auto-dérision.
L'objet réclame une vie propre. Autrement dit, l'objectualisation se veut doublée d'une objectisation. Les situations, les sentiments, les états d'esprit et toute autre abstraction devenue objet reçoivent une identité, une histoire ; s'animent, se déplacent et dans un premier temps respectent la mise en scène imposée par le futur dramaturge, mais -et c’est capital !-tout se fait en excluant l'homme. Parlant de ce penchant du poète qui philosophe à travers des images, Comel Regman affirmait que " avant de découvrir en soi un dramaturge, (Sorescu) s'est montré un infatigable régisseur d'idées à son propre compte ". Le monde est pour Sorescu tantôt un spectacle (Spectacle) changeant toujours de place, soit un local où l'on joue aux quilles, soit l'arène d'un cirque où se joue l’homme-jongleur :

Certes, la terre
Est un grand bowling.
Comme il n'y a pas assez
D'arbres
Les gens restent eux-mêmes debout
Ecoute les étoiles vrombir
De retour sur la bande roulante
Ce soir, elles seront à l'horizon.
(Bowling)
Le jongleur du cirque est mon père
Il a été appelé d'urgence dans la nuit
Et m'a laissé
A sa place.
Tout ce que tu vois
Autour de toi
-M'a-t-il dit -
N'est que et billes et cercles
Retiens-le bien: billes et cercles.
Les arbres sont des cercles verts
Il faut les tourner et retourner vite
Pour ne pas laisser tomber toutes les feuilles
D'un coup.
Les nuages sont des cercles bleus
A faire tourner de la pointe du pied
Ou d'un mouvement du coeur.
Les femmes aussi sont des cercles.
Elles doivent être rangées
Entre les nuages et la fumée.
Quant aux billes,
Prends garde à ne pas lâcher la rouge
Sinon tu resteras dans l'obscurité.
Et ne lance pas trop loin la noire
A laquelle tout notre peuple est lié
Par un serment sacré.
Le jeu est amusant
Et je maîtrise autant que je peux
Ce monde de billes et de cercles.
Mais voilà qu'il se fait déjà tard
Et le jongleur-père
N'est pas encore rentré.

Le tragique des poèmes de Sorescu ne vient pas seulement de cette existence objective du monde qu'il se représente et qui ignore l'homme jusqu'à l'anéantissement. Il naît aussi de la dissonance entre ce qu'elle est et ce que le poète attend ou feint d'attendre.(cf. les hommes-vêtements dans Vision ou le poème Le Don où le specialiste muni d'une loupe extra-terrestre découvre que tout, des tableaux de collection jusqu'à la ville et au chemin qu'il parcourt est faux, et " sanglotant et tremblant de tout son corps (...) / Continue à annuler le monde ".) Parfois, le poète, conscient du comportement aberrant de ses " objets ", en est séduit et se prend au jeu. Il se met alors dans une situation tragique par rapport à ses semblables qui ne peuvent le comprendre. Il lui arrive d'entamer une discution avec les toiles des maîtres italiens qui, renvoyées à la réalité qui leur a donné naissance, mais sans s'y supperposer tout à fait, s'adressent à lui par un " vacarme de couleurs ". C’est pourquoi il est " vite arrêté/ Vu et entendu de loin " comme s'il " portait des perroquets ". Le vol d'un Rembrandt lui fait toucher " les ténèbres " de la main. Aux toiles de Van Gogh il doit prêter beaucoup plus d'attention puisqu'elles " sont folles/ Elles tournent et retournent/ Et il faut les tenir bien/ Des deux mains/ Car elles sont attirées par la force de la lune ".
 
Deuxième conclusion :

Regard objectualisant ne signifie pas pour Sorescu regard objectif, car le poète
peut assumer ou non la vie de ses objets. Il ne lui reste qu'un pas jusqu'à la destruction des mythes, et il le fait en feignant la naïveté du paysan, pour lequel tout doit se réduire à son univers de connaissance.
Dans Le temps est à la pluie, Dieu s'adresse à Saint Pierre par dessus le portail en utilisant des phrases stéréotypées qu'emploient les paysans :

Le temps est à la pluie
Dit Dieu pour lui même en baillant
Et en regardant le ciel sans nuages.
Voilà quarante jours et quarante nuits
Que le rhumatisme me gêne.
Eh, le temps va changer I
Noe, hé, Noe
Viens ici, au portail
Que je te dise un mot.
A son tour, Adam découvre du plaisir dans la merveille que Dieu vient de faire,
se met à tâter ses côtes et
Chaque fois qu'Eva l'officielle
Tourne le dos
Ou va acheter de l'or ou des essences saintes
Il fait naître une favorite
De son harem intercostal.
(Adam)

Craignant les reproches de Pénélope,Ulysse décide de bâtir sa maison sur des eaux, entre Charybde et Scylla. Quant au Jugement Dernier, il est l'occasion de déposer plainte contre les anomalies. de la Création.

On m'a tué le temps,
Honorable instance.
Lorsque je revins volontairement
De la guerre
J'ai remarqué
Qu'à mon temps on avait amputé
Le coeur, la bouche et le front.
Mais même dans cette situation on ne l’a pas laissé tranquille,
On lui a fait faire des jours-tourments, des jours-larmes, des jours-machine, des jours-boeuf,
Et un tas de choses
Qui ne l'intéressaient pas.
On s'est mis à expérimenter sur lui
Toutes sortes de poisons
-Tristesse, ennuis-
Ou quelque chose comme ça.
D'un morceau de destin
D'essence forte,
On lui a donné le coup de grace sur la tête.
Excusez-moi pour le dire,
Mais ce n'est pas une vie que celle là !
Depuis, j'ai gaspillé même une moitié de la mort
En faisant la queue
Pour vous annoncer ma cause
Ici,
Au Jugement Dernier.

Les personnages, mythologiques ou historiques, parlent et agissent comme des paysans de Bulzesti (le village de Sorescu). La démythification s’accompagne donc d'une naturalisation, d'une localisation spatio-temporelle propre au poète. L'histoire lui offre la suggestion de l'historiothérapie (c'est le nom même d'un de ses poèmes) comme moyen de lutter contre l'insomnie. La nausée de Sénèque avant de s'ouvrir les veines devient chez Sorescu une perte de l’intérêt du personnage pour le geste qu’il va accomplir :

Encore une heure écoulée
Il en reste quatre.
L'eau bout dans la baignoire
Je baille et regarde par la fenêtre,
Je vois le soleil qui ne veut pas encore se coucher
Et je m'ennuie affreusement.

La démythification frise quelquefois le caricatural. Prométhée enchaîné est poursuivi par une obsession étrange et grotesque: " Pourquoi le foie ? ". Le Corbeau d 'Edgar Poe est banni parce que chaque fois qu'on lui délie le bec il dit " Nevermore " et apporte le malheur. On lui a même établi un dossier, " le dossier du corbeau ", que le poète veut ouvrir pour savoir si les mots maléfiques ont aussi une connotation politique.
Sous une forme apparemment facile, ludique quelquefois, le poète pose des problème graves commes celui de la vie et de la mort, qui n'ont en elles-mêmes rien de spectaculaire. Sa propre naissance (J'ai vu de la lumière sur la terre) est présentée comme une visite de courtoisie que le paysan de Bulzesti fait à ses amis :

J'ai vu de la lumière sur la terre
Et je suis né
Pour voir comment vous allez.
Sains et saufs?
Et le bonheur, comment va le bonheur?
Non, merci, ne vous dérangez pas.
Je n'ai pas assez de temps pour des réponses
J’ai juste assez de temps pour poser des questions.
La mort prend la forme de l'oubli qu'Arghezi lui aussi avait exprimé dans le poème A cahe-cahe :
Il arrive souvent que je ne vous rencontre plus
Et je me demande comment peut ne pas rentrer
Un homme ayant une femme, des montagnes et des enfants
Qui l'attendent.
(Hommes)

L’oubli frappe également celui qui devait retourner, mais aussi ceux qui l'ont connu :

Et, de toi, personne ne se rappellera
Rien de précis,
Tu auras trois dates de naissance hypothétiques
Et deux de mort.
Mais tu vivras toujours dans l'intervalle
De ces deux années hypothétiques.
(Vaguement)

Mais, comme si une telle vision le dérangeait, le poète s'imagine être Créateur de sa propre mort, et se voit se dispersant dans la nature, une attitude qui rappelle Eminescu, mais s ‘exprime dans un style qui n’appartient qu’à Sorescu:

De mes chaussures,j'ai chaussé
Le chemin.
De mes pantalons, jai habillé les arbres
Jusqu'aux feuilles.
La veste, je l'ai mise sur les épaules
Du vent.
Mon ancien chapeau,
Je l'ai mis sur la tête
Du premier nuage venu à ma rencontre.
Puis, j'ai reculé d'un pas
Dans la mort
Pour me contempler.
L'autoportrait
Etait une merveille.
La ressemblance était si grande
Que, oubliant de le signer,
Les gens ont inscrit eux-mêmes
Mon nom
Sur une pierre.

