LA CORSE EN TOUTES LETTRES (1)

Littérature et Société

J.T. s’efforce d’orienter l’échange sur les interactions du littéraire et de la société en présentant les trois invités non seulement comme des personnalités contribuant à l’édification et l’étude dela littérature corse, mais aussi en tant qu’acteurs d’une société où les productions culturelles et les mouvements de la vie collective insulaire sont en échange constant. 

Il relève pour ce faire une expression qu’il considère comme une annexion du prix qui distingue J.Ferrari « Goncourt régional » dans un article paru le jour même dans Corse-Matin au sujet de J.Ferrari dont il évoque le travail de coscénariste pour le film issu de l’avant-dernier chapitre du Sermon sur la chute de Rome. Il rappelle que J.G Talamoni, acteur politique s’il en est, vient de soutenir une thèse de doctorat remarquée sur « L’imaginaire national dans la littérature corse ». Quant à J.Fusina, s’il est un poète marquant du Riacquistu, il est aussi le parolier le plus fécond de la chanson corse contemporaine. J.T. remarque donc que la littérature corse que l’on pose ici comme objet de réflexion s’établit comme un ensemble vivant échappant à une catégorisation générique étroite.  Cette première approche qui écarte l’univers du littéraire défini comme un ensemble clos fait l’objet d’un riche échange où chacun a l’occasion de préciser son engagement et ses choix d’expression. Les trois intervenants illustrent leur position par de nombreux exemples, relatifs au contexte corse ou extérieurs à l’île.

J.Fusina remarque que l’on est passé d’une option simple voire simpliste à l’assomption de la complexité, alors que d’aucuns réservent, aujourd’hui encore, la définition de littérature corse aux seules productions en langue corse. Il cite aussi quelques anecdotes qui démontrent la pertinence des parallèles et ressemblances avec d’autres productions littéraires (ambiguïté du titre de son propre ouvrage Ecrire en Corse ? publié chez Klincsieck, réponse iironique de feu le Professeur Fernand Ettori interrogé sur cette même définition, comparaison des personnages de Hucleberry Finn et Pesciu Anguilla dans la thèse de la regrettée Anghjula Maria Carbuccia sur le roman en langue corse…)

Interrogé de nouveau sur l’adaptation cinématographique d’un chapitre de son dernier livre, J.Ferrari met en lumière la spécificité des langages sollicités (roman, film) et déclare qu’il ne mènera pas de recherche d’expression dans le domaine du film et de limage. Concernant le rapport de son œuvre à la langue, il constate tout d’abord que l’adjectif « corse » prend souvent une connotation « folklorisante » dans un discours non dénué de prévention, puis affirme avec force que la Corse est loin de ne représenter que l’entour, le décor ou le prétexte de ses romans. C’est au contraire l’élément fondamental de l’œuvre qu’il construit depuis dix ans. Quant au reste, il se montre sensible à l’action du processus
d’appropriation par la lecture de groupes différents et, postulant par là l’universalité de l’œuvre, en repousse l’assimilation à un groupe singulier.

On revient ensuite sur l’axe définitoire qui sous-tend la thèse de JG.Talamoni. Dans ce travail remarqué, le « jeune docteur » opte pour une problématique qui ne laisse pas d’étonner eu égard à l’idéologie du mouvement politique qu’il dirige. Il est en effet rappelé que recherchant les structures, thèmes et motifs de « l’imaginaire national corse », son travail s’est appuyé sur une donnée épistémologique postulant un invariant, la littérature corse et différentes variables de son expression linguistique. Ce sont en effet plusieurs dizaines d’ouvrages en italien, français et corse qui ont fourni la base des observables de cette recherche en sociolittérature. Ainsi a été étudiée une période qui s’étend de la Giustificazione (156) aux années 1950. Il aurait été étrange et tout à fait erroné d’exclure de la production de textes et d’idées corses les ouvrages de la période paolienne, de Salvatore Viale et de tout le XIXème et du XXème et, actuellement, l’écriture qui reçoit la consécration du Goncourt ! Son argumentation critique aussi les définitions étroites (cf.l’anthologie d’H.Yvia-Croce qui retient les seuls écrivains « corses d’origine »).

Au fil de l’échange qui s'ensuit sont évoqués plusieurs titres qui relèvent manifestement de la littérature corse et qu’une acception trop restrictive a pu faire écarter des anthologies existantes (ex : le Vir Nemoris de Nobili-Savelli ou le Ponte Nuovo de Guerrazzi…), ou, à l’opposé des auteurs pour ainsi dire annexés à la littérature corse au seul titre de leur ascendance ou de leur notoriété, tels Claude Farrère (Goncourt, 1905) ou Paul Valéry.