BUNIFAZIU IN VERSI

Traditionnellement, le 16 août, DI GHI DI SCE et sa grande soirée de poésie....

Scontri di 16.08.2004
On prépare la soirée : A. di Meglio aux commandes

On prépare la soirée : A. di Meglio aux commandes

On prépare la soirée : le groupe "Serinatu"

On prépare la soirée : le groupe "Serinatu"

G-M. Comiti

G-M. Comiti

M. Mannerini

M. Mannerini

I Gargarozzi

I Gargarozzi

M-A. Salles

M-A. Salles

M-H Ferrari

M-H Ferrari

Madeleine Pugliesi

Madeleine Pugliesi

A. di Meglio

A. di Meglio

C. di Meglio

C. di Meglio

Pagine : 1 2 3 4 5

Sbucciatu da la sciuma di issu mari prufondu
Porta di l’orienti
Bunifazziu in versi ou le regard des mots

(scrittu è mandatu ci da Alanu Di Meglio)

Bunifaziu in versi (Soirée poésie et chanson) a constitué le thème de la soirée festive de l’association culturelle Di ghi di scé de Bonifacio.
Cette soirée a choisi depuis 1996 la date du 16 août. Le jour de la Saint Roch les Bonifaciens avaient pour habitude de se réunir pour un pique-nique traditionnel. L’association a voulu relancer dans une forme nouvelle le côté convivial de la Saint Roch.

Cette année c’est le thème de la poésie et du chant qui a été retenu. L’esprit de la soirée fut pensé pour aboutir à une évocation culturelle et festive de Bonifacio sans clichés. Ce dernier terme devant être pris dans une double acception : n’utiliser que la projection, la déclamation ou le chant du texte (pas de photos ou d’images donc) ; aller vers une évocation tous azimuts afin d’entrer non seulement dans la complexité identitaire mais dans le plaisir d’une poésie de qualité que l’on a rarement l’occasion de partager de façon populaire. Le fait de faire savoir qu’il existe une production de qualité dans l’île aurait pu aussi figurer à l’ordre des objectifs de la soirée.

La programmation a donc fait le choix de construire une évocation très hétérogène du point de vue des textes de façon à allier l’esthétique au témoignage, le littéraire à l’ethnographique. Un moment qui tienne à la fois du regard, de la vision et du vécu. L’intention était de puiser dans le spectre large des constructions identitaires possibles à partir de la production de textes en vers sur et dans le lieu particulièrement fécond qu’est Bonifacio. Témoins les deux témoignages ethnographiques choisis : un hymne religieux en français Cœur sacré chanté depuis 1901 lors de la fête Dieu en juin et un chant de revendications populaires en bonifacien de 1911 sur l’air militaire de Sambre et Meuse. Mélange des cultures et contrastes sociaux qui font que le premier est un véritable brûlot anti-laïque d’Augustin Piras, ancien maire, en plein conflit de séparation de l’Eglise et de l’Etat et le second un témoignage de la montée de la contestation ouvrière et syndicale juste avant la guerre 14-18 qui laissera Bonifacio exsangue comme le reste de la Corse. Deux textes qui ont intégré la tradition bonifacienne.
Cette pluralité a tenu compte des langues puisque le bonifacien, le corse et le français étaient concernés. La traduction en français a servi de lien entre les textes. Par le jeu de la projection sur écran géant de la traduction, l’ensemble du public a pu avoir accès au sens.

I. Le rendez-vous poétique

A. Michel Auzet / Jacques Thiers : rencontre au point exact

C’est la rencontre entre Jacques Thiers et Michel Auzet qui a été un des moteurs de la soirée. Jacques Thiers est professeur des universités, auteur et spécialiste de littérature corse. Sa venue a été motivée par son poème « Promontoire d’exils » en version corse et française. Michel Auzet est professeur agrégé de lettres classiques et a publié un ouvrage poétique sur Bonifacio en collaboration avec le peintre Idir (Bonifacio, Romain Pages Ed. Sommières, 2002).
Le principe fut de demander à chaque poète de découvrir et de présenter l’autre uniquement sur la base des textes et non d’éléments biobibliographiques. Le parti pris de la rencontre fut de proposer un corpus de textes à chaque auteur de façon à dégager une pertinence subjective de Bonifacio, lieu de littérature.