Dans le poème Le chemin le poète est en compétition avec une machine : " un train / Qui n'a jamais entendu parler de moi " et qui -croit-il- ne le rattrapera jamais parce que... " J'aurai toujours une avance/Par rapport aux choses qui ne pensent pas ". Sans éliminer cependant l'idée d'une défaite, il trouve une revanche dans le fait qu' " il y aura toujours quelqu'un/Qui marchera devant lui/Les mains dans le dos et d'un air pensif ". Cette compétition avec le monde objectal n'est qu'une forme sorescienne de la lutte entre la vie-et la mort. Que peut bien être en effet ce " chemin de fer/Voie la plus droite/possible " sinon le temps que chacun mesure d'un air pensif et dont chacun voit sa vie délimitée par l'apparition du " monstre noir/Qui s'approche avec une vitesse effrayante " ? Il se peut par ailleurs que la vie devienne une partie d'échecs :

Je déplace un jour blanc
Lui un jour noir.
J'avance d'un rêve,
Il me le reprend à la guerre.
Il m'attaque les poumons,
Je médite une année durant à l'hôpital,
Je fais une combinaison réussie
Et lui enlève un jour noir.
Il déplace un malheur
Et me menace avec le cancer
(Qui, pour l'instant, avance en forme de croix),
Mais je pose devant lui un livre
Et l’oblige à se retirer.
Je gagne encore quelques pièces
Mais déjà une moitié de ma vie
Est éliminée du jeu.
-Echec à l'optimisme ! tu vas perdre !
Me dit-il.
-Ça ne fait rien, lui dis-je en plaisantant,
Je fais la rocade des sentiments.
Derrière moi, ma femme, les enfants,
Le soleil, la lune et les autres amis
Tremblent à chaque mouvement que je fais.
J’allume une cigarette
Et continue la partie.

Spectateur et metteur en scène du spectacle du monde, Sorescu est allé un jour d'hiver " mourir un peu ". En attendant que son esprit se lève, comme celui de Shakespeare dans sa pièce de théâtre Mon cousin Shakespeare pour nous dire : " Je me suis reposé en mourant. Maintenant...au travail ! ", je vous demande la permission de lire un poème qu'un autre poète roumain, lui-aussi lauréat du Prix Herder, a dédié à Eminescu et en l'écoutant je vous prie de penser à celui qui vient de nous quitter.

MARIN SORESCU
SHAKESPEARE (1)

Shakespeare hà criatu u mondu in setti ghjorni.
U primu ghjornu hà fattu u celu, i monti è l'abissi di l’anima.
U segondu hà fattu i fiumi, i mari, l'oceani
È l'altri sintimenti
È ne hà datu à Hamlet, à Ghjuliu Cesare, à Antone, à Cleopatra è à Ofelia,
À Otello è à l'altri
Per pussede li, elli è i so succissori,
Finu à a fine di u tempu.
U terzu ghjornu hà chjamatu tutta a ghjente
È li hà insignatu i gusti:
U gustu di a filicità, di l'amore, di l'addisperu,
U gustu di a ghjilusia, di a gloria è l'altri gusti
Finu à sgranà li tutti.
Allora sò ghjunte une poche di persone, chì eranu in ritardu.
U criatore li hà carizzatu cun cumpassione u capu
È li hà dettu ch' ùn li firmava più cà fà si
Critichi litterarii
È cuntistà u so capidopara.
U quartu è u quintu ghjornu l'hà risirvati per a risa.
Hà fattu corre i buffoni
È hà lasciatu distrae si i rè, l'impiratori
È l'altri disgraziati.
U sestu ghjornu hà risoltu qualchì affare amministrativu:
Hà urditu una timpesta,
È hà insignatu à u rè Lear
Cumu duvia purtà una curona di paglia.
Era firmatu qualchì restu dopu à a Creazione
È hà fattu u rè Riccardu III.
U settimu ghjornu hà circatu di vede s’ellu c'era sempre qualcosa da fà.
I dirittori di teatru avianu ghjà riempiutu a terra d'affissi,
È Shakespeare hà pinsatu chì dopu tanta pena
Pudaria vede ancu ellu un spittaculu.
Ma, cumu era troppu stancu, hè andatu prima
À more un pocu.

(1) Ce poème, traduit ici en corse par Dana Dumitriu, a été publié en français par Alain Bosquet dans Les Cent plus beaux poèmes du monde, Paris, 1979.