LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE ET LES DANSES

 
LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE ET LES DANSES
 
 
 
On trouve dans la littérature des rapports épars sur les instruments de musique et leur utilisation en Corse .
 
     Les instruments bruiteurs les plus simples, agités par la main des enfants,  retentissaient ensemble dans les églises des villages pendant les offices des Ténèbres, le Mercredi, Jeudi et Vendredi saint. En plus des instruments utilisés à d’autres l’occasions (conques marines ou cornes de Triton, cors/cornes, de vache, cornes de vache et de chèvre, sifflets, flûtes et chalumeaux, desquels ceux fabriqués par les enfants en écorce de châtaignier compressée ou en tige verte) résonnaient le bruit des poignées de porte en bois et les battoirs de porte (batachja, battanti, tutalega, gruccula, grucculone, cruchjulone) et de plus ou moins grandes crécelles  (ragana, raganella, raganetta, raghia, raghione, raganone, raglia, raghja, ratachja, grachja, troccula, barabattulla), une forme spéciale d’un tuyau en bois dont une longue langue a été découpée et qui racle à l’extrémité du tuyau comme une sorte de taquoir contre un moulinet de bois à roue dentée  (trapachja, trapachjone), claquettes de bois, faites d’une poignée  avec une planchette de bois, sous laquelle sont fixés deux petits battants flexibles, qui par secouement,  butent contre la planche se trouvant au-dessus (taccule), des castagnettes en  forme d’une planchette de bois avec une poignée d’environ 15 cm de longueur et 3 cm de largeur, à laquelle était fixée une deuxième planchette flexible, qui par secouement,  bute contre l’autre ; on en utilise dans chaque main une paire (chjocche).  Pendant les offices de la  Semaine Sainte, seuls le bruit produit par des instruments de bois étaient permis, pas ceux émis par des métaux, car leur son pourrait rappeler le son de cloche. Le bruit habituel est renforcé par celui qui est provoqué à l’aide des martinets et bâtons qui frappaient sur/contre les bancs d’église. On appelait même ce bruit : (chjocche, chjocchi, tocchi, tardamodul , presque la même sorte de bruit a été  émise lors de  « charivaris », Ce « charivari » bruyant ressemblait à un miaulement aigu. Il était en usage à l’occasion du  remariage d’une veuve ou d’un veuf.
 
Les instruments de bergers les plus anciens : Corne marine ou corne de triton, corne de vache ou de chèvre, trompette d’écorce, flûtes, chalumeaux et guimbarde (harpe juive) ont disparu de l’usage.
 
La corne marine ou corne de Triton (cornu ou cornu marinu) appelé plus tard culombu était toujours l’instrument du berger qui lui servait depuis les temps anciens pour communiquer avec le chien, le troupeau et les autres bergers. Il servait à rassembler le troupeau, à chasser les animaux sauvages et à chasser. Cet instrument a également servi de trompette de guerre et symbolise donc depuis des siècles la lutte pour la liberté et l’indépendance . Le trou de soufflage est réalisé en retirant la pointe de la gaine du rouleau de triton. Le son de l’instrument est pénétrant et porte très loin.
 
Dessins des instruments de musique réalisés par Marcel Poggioli dans « les chansons de Cyrnons » de Xavier Tomasi (1932)
                                                                                                                             (cf.planches des pages 116 et 117 jointes)
 
 
Cialambella  (S.51)
Cornamusa (S .29)
Culombu ou cornu marinu  (S.96)
Pirula de Multifau, Balagna –reste obturé à l’extrémité large réalisé d’après une photo de Wolfgang Laade
 
Cetera (S.21)
Riebula (S.20)
Étui de bois de bruyère pour guimbarde (Riebula) 
 
La (tomba, pifina) a été également utilisée comme un instrument de berger. D’un diamètre aussi épais qu'un bras, elle pouvait mesurer jusqu'à un mètre de long, Une pièce d'écorce a été enroulée sur elle-même et agrafée par des chevilles en bois de bruyère (Arrighi 1970 : 157).
 