Esilii di u Piali

È s’è no ci ghjuchessimu
à sbruffulà ci l’anni
per sopra à l’alta rocca
duv’ellu trizineghja
un ventu di calcina?

A cità anderia
in cima à i sogni
eo mi vesteria
cù i lenzoli di stu tempu.
E centu spoglie amate
ùn ci ponu dì nunda
di ciò chì mi s’aspetta
à l’orlu di sta vita.
Bilanciu di a corsa
à u tempu arresu
perchè ripiglià fiatu
chì terra ùn ci n’hè più ?

Vecu un filu d’argentu
quallà
in a memoria
una sponda scurdata
nantu à un schiffu sbaccatu :
saranu stati mei
issi ghjorni chì ùn sò più ?

L’isule si sò lampate
cum’è casci asciutti
alzati à una à una
cascati à una à una.
Pruvonu mille volte
à cantà mi l’arietta
caduta in a cunchiglia
ch’o vurrebbi sveglià
ma hè chjuccuta a notte.

Exils du Piali

Et si l'on samusait
à jeter des années
par dessus la falaise
où crisse un vent de craie?

La ville partirait
sur la cime des rêves
moi je me couvrirai
des linceuls de ce temps
Mille dépouilles aimées
ne sauraient rien prédire
de ce qui m'attend
à l'ourlet de nos vies.
Bascule de la course
au temps qui n'en peut plus
pourquoi reprendre souffle
quand la terre n'est plus ?

Je vois un fil d'argent
au loin
dans la mémoire
une côte oubliée
sur une proue fendue :
étaient-ils bien les miens
ces jours qui ne sont plus

les îles sont tombées
comme des feuilles mortes
une à une dressée
une à une abattues.
Cent fois sur le métier
elles ont remis l'ouvrage
d'une romance chue
au creux d'un coquillage
que je veux reveiller
mais le soir est têtu.

« Le promontoire d’exils » de Jacques Thiers présenté par Michel Auzet a été l’occasion de rendre compte d’une approche de l’île de l’intérieur. Le pluriel d’exils vient au départ troubler la lecture. Michel Auzet y perçoit un désir inassouvi d’ailleurs qui marque à la fois une question angoissée sur l’enfermement ou le repli et une frustration (classique) d’une maturité de vie qui clôt le passé (« les linceuls de ces temps », « mille dépouilles aimées ») et qui laisse l’avenir de plus en plus incertain (« pourquoi reprendre souffle quand la terre n’est plus »). Sur ce passage (bascule et/ou bilan – dans le texte corse - de la course), cette approche du temps trouve pleinement sa place à Bonifacio. La falaise, le promontoire caractérisent bien un lieu bascule où l’axe est le midi de l’homme. Les îles s’envolent alors comme autant d’espoirs et retombent à l’automne des désirs ou au démon de midi. La symbolique, chère à Prévert, des feuilles mortes est reprise ici ; elles se métamorphosent en îles intermédiaires.
Cette approche de l’île confins et des îles désirs, espoirs, regrets et/ou exils n’a pas échappé à Michel Auzet. Le jeu de l’île terre singulière et des îles exils au pluriel l’a vraisemblablement troublé. Mais Bonifacio est bien là comme une limite qui ouvre sur le rêve. Il relève bien la métaphore de l’ourlet d’un coquillage que l’on porte à son oreille où le poète recherche en vain le sens des jours à vivre quitte à laisser la question de la table rase du passé en suspens (étaient-ils bien les miens les jours qui ne sont plus ). La dernière phrase tomberait-elle alors comme une forme de renoncement à des rêves, des projets dont on est amoindri, comme un exilé ? Autant d’exils sentis du haut des falaises « promontoire d’exils ». « Mais le soir est têtu » dit le poète dans son inexorable après midi. Le coquillage comme médium ne suffirait pas à « réveiller » certains échos qui ont sans doute nourri le sens de la vie. Le jeu évoqué à la première strophe n’aurait donc pas fonctionné (et si l’on s’amusait…)
Ce riche texte de base sert d’ailleurs de relais aux choix suivants de Michel Auzet dans le cadre de son approche du dire poétique de Jacques Thiers. Ulysse en devient une déclinaison. On retrouve le thème des « amputés de départs » comme au bord de la falaise avec le ricanement « des rêves comme des mondes perdus ».

Ulissi

Quanti simu l’Ulissi
mozzi di e partenze
firmati nantu à sponde
è tenimu in manu
u pezzacciu di canapu
pendiconi
duv’elli scaccaneghjanu
sogni tamant’è mondi persi.

Ulysse

Combien sommes-nous d’Ulysse
amputés des départs
restés sur le rivage !
Il ne nous reste en main
qu’un morceau de corde
qui pendouille
où ricanent des rêves
grands comme des mondes perdus.

Le choix se porte encore sur la capacité du poète à figer le temps comme cette Halte blanche, couleur des bras de Nausicaa (mais pour nous ce soir-là la halte blanche c’est Bonifacio) ou comme Le point exact, où l’on retrouve le thème du midi (point de rencontre « du soleil et du temps ») où le poète affirme son pouvoir d’éterniser. Figement, arrêt ou enchantement (au sens légendaire) que M. Auzet choisit encore de présenter à travers deux autres poèmes liés au couple : Tendus et Lits.

L’arretta bianca

A stonda
l’arretta bianca
tutta sole tutta fretu
in i mo ghjorni
cusgita
hè spechju
duv’elli voltanu tutti i stalvati
spulati per sopra à u capu
u tempu hè frombula
pè isse tolle di nustalgia.
S’o fussi in tè, o Ulisse,
mi ne stava arrimbatu
à a fica o à l’alivu,
a pelle bianca,
u tintinnume di l’anelli,

La halte blanche

L’instant
la halte blanche,
tout soleil et toute glace
cousue
à mes jours,
est un miroir
où reviennent toutes les histoires
soufflées au-dessus de ma tête.
Le temps est une fronde
pour ces boulettes de nostalgie.
Si j’étais toi, Ulysse,
je resterais appuyé
contre le figuier, l’olivier,
une peau blanche,
un tintement d’anneaux,
ô Nausicaa.

Au point exact

S’asseoir
au point exact
où s’unissent le soleil et le temps,
sans entrave.
Et tant pis pour tout
ce qui refuse de s’arrêter.

À u puntu ghjustu

Pusà
à u puntu ghjustu
duve sole è tempu si basgianu
senza intoppu.
Tantu peghju per e cose
chì ùn volenu stancià

Lits

Nous en aurons couché
des statues de silence,
avec nos corps unis.
Et nos cœurs repassés,
rangés au fond du lit.

Letti

Ne averemu stracquatu
statule di silenziu attente,
à persone accuppiate.
Cù i nostri cori stirati
allibrati in fondu di u lettu.

En parallèle, Jacques Thiers choisit de nous faire découvrir la poésie de Michel Auzet sous un double aspect faussement contradictoire : le regard sur un Bonifacio vidé de ses gens donc mis hors du temps et, dans une seconde série, le traitement singulier de la présence humaine. Jacques Thiers cherchant alors le contre-pied du poète du minéral et des éléments qui revendique le complément des superbes toiles bonifaciennes du peintre Idir, elles-aussi vides de gens.

Pressés de quels abysses
Sous le granit
Ces rondeurs de calcaire
En lents débordements ?

Muet hiatus d’une roche l’autre…

Les vents y lancent d’autres verts…

**

D’en un enclos de pur silence
Quand le soleil encore blanc passe
Les cistes et le fenouil et les herbes de cendre
La ville retrouve enfin sa minéralité

La mer est lie de vin un moment
et irise
autour de ses rochers
dans la plaine liquide

Les minces graffitis
Des hommes qui s’agitent
Ombres déjà rupestres
Malgré leurs cris

(Sur les rochers)

Souffle I
(renverse)
À la peau
le vent change
et l’esprit se surprend

Puis c’est tout le tympan
d’une mer qui respire

Souffle 2
Comme si de rien n’était
l’air
dans les branches du belumbra

Michel AUZET

Par les choix d’une première série, Thiers présente aussi la capacité du poète à se dégager du temps. Elle est rendue ici par le minéral et le vent. Fidèle de Sutt’a Rocca (sous la falaise), Auzet sait la sédimentation réelle et symbolique du calcaire sur le granit qu’il rend en « muet hiatus d’une roche l’autre » : on pourrait écrire trois pages rien que sur cette assertion poétique ! En présentant ce premier texte, Thiers nous signifie d’emblée qu’Auzet a tout compris du paradoxe minéral bonifacien qui vient s’écrire par strates calcaire sur l’échine dure du granit.
Dans cette première série, le choix des textes renvoie bien à cette recherche d’absolu qui rend le paysage squelettique. Les vents eux-mêmes ont du mal à agiter quoi que ce soit (« comme si de rien n’était/l’air… »). Enfin le choix des « minces graffitis », des « ombres déjà rupestres » abîment Bonifacio dans un intemporel à la fois réel et fantastique. Les ombres s’encrent sur les parois et le poète dépose un glacis qui réunit en un instant la multitude des jours. L’effet est patent. Seules les roches et les poètes ont ce pouvoir.
Cette quête par le minéral est fréquente dans la poésie corse. Jacques Biancarelli (A tempara lli ghjorna, la trempe des jours) et ses « tsinni russi » (blocs de granite affleurant au maquis) ou Ceccè Lanfranchi (À via d’ochji, Par le chemin du regard). Tous deux raccrochent l’éternité minérale au sens présent. Ce n’est pas le cas de Michel Auzet incommodé par tout ce qui vient troubler l’absolu élémentaire.
C’est sans doute pourquoi Jacques Thiers choisit de faire voir au public comment l’homme s’inscrit tout de même dans le Bonifacio de Auzet.

Amour lointain.

Un mur blanc au soleil
Et le père :
« Cette neige là-bas
Des équipes vont toujours voir ! »

Dans la dernière longue valse
Sur la piste du sens des choses
Une éternité se déroule
Au sens figé, inscrit de loin.

Liturgies

Des falaises
La ville fiche au ciel
Ses longs murs
En liturgie muette

Les hommes arpentent la place courte
Leur cage ouverte
Sur la mer

-Et derrière la vitre ?

L’air

-Et par l’air ?

Le bleu du ciel.

-Et par le bleu du ciel ?

un serrement

 

La ville épand ses tombes en ville
architecture en répons

L’homothétie était sereine
La mer ajustait les échelles

Le mouvement, à terre, aveuglément, l’ignore

Silence I

Au matin
au silence
la falaise respire
et des allures nobles
parent des fables retrouvées

Et puis
falaises retirées
le grand foirail d'été
aveuglément s'étale

Dans ta carcasse de calcaire
Quelle mémoire est contenue
Qui souffle dans les arches ?

Et d’Est,
le mica de la mer
la peau de la mer fauve
écailleuse !

… Les touristes lèchent des glaces...

C’est d’abord une place parasite : « le grand foirail d’été » vient pratiquement gommer les falaises (« retirées »). Les touristes ne lèchent-ils pas trivialement leur glace pendant que le poète se demande : « Dans ta carcasse de calcaire quelle mémoire est contenue ? ». Les boules de vanille-chocolat font tache sur « la peau de la mer fauve ». Étonnante beauté et modernité du poème que cet éphémère de la crème glacée débilement consommée. Hommes « aveugles » qui « ignorent » les lois intangibles de la nature et des mathématiques. Ainsi, dans cet autre poème des « architectures en répons », il y a une vraie trouvaille poétique dans l’« homothétie sereine » évoquant les tombes symétriques à la ville. L’image bâtie à partir du « Cannicciu » cimetière ajaccien (aux dires mêmes de l’auteur) n’a aucun mal à s’appliquer à Bonifacio.
Mais finalement, et Jacques Thiers ne choisit pas le poème « Liturgies » au hasard, le thème des hommes qui « arpentent la place courte/leur cage ouverte/sur la mer » en « liturgie muette » revient comme une antienne, comme la confirmation d’une rencontre tout à fait évidente. Car au bout du compte, elle participe bien d’une élaboration de l’image littéraire du lieu. Le socle minéral est là comme un arrêt, une halte de rêve et comme un élan, hors de l’île-cage. Qu’il soit de liturgie(s) ou d’exil(s), qu’il soit d’ombre(s) ou de chimère(s), le jeu du singulier et du pluriel y est fondamental.

Ce soir-là les poètes nous ont donné rendez-vous « au point exact », à Bonifacio, pour ciseler encore notre regard.

B. Bonifacio entre témoignage et nostalgie

MH. Ferrari, F. Canonici, M. Ceccarelli, J. Fusina, B.Baccara/JM Thomas (qui s’avère être un Grimaldi de Bonifacio) autant d’auteurs de poèmes ou de chansons évoquant Bonifacio en bonifacien, en français ou en corse.
MH Ferrari, dans un beau texte poétique, nous donne un regard quasi anachronique de la ville qu’elle a adoptée. Elle revendique une sensibilité externe. Dans une vision très contemporaine, elle saisit parfaitement le contraste été/hiver (hiver « qu’on accueille de courbettes serviles ») dans une angoisse que beaucoup de Bonifaciens reconnaissent. Vision qui devient surannée lorsque est évoquée « la fierté du souvenir des femmes, droites, les cruches sur la tête » pour atteindre enfin le faux intemporel minéral de « la hauteur qui fait qu’on croit qu’on a dompté la mer » tant la falaise est rongée par le temps et les éléments.

 

Et l’âme morte… et la feuille qui tombe… et la solitude du soir, devant le seuil quand le bois a chauffé, résistant toute la journée aux assauts du soleil…
Et la pierre qui s’use et la peinture qui s’écaille…
Ses lambeaux de peau trop blanche s’effritant entre les mains.
Et le vent…
Et le vent qui souffle et qui creuse plus que les pas des marches, plus que la fatigue, plus que le poids de la vie
Que l’on craint ,que l’on respecte
Le vent qui domine et que l’été on méprise
Que hiver on maudit mais qu’on accueille de courbettes serviles
Et la hauteur qui fait qu’on croit qu’on a dompté la mer, en sachant qu’elle attend
Qu’elle ne s’y trompe pas
Qu’elle est là
En bas tapie
Qui gronde et qui gémit
Rongeant ,creusant ,rageant,
Dévorant la falaise
Et la vieillesse des murs suintants et puis, et puis la tristesse de ces allées royales grises de brumes et d’insomnies

Et la beauté du soleil blanc, blanc sur la craie des murs ,qui dévore la fierté du souvenir des femmes ,droites ,les cruches sure la tête
L’envie d’elle au coin des rues et la joie du printemps

Les animaux qui braient et qu’on entend encore dans les remugles persistant d’un passé où les couleurs s’effacent plus vite que les odeurs
Ici ,tout est gris,tout est blanc

L’interminable longueur des hivers,qui reviennent inéluctablement comme les vagues de la mer
Le pavé inégal qui tord les chevilles
Et les échoppes profondes comme les secrets des filles
Les ruelles enfouies
Les lacis
Le passé, proche à toucher qui pourtant déjà disparaît

Voilà l’odeur des frites qui prend toute la place
Tout s’efface
Bonifacio, l’été, disparaît, derrière sa toilette de fille
A marier
Mais,toujours l’hiver
Renaît
Dur
Et noir
Comme le jais.

MH Ferrari

 

De l’avis du public, le texte est remarquablement déclamé par Marie Anne Salles, séance qui constituait une première très agréable pour notre journaliste locale, plus avertie au scripta manent qu’au verba volant !
Autre texte lu magistralement en bonifacien par Marguerite Mannerini, le « Veciu bartulin » de François Canonici. Notre journaliste à la retraite, auteur de nombreuses monographies sur Bonifacio, ayant arpenté autant les recoins de la Haute-Ville que les sentiers de la campagne, est un fin connaisseur de l’âme bonifacienne. Il restitue ici le sentiment d’un vieux porteur de châsse, témoignant d’un atavisme profond qui se construit aussi sur l’événement religieux et traditionnel du mois d’août : la sortie de la plus lourde châsse.

 

U ciantu d’u veciu Bartulin

N’un mi scurdiro mai, e sigüru
U veciu Bartulin in u se cantu scüru
Chi ciangiva u se passaiu
E u lamentu d’u scurtigaiu!

----------

Ira l’ürtima priscisciun di questu milenariu
Che come sempri aveva attiraiu
Zenteni di persuni pin di cüriusità
Aspitendu a sciurtià d’u gran San Burtumia.

----------

A gisgia di San Dumé ira pina
Quatru previ inant’a l’età
Inturnu gh’irunu tantu Bartulin
Chi suavunu suta capi e cularin
Ma mitivunu grandi fervu
Pe cantà tüti canzzun e fassi onù.

----------

Infïn a prisciscun cumenza a se marcia
Tüt’a cunfraternita cu a se bandira
Si meti in muvimentu deria a crusgi
San Bartolu senza issi sutrinaiu
In Santa Maria fü purtaiu.

----------

Intantu intantu si sintiva crià
Versu fundagu o ciaza Doria : « Müa!Müa! »
L’omi suta stimpinavinu
Ma i stanghi, eli cantavinu
San Burtumia ira ben purtaiu
Da tanti seculi cusci e sempri staiu.

----------

N’un ghi io a offendissi
Di tüti questi crii
Di questu pigià para e tegni
Di tamentu batabügiu
Cusci ra io a tradizziun
E nisciun, ne ogi, ne duman
N’un purà abuli mancu i ciocaman.

----------

Indé u cantu di a gisgia
Gh’ira un veciu omu chi ciangiva
Tüti i se lagrimi
Percosa nun pureva ciü
Siguità a priscisciun da se cunfraterna
Pè quelu che irà staiu
Purta bandira e priu
L’ura ira vinüia
di l’ürtima müa.
E u veciu Bartulin ciangiva com’un garzun
Aguardendu passà cun divuzziun
A cascia di San Burtumia
Chi n’antu i se spali ni sintiva sempri a firia.

----------

O quantu ma faiu mali
Di vedi quest’iogi pin di lagrimi
O quantu ma faiu frizziun
Tamenta fedi pina d’imuziun
Sufriva anima e corpu
Di n’un puré ciü servi San Burtumia
Comu r’aveva faiü da ciü di sciüsciant’ani
Si pio capi i se afani.

----------

N’un mi scurdiro mai, è sigüru
U veciu bartulin in u se cantu scüru
Che giangiva u se passaiu
Quelu giurnu, ira ielu u scurtigaiu !

 

La complainte du Bartolin

Je n’oublierai jamais, au grand jamais
Le vieux porteur de San Bartolu dans son coin
Qui pleurait son passé
Complainte pour un saint écorché vif

Cette procession était la dernière du Millénaire
Qui comme toujours avait attiré
Des centaines de fidèles et badauds
Qui attendaient la sortie du grand Saint Barthélemy

L’église Sain Dominique était pleine
Quatre prêtres à l’autel
Autour tous les confrères et porteurs
Suaient sous la cape
Mais ils mettaient toute leur ferveur
Pour entonner les cantiques et faire honneur

Enfin la procession démarre
Toute la confrérie sous sa bannière
Se met en mouvement derrière la croix
San Bartolu sans problème
Fut porté en l’église de Sainte Marie

On entendait de temps à autres
Vers le Fondago ou Rue Doria : « Müa ! Müa ! »
Les hommes peinaient sous la châsse
Mais les barres grinçaient de satisfaction
Le saint était bien porté
Il en était ainsi depuis des siècles

Ne nous formalisons pas
De tous ces cris
De tant de gesticulations
De toute cette agitation
Ainsi l’exige la tradition
Et personne aujourd’hui ni demain
N’y pourra changer même un applaudissement

Dans un coin de l’église
Un vieil homme pleurait
Toutes ses larmes
Car il ne pourra plus
Suivre la procession et ses confrères
Pour lui qui avait été
Prieur et porte-bannière
L’heure était venue
De la dernière station
Et le vieux Bartolin pleurait comme un enfant
Regardant passer avec dévotion
La châsse de Saint Barthélémy
Il en avait gardé à jamais l’épaule meurtrie

Quelle douleur de le voir ainsi
Les yeux plein de larmes
Quelle émotion
Devant tant de foi sincère
Son âme et son corps souffraient
De ne pouvoir servir le saint
Comme il le faisait depuis plus de soixante ans
On peut comprendre son tourment

Je n’oublierai jamais, au grand jamais
Le vieux porteur de San Bartolu dans son coin
Qui pleurait son passé
Complainte d’un homme écorché vif.

F.Canonici 24/08/1999

 

Enfin trois chansons, dont deux interprétées par Jacques Faucelli, viennent compléter dans des formes diverses la fascination qu’engendre le lieu bonifacien. Rien n’a été exclu, quitte à considérer aussi les clichés en vogue dans les années soixante avec la chanson « Bonifacio » qui avait connu un vif succès lors de sa création par Regina et Bruno.

 

Bonifaziu

Sbucciatu da la sciuma di issu mari prufondu
Porta di l’orienti subra l’immensità
Tù sè O Bonifaziu un paesu è un mondu
Una scatula d’oru culama d’antichità
è quandu a timpesta si pesa in la to bocca
U Turrionu vardianu di a ti bianca cità
Veni à ricumandà si da l’altu di a Rocca
à la cruci fideli di Santa Trinità

Ugni petra ind’è tè hè un pezzu di storia
Tù chì ai tantu accoltu rè è imperatori
è chì ai cunnisciutu è i guai è a gloria
Sicreti amari o dulci chì t’empiini u cori
In piazza di a Logia s’induvinu u passu
Di quiddi omi antichi pronti à parlamintà
è si pari di veda andà à capu bassu
« U cariaù d’egua » cù u so stranu parlà
Quantu n’ai azzicatu sogni d’innamurati
Vinuti à cuntimplà a to dulci marina
I to stretti furiosi è puri incantati
Chì vani à carizzà a Sardegna vicina
Tù sè O Bonifaziu pindina livantina
Locu misteriosu fattu di nubiltà
è a to Damicella chì dormi in l’Araguina
Hè stata a to amanti deci mill’anni fà

I to isuli cari stracquati à sullana
Cavallu è Lavezi lucicani par tè
Par tè perula rara d’una ricca cullana
Preziosu rigalu degnu di più d’un rè
Da cinqui campanili sè statu pasalvatu
Chì tù pudissi campà fin’à l’eternità
è offra à u frusteru prisenti è passatu
à chì ti vidi un ghjornu ùn ti pò sminticà

Éclos dans l’écume des plus profondes eaux
Porte de l’Orient sur l’immensité
Tu es, Bonifacio, une ville et un monde
Un écrin débordant d’antiquité
Et quand la tempête se lève sur ton détroit
le Turrione gardien de ta blanche cité
Du haut de la falaise demande protection
A la fidèle croix de la Sainte Trinité

Chacune de tes pierres est une page d’histoire
Toi qui, maintes fois, accueillis empereurs et rois
Et qui connus gloires et désespoirs
Secrets amers ou doux qui t’emplirent le cœur
Sur la place de la Logia on devine le pas
De ces anciens ouverts et tolérants
Et on a l’impression de voir la silhouette courbée
Du « porteur d’eau » avec son étrange parler
En auras-tu bercé des songes d’amoureux
Venus contempler ta douce Marine
Tes ruelles furieuses pourtant enchanteresses
Qui caressent la proche Sardaigne
Tu es Bonifacio ce bijou face à l’Orient
Lieu mystérieux chargé de noblesse
Et ta Demoiselle dormant à l’Araguina
A été ta maîtresse il y a dix mille ans

Tes magnifiques îles étendues au soleil
Cavalu et Lavezi resplendissent pour toi
Pour toi, Perle rare d’une riche parure
Hommage précieux digne de plus d’un roi
Cinq clochers te protègent
Afin de t’assurer l’éternité
Pour offrir à l’étranger d’hier et d’aujourd’hui
Cette image de toi qui ne peut s’oublier !

Marcu CECCARELLI

 

Pà Bunifaziu

Da quassù nantu à la Rocca
Guardi u mