Homère et Strabon

 

 

    Homère est considéré par les Grecs comme le «découvreur premier » dans maints univers scientifiques :

ὀρθῶς ὑπειλήφαμεν καὶ ἡμεῖς καὶ οἱ πρὸ ἡμῶν, ὧν ἐστι καὶ Ἵππαρχος, ἀρχηγέτην εἶναι τῆς γεωγραφικῆς ἐμπειρίας Ὅμηρον
« mes prédécesseurs et moi, parmi lesquels se trouve même Hipparque, avons raison de considérer Homère comme le fondateur de la science géographique. »
Strabon, Géographie, I, 1, 2

    Commencer par Homère, c’est donc commencer par la somme de chaque science, voilà pourquoi les Prolégomènes de la Géographie de Strabon agitent avec force et conviction la gigantesque question du sort d’Homère dans l’évolution de l’entreprise historico-géographique.
Cet examen apologétique opéré par Strabon de la question homérique pose le problème du rapport des géographes anciens aux informations poétiques, et ce faisant pose celui du statut de la poésie épique comme source d’informations éventuelles. On peut alors se demander s’il est possible de parler de l’existence d’une méthode d’interprétation d’Homère par Strabon.
    La première question peut paraître banale : les références homériques concordent-elles avec la réalité ? C’est selon Strabon le propre de l’exagération ergoteuse et peu digne de l’homme lettré que de chercher une exactitude de détails insignifiants chez Homère, qui n’est pas un spécialiste dans tel ou tel domaine ; le texte homérique n’est pas une encyclopédie du savoir au sens technique mais un ensemble littéraire qu’il faut savoir décrypter ; et on voit bien que ce procédé de déchiffrage implique une certaine part de subjectivité dans les sciences humaines : cela peut partiellement expliquer le dévouement tout personnel avec lequel Strabon cherche à défendre le statut intellectuel d’Homère comme matrice scientifique et dénonce ceux qui refusent au Poète absolument toute possession de savoir.
    Plus largement la conception de la poésie comme imitation de la vie nous amène en fait à considérer avec Strabon Homère comme « instructeur » des réalités de l’existence en général et par la même occasion, de réalités géographiques en particulier. C’est pourquoi il ne peut être qu’un « homme de bien (parce qu’il est) poète de bien » et son but principal est bien l’enseignement. Chacun d’entre nous est naturellement avide de savoir et il éprouve du plaisir à accroître ses connaissances ; donc, quand l’agrément de la poésie s’ajoute à l’édification de l’esprit, il y a encore plus de plaisir. Homère et sa poésie sont donc une source fondamentale d’élévation intellectuelle.