Le cornu pirula était une corne de chèvre ou de vache percée. Cette pièce désignée pirula au musée de Bastia est percée de six trous à jeu qui sont situés au-dessus de l'extrémité pointue  et d’un trou plus grand en forme de carré qui est situé en-dessous de l’extrémité large du tuyau, elle-même bouchée. L'extrémité pointue est taillée pour créer l’embouchure. Quant à son utilisation, rien n’est vraiment connu, sauf qu'elle résonnait en association avec d’autres instruments bruiteurs lors des « Offices des Ténèbres » et du Charivari. Pour cette seule utilisation il n’était nullement nécessaire que l’instrument soit en mesure d’émettre un ‘son harmonieux ou mélodieux, et pourtant il offrait cette possibilité. L‘exemplaire présent à Bastia était mis sous clef dans une vitrine et ne pouvait donc pas être examiné de plus près. il s’agit sans doute d’un pendant corse d’un instrument semblable à la corne des bergers de la Scandinavie ou d’ailleurs, et il a sûrement servi à jouer de simples mélodies.
 
L’ocarina d’argile (fischju di conca ) n'est citée qu'en rapport avec le bruit de la Semaine Sainte et la charivari, pourtant elle aussi, munie de trous à jeux, elle pouvait tout à fait être utilisée comme un véritable instrument de musique.
 
Une image, titrée « Bergers avec leurs Instruments de musique » de l'Abbé Galletti (1863) montre l'un des bergers avec une flûte tenue verticalement ou  chalumeau, pendant que l'autre joue une flûte de pan (cornamusa), il n’existe apparemment qu’un document corse de ce type, sa valeur documentaire reste donc cependant toute relative.
 
Le sifflet de bois de châtaignier à  trois ou quatre trous à jeu est mentionné plusieurs fois (fiscula, fischju, fischjellu, fischjulellu) .ainsi qu’un chalumeau conique à son perçant et nasal, fabriqué d’un tuyau du  bois de sureau à double feuille et à six trous à jeux (cialamella, cialambella, aussi zampogna). En 1958, les deux instruments étaient encore connus des personnes les plus âgées anciens dans la Castagniccia, le Niolu et la Balagna, quelques-uns entre d’eux en avaient joué autrefois, mais il n'était plus possible de faire un enregistrement sonore. Le lecteur ne devrait donc pas s’étonner du fait que souvent dans les descriptions on mélange les noms des instruments et que le deuxième instrument soit généralement désigné comme « flûtet ». Dans ce cas, la description de Xavier Tomasi (1932 : 20) est absolument correcte .
 
À côté des flûtes et des chalumeaux, la cornemuse (cornamusa et zampogna) était très répandue au XVIIIe siècle. Elle a été importée d'Italie. Dans la berceuse « Nelli monti di Cuscioni » (n° 46-57 ; texte dans Tomasi 32, strophe 4, dernier vers), la cornemuse est appelée caramusa. Des descriptions plus précises font défaut. L’abbé Germanes la mentionne en rapport avec un cortège de mariage.
 
 
 
- l’accompagnement au nouveau domicile de la fiancée - dans la seconde moitié du XVIIe siècle (Arrighi 1970 : 157 s.). Encore vers la fin du XIXe siècle la cornemuse (cornemusa) était d’un usage isolé et on la trouve mentionnée dans les ouvrages  de l'époque. Le père d'un de mes informateurs déjà un peu âgé, de la Balagna, pratiquait encore la cornemuse en 1958 .
 
Tomasi (1932 : 20) décrit la guimbarde (riebula) et sa musique :
 
« La ‘riebula’ (guimbarde), petit Instrument en acier, très en vogue en Corse jusqu’ä ces derniers temps, s’accommodant surtout aux morceaux lents et expressifs; … Bien rare était autrefois le berger qui n’avait pas sa guimbarde soigneusement renfermée dans un étui de racine de bruyère ou de bois minutieusement sculpte par lui-même pendant les longues heures de loisir. Nous avons entendu des jeunes filles en jouer avec un rare talent et une grande habileté. Sans avoir complètement disparu, la guimbarde est aujourd’hui ä peu prés délaissée, ainsi d’ailleurs que les autres Instruments. »
 
En 1958, l'instrument était encore connu des personnes âgées, mais il n'était pratiquement plus en usage. Arrighi souligne (1970: 158) à combien l'instrument fut apprécié au 18ème siècle : "dans  l'inventaire d'une boutique bastiaise, établi en 1742, on en relève quatorze douzaines".
 
