1-Projet de 34 écoles primaires-Tableaux de lecture extraits du Code pénal

Conseil royal de l'instruction publique

Instruction primaire

projet d'établissement de trente quatre nouvelles écoles chrétiennes en Corse.

 

Note pour Son Excellence le ministre, secrétaire d'état, président du conseil royal de l'instruction publique

 

            M. Mourre, inspecteur chargé des fonctions rectorales en Corse et dont la mission a pour objet d'améliorer l'état de l'instruction dans ce pays s'occupe depuis plus d'un an avec un zèle infatigable de tout ce qui peut faire atteindre ce but important. Le plus pressant besoin de la Corse à cet égard est l'instruction primaire. M. l'inspecteur y donne tous ses soins et a déjà pu opérer un peu de bien mais sa sollicitude  ne s'est pas bornée à quelques améliorations partielles, mais d'apporter ses vues sur une organisation plus complète  de l'instruction primaire. M. Mourre a présenté à  cet effet un projet d'établissement d'un certain nombre de nouvelles écoles convenablement réparties dans tout le pays. Il regarde l'exécution de ce projet comme le moyen le plus propre à répandre l'instruction élémentaire en Corse et par là, à tirer le peuple de ce pays de l'état de barbarie et d'ignorance où il est profondément plongé.

 

            Les écoles projetées seraient au nombre de trente quatre, savoir quatre écoles chrétiennes et trente d'enseignement mutuel. M. Mourre regarde ces dernières écoles après les écoles chrétiennes comme celles qui conviennent le mieux à la Corse attendu qu'on peut y réunir à  moins de frais un plus grand nombre d'enfants. D'après le bien très sensible qu'a déjà opéré sur un point de la Corse à Ajaccio, la seule école  de frères qui existe dans le pays nul doute que les écoles chrétiennes ne dussent y être multipliées préférablement à toute autre école pourvu que les frères qui les dirigeraient fussent français. En proposant d'établir trente écoles d'enseignement mutuel et seulement quatre de frères on a donc eu égard qu'à la dépense plutôt qu'à l'utilité respective des deux sortes d'établissements; du reste l'expérience prouve aussi que faute de pouvoir établir un nombre suffisant d'écoles de frères on ne peut rien faire de mieux que d'avoir recours aux écoles d'enseignement mutuel contre lequel les Corses n'ont aucune prévention.

 

(…)

 

Voici un document brut, l’un des tableaux de lecture que Mourre avait rédigés à l’intention des écoles primaires de la Corse, pour y répandre à la fois l’usage de la langue française et ce qu’il appelait « la civilisation » dans ses commentaires

 

« J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint 9 nouveaux tableaux de lecture destinés aux écoles d'enseignement mutuel de la Corse. Ils sont tirés du Code civil et du Code pénal.

 

TABLEAU N°3: DISPOSITIONS EXTRAITES DU CODE PENAL

 

Article 12: Tout condamné à mort aura la tête tranchée.

 

Article 15: Les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus pénibles: ils traîneront à leurs pieds un boulet ou seront attachés deux à deux.

 

Article 17: La peine de la déportation consistera à être transporté et à demeurer à perpétuité dans un lieu déterminé par le gouvernement hors du territoire continental de la France.

 

Article 19: La condamnation à la peine des travaux forcés sera prononcée pour 5 ans au moins et 20 ans au plus.

 

Article 20: Quiconque aura été condamné à la peine des travaux forcés à perpétuité sera flétri sur la place publique par l'application d'une empreinte avec un fer brûlant sur l'épaule droite.

 

Article 21: Tout individu de l'un ou l'autre sexe condamné à la peine de réclusion sera renfermé dans une maison de force. La durée de cette peine sera au moins de 5 années et de 10 au plus".

 

Ce serait, en d'autres pays, une bien triste et bien fausse conception que d'entreprendre de noircir et d'effrayer l'esprit des enfants par les images de peines et de supplices dans la vue de les détourner de peines et de délits dont souvent ils n'ont pas même l'idée, pour lesquels ils ont encore moins d'inclination, et dont on peut croire qu'ils seront suffisamment préservés par la suite par l'influence des moeurs domestiques et de l'opinion publique, par la honte et l'horreur qu'y attachent tous les peuples civilisés. Il y aurait même quelque chose d'immoral à porter atteinte à cette heureuse ignorance du vice qui est la vertu de cet âge, mais en Corse, où les plus grands crimes sont autorisés, légitimés par d'affreux préjugés où les enfants, dès leur naissance, en puisant des leçons et des exemples dans leurs familles, où par une dépravation anticipée ils se plaisent à en manier, à en porter sur eux les odieux instruments en attendant d'avoir la force de s'en servir, où aucune voix ne s'élève, pas même celle de la religion, pour les garantir des impressions funestes qu'ils en reçoivent de toutes parts, il semble qu'on ne saurait trop leur donner l'utile connaissance, et leur inspirer la crainte des lois qui les punissent. C'est une triste morale que celle d'un code pénal, que celle qui se fait entendre du haut d'un échafaud, mais une telle morale convient à de telles moeurs.

J'ai extrait du Code pénal les dispositions relatives aux crimes et aux délits qui se commettent le plus fréquemment en  Corse contre les personnes et les propriétés. Ces crimes et ces délits ont presque tous leur source dans un sentiment de vengeance. Le Corse se venge de son ennemi en le tuant ou en dévastant ses biens. C'est là la véritable cause de l'état de barbarie dans lequel se trouve ce pays où l'agriculture est encore dans l'enfance, où il n'existe aucune espèce d'industrie, car comme il n'y a point d'habitants qui n'ait des ennemis déclarés, ou qui ne craigne d'avoir des ennemis secrets, il n'y en a point aussi qui ne crût livrer à leur ressentiment sa fortune, en l'employant à des entreprises agricoles ou industrielles, et sa vie, en habitant sur ses propriétés rurales ou même en y allant sans être armé ou accompagné.

    Les Corses qui aiment mieux accuser toute autre cause que leurs moeurs du peu de progrès de l'agriculture et de l'industrie parmi eux l'attribuent tantôt au manque de population, tantôt à la cherté de la main-d'oeuvre et tantôt au peu de fortune des particuliers. Ils confondent les effets avec les causes, faute de remonter à la cause première qui leur en ferait voir le véritable enchaînement.

    Et comment pourraient-ils avouer ou même soupçonner que leurs moeurs dont ils s'honorent soient la cause de l'état honteux de barbarie où ils se trouvent? Leurs préjugés n'ont pas seulement dépravé leur raison, ils ont corrompu jusqu'à leur langue. C'est un peuple qui, par les idées les plus communes du juste et de l'injuste, comme par les mots qui les représentent, ne peut plus s'entendre avec les autres. Ce que nous appelons vol à main armée, que le voleur ait fait ou non usage de ses armes, ils l'appellent assassinat, assassinamento; ce que nous nommons assassinat, ils l'appellent vendetta; l'incendie, la dévastation des propriétés est un autre genre de vendetta; et ce nom appliqué aux plus grands crimes suffit pour les justifier.

    Les jeunes Corses apprendront dans le code pénal à nommer, à définir, à détester les crimes; ils y puiseront un autre langage, d'autres opinions, une autre conscience… »