D’après Boswell (1768), il n’y avait que peu de Corses à l'époque qui ne savaient pas pratiquer cistre  ou guitare, et même occasionnellement le luth (Arrighi 1970 : 156). Par cistre, il faut comprendre cetera, cet instrument connu  aussi sous le nom  « cister »  était de l’importation italienne, équipée de 16 cordes métalliques qui sont pincées à l’aide d’un plectre en corne (penna). Lors de la visite de Gregorovius (1853), l’instrument était encore connu des personnes âgées à Calvi et en Balagna – donc dans les régions sous influence italienne - alors que les plus jeunes n’en jouaient déjà plus. Dans la Castagniccia, même parmi les anciens, on ne le connaissait plus. Dix ans plus tard, l'abbé Galletti (1863: 67) remarque, que l'instrument a été utilisé lors les sérénades, mais serait cependant aujourd’hui  remplacé dans certains villages par le violon et la guitare.
 
L'auteur anonyme de la « Description de la Corse » parle déjà d’une sérénade avec accompagnement de guitare en 1739, et à  nouveau, on le trouve chez  l'abbé Germanes dans les années soixante-dix du même siècle (Arrighi 1970: 230). Jaussin vit en 1739 lors d’un mariage  la guitare comme « instrument accompagne les danses »  (ib. ; 236). 
 
Le violon, depuis le XVIII siècle,  était de toute évidence l’instrument favori pour l’accompagnement des danses (Arrighi 1970 : 245). Longtemps il semble avoir été en concurrence avec la cornemuse et il aurait définitivement supplanté  cette dernière au cours du XIXe siècle. Xavier Tomasi (1932 : 16 f.) entendit - probablement au changement du siècle - des danses accompagnées au violon, mais encore plus fréquemment à l'accordéon (organettu). À Sermanu, en 1958, on découvrit  le dernier groupe existant de deux violonistes qui, souvent, avec un guitariste accompagnateur, interpréta les danses du XIXe siècle d’une manière caractéristique : le deuxième violon jouait partiellement avec le premier, et partiellement, à deux voix sur les cordes à vide.
 
Mathieu Ambrosi mentionne un vieux violon à trois cordes qui était utilisé parallèlement à la guitare au XVIIe siècle pour accompagner des chants (Ambrosi in Revue de la Corse 16, 1935 : 39). Nous aurions aimé en savoir plus à ce sujet, notamment sur le genre de chants ainsi accompagnés, afin de déterminer s’il s’agissait de chansons italiennes de l’époque « à la mode » ou plutôt de morceaux du genre currente corse. À l’origine, ce dernier aurait même pu être accompagné par la cornemuse, comme le laisse supposer ce style particulier de jeu de violon pour le currente, avec ses passages et ses figures agiles. En fait, je n’ai pu découvrir qu’un seul parallèle stylistique accompagné de la cornemuse (gaita) : les asturianadas de la province espagnole des Asturies. Malheureusement, le currente corse appartient désormais au passé : le dernier chanteur et violoniste du currente, Don Mathieu Giacometti de Sermanu, que j’ai pu enregistrer sur bande magnétique en 1958, est décédé en 1965.
 
Vinciguerra (1967 : 66 note) affirme que l’accordéon (organettu) était très apprécié des jeunes, mais n’indique pas quand il a fait cette observation. Lors de mes visites en Corse, je n’ai jamais vu ni entendu l’instrument. Tomasi, mentionné plus haut (1932 : 16 f.), assure qu’il a vu les danses de village fréquemment accompagnées par l’accordéon, et il semble que l’utilisation de ce dernier supplantait celle du violon à cette époque. Nous parlons probablement ici de la période du changement du siècle.
 
En 1863, l’abbé Galletti (1863 : 67) rapporte l’extraordinaire popularité des pianos. Certains Corses avaient appris à jouer du piano dans des écoles françaises, dans des villes corses ou, pour certains hommes, à l’armée. La musique instrumentale pure était particulièrement populaire auprès des jeunes filles ; l’abbé Galletti leur attribuait un véritable engouement pour le piano. À l’époque, toutes les familles de bonne réputation possédaient un piano pour leur fille, comme dans toute l'Europe. Les jeunes hommes ne s’y intéressaient pas dans la même mesure.
 
En rapport avec  les instruments de musique on parlera ici des danses les plus importantes. Comme danse la plus ancienne est désignée depuis toujours « A Muresca », un spectacle de la lutte entre chrétiens et sarrasins, accompagné de musique faisant probablement référence à la défaite qui a été affligée à ces derniers en 816 à Mariana. La première moreska, représentée en 1785 à Vescuvatu, nous a été racontée par l'abbé Gaudin (restituée dans la « Revue de la Corse » 15, 1934 : 1 ff.). Gaudin qui pense qu'elle devrait déjà avoir existé au 13ème ou même au 11ème siècle, ne fait cependant référence à aucune source. Benson désignait la moreska  (1825 : 40) comme: ... «  à very favourite spectacle of the corsicans » …  (en anglais chez Laade). Robiquet estime (1835 : 446) déjà qu'elle est devenue rare, tandis que Valéry (1838 : 45) informe, que depuis un demi-siècle, elle n'avait plus été représentée sur le Cap Corse .
 
La moresca corse était un rituel de danse animé de  deux groupes d’acteurs en magnifiques costumes dont l’un groupe  représentait les chrétiens et l'autre les maures. Le spectacle, dont l'Abbé Gaudin était témoin, comptait douze figures aux chorégraphies différentes, mais toutes essentiellement portées par les formations et premiers plans qui changent sans cesse et par la variation perpétuelle de la position des participants qui, en vis-à-vis, frappent d’une manière rythmique et précise leurs courtes épées métalliques l’une contre l’autre. Une ronde particulière du jeu de danse était caractérisée par un frappement rythmique des pieds. Chaque figure fut introduite par un dialogue entre un représentant des chrétiens et un représentant des maures. Le jeu se termine  par la victoire symbolique des chrétiens et l'expulsion des Maures de la ville de Mariana.
 
Comme nous le faisait habilement remarquer l'abbé, tout le déroulement de ce spectacle, si impressionnant et grandiose qu’il fût, ne reposa que sur le jeu d’un seul violon. Ses remarques concernant la présentation musicale pendant ce spectacle, l’abbé les a notées  dans (Revue de la Corse 7, 1926 : 148-9) :
« Toute cette danse s’exécute au son d’un seul violon; les airs n’en sont point notés; ils se sont transmis par la tradition ainsi que la danse; ils sont simples, mais la cadence en est fortement prononcée, telle qu’il la faut pour agir sur une multitude d’hommes rassemblés et les faire mouvoir uniformément. Je n’hasarderai rien sur le caractère de cette musique; elle m’a paru agréable, mais je n’ai point assez de connaissance de l'art pour donner une idée ä ceux qui ne l'ont point entendue ». 
 
En 1958, à Belgudè (Balagna) un homme chanta devant moi la mélodie qu’autrefois son père avait l’habitude de jouer sur la cornemuse pour une moresca (cf. enregistrement n° 214 - catalogue W. Laade), L’enregistrement montre que la « moreska » était au moins connue jusqu’à la fin du XIXe siècle - en Balagne-, et que la cornemuse servait également d'instrument d'accompagnement.
 
Au XVIIIe siècle, apparut en Corse la tarentelle  à caractère napolitain, par exemple dans le jeu de danse « Zilimbrina »  (enregistrement n° 212), (Arrighi 1970 : 245). Gregorovius mentionne que cerca, marsiliana et tarantella se pratiquaient encore toutes à des mariages dans les villages au moment de son séjour en 1853. D’après Arrighi (1970 : 245), les danses d'origine provençale arrivèrent au cours du XVIIIème siècle avec les troupes d'occupation françaises en Corse. Vers la fin du XIXe siècle, elles avaient déjà disparu. La marsiliana du moins était une telle danse provençale, tout comme celle  que Tomasi (1932 : 16 s.) appelle la tarascona. La chanson enfantine corse « Ziu Andri » (n° 215) est un exemple de danse provençale en Corse.
 
Le récit de Bigot sur Bucugnà en 1868 (Bigot 1971 : 34, ou plutôt sa reproduction dans U Muntese (17, 1971 : 132) montre qu’à la campagne on ne dansait pas fréquemment et qu’en principe la danse n'était pas très estimée   . 
« on ne connaît ni jeux publics ni danses: celles-ci sont regardées comme plaisirs interdits aux femmes ou filles honnêtes ... Au village, une jeune femme qui danserait serait perdue de réputation ». 
 
Mais les fils et les filles de la famille que Bigot étudiait, descendaient pourtant au carnaval  d’Ajaccio, où ils participaient à un bal masqué dans la salle de spectacle :
« Point n’est besoin de dire que toute cette jeunesse est soigneusement masquée et costumée, parce que, si au village pareilles incartades étaient connues, la déconsidération atteindrait bientôt les jeunes filles. Mais le masque suffit pour faire taire les plus soupçonneux ... Les jeunes M... ont, plus d’une fois, fait partie, pendant le carnaval, de cette curieuse danse moresque dont le Souvenir est encore vivant, à la montagne, et que l’on appelle  'le regine’ (ou moresca) ».
 
J. E. Rossi parle des danses qui sont encore pratiquées en 1900, à savoir : conca, marsiliana et tarantella (citations dans A. de Croze 1911 : 14), dont Austin de Croze ne pouvait déjà plus trouver trace des deux premières. Tomasi (1932 : 16 f..) aussi mentionne la marsiliana, qui est fréquemment citée dans la littérature mais jamais décrite. Elle avait disparu à l’époque de Tomasi, tout comme la conca, dont nous savons tout aussi peu de choses. De la tarascona et de la monferrina d’origine du Piémont, Tomasi - du moins – autour du changement du siècle – en entendit encore parler occasionnellement, mais en son temps on ne la danse plus, et seulement quelques personnes âgées s'en souvenaient. Ce que de Croze (1911 : 115) rencontre encore, sont polka, mazurka et valse jouées à l'accordéon.
A part ces dernières, qui alors, appartenaient aux danses usuelles de l’Europe du XIXe siècle, on doit encore citer les danses « quadrilles », les scottishs et marches. Elles étaient de coutume jusqu'au courant de notre siècle, et j’ai pu encore en faire en 1958 et 1973 à Sermanu des enregistrements sur bandes sonores. Cependant, ces deux violonistes de Sermanu devraient être les derniers « violoneux »  de l'île et probablement les seuls musiciens qui jouent encore les anciennes danses.
Probablement toutes ces danses arrivèrent en Corse par la France et repoussèrent peu à peu les danses italiennes plus anciennes. Une comparaison des danses pour violon, prises à Sermanu - seul ou à deux accompagnées à la guitare - montre des similitudes remarquables avec la musique des "violoneux" de l'Auvergne et du Dauphiné, représentée sur deux disques récemment édités . Très frappante est également la ressemblance avec des enregistrements faits par moi-même (le 1er violon : mélodie avec beaucoup de doubles cordes; 2ème violon : quintbourdon sur cordes à vide ; guitare : basses à suppléments d'accord) avec les exemples italiens de Frioul  (2 violons à une voix : mélodie ; violoncelle : quintbourdon) et avec l’autre d’Emilia  , le violon : mélodie ; guitare : basse à caractère bourdon (en continu).
Mais à une telle musique, les particularités nationales ne pourraient que reculer à l’égard du style usuel de toute l'Europe à l'époque. 
Simon-J. Vinciguerra (1967 : 65 ff..) décrit dans son article « Cantori et Sunadore »  caractère et répertoire d'un violoniste villageois typique du début de notre siècle. Il s'agit de Ghjuvan-Vitu (Jean-Vitus) Grimaldi de Petra-di-Verde, violoniste, chanteur de currentes, chanteur de paghjelle, choriste paroissial, un pur musicien que l’on voyait se produire à toutes les festivités et qui, en plus de son violon, jouait aussi de la guitare, de la mandoline et de l'accordéon.
« Jean-Vitus jouait a pratica, di rutina (de routine). Il connaissait le nom des cordes, adorait a cantina ou canterina (la chanterelle), et prononçait u Rè (le ré) comme il aurait dit le Roi. Il exécutait tout les nuances en ignorant les termes de dièse, de bémol ou autres. Pour lui, l’orechja suppléait à tout, une prodigieuse oreille musicale que pouvaient lui envier bien des professionnels ». 
«  Sa technique et son répertoire, il les tenait, pour l’essentiel, d’un vieux maître en son genre qui avait donné des leçons à Cervioni, et rayonné dans la région, au gré des solliciteurs. On devinait que l’élève avait bien travaillé, puisque ses doigts, marqués par l’usage de rudes outils, avaient acquis la souplesse exigée par le maniement de l’archet. Puis le goût, la fantaisie et la mémoire avaient fait le reste. Ses tonalités préférées, le Ré et le Sol, lui permettaient des effets faciles, en offrant par les cordes à vide les bonnes notes du ton. Mais il ne reculait pas devant les combinaisons plus complexes. J’ai conservé le souvenir, au moins partiel, de la plupart des mélodies qu’il jouait: bien peu appartenaient à la musique française, si l’on excepte l’hymne national, le ‘Chant du Départ’, quelques chansonnettes en vogue, comme ‘La Paimpolaise’, ‘Viens Poupoule , ou ‘La Tonkinoise’, que les jeunes lui demandaient, d’autres airs encore qu’il pouvait reprendre dès la seconde audition. Ses préférences, cela va de soi, étaient pour les chants du terroir et pour la musique italienne: paghjelle, sérénades, lamenti, berceuses, barcarolles, chansons napolitaines et danses diverses: le ballansè et le punta è taccu (boléro?), le tarascone et la monferina, dont je n’ai rien retenu. Le rondo qu’on retrouve dans la chanson de ‘Ziu ‘Ndri’:
 
En avant`, furmemu lu rondu
Pigliemu la cima, lu mezu è lu fondu,
E per fà cuppià la rima,
Pigliemu lu fondu, lu mezu è la cima !
 
A currente (la courante), vieille danse italienne, qu’on ralentissait parfois pour y adapter des paroles de sérénade , ou qui, plus rapide, s’agrémentait d’étourdissantes variations sur la chanterelle. U quadrigliu (quadrille), bien rythmé, qu’on dansait encore au début du siècle. Mais aussi des danses plus ‘modernes’, la polka, avec sa guillerette cousine, a scuttiscia (scottish): 
 
La ‘scottish’ est bien gentille 
pour les fllles (ter)
La ‘scottish’ est bien gentille 
Pour les Filles de quinze ans!
 
,, Des mazurkas, dont l’une, tres demandée, devait beaucoup ä une célèbre mazurka de Chopin, et l’autre qui, plus répandue, était aussi plus vulgaire:
 
Sì in collera (ter) cun mè,
Ma dimmila (ter), perchè ? 
 
,, De nombreuses valses, issues du folklore:
 
Ma Ghjorghiu hà tombu un omu 
`n lu boscu è nun si sà
 
D’autres venues peut-être d’Autriche, en passant par l’ltalie, comme la Valsa vienna, qui désignait toute valse lente et chantante. Enfin de nombreux airs d’opéra. Pas un seul Français dans le nombre et pas un ‘veriste’ italien, pourtant en grande vogue. Mais par contre, du  Donizetti, et surtout du Verdi ä profusion, notamment la pathétique ‘Traviata’. Avec Trovatore, Rigoletto et Aida, la ‘Traviata’ fournissait la matière musicale des réunions d’un caractère intime et sérieux . Alors il n’était plus question de batte u taccu, accentuer les temps forts en tapant du talon, de s’étourdir ä improviser et de dispenser de la joie. L’amuseur public devenait le musicien ému qui communiait avec son instrument et captivait son auditoire… 
…,Est-il besoin de dire que dans toute la région, notre instrumentiste et chanteur était le véritable animateur des réjouissances? On le voulait aux baptêmes, communions, mariages, banquets publics, et aux bals familiaux qu’on organisait encore. Lui-même forma des disciples, dont certains sont vivants, mais qui, on s’en doute bien, ne se produisent plus depuis longtemps. Quelquefois, les anciens du village le font revivre dans leurs Souvenirs et se prennent ä fredonner ses chants, tant de fois entendus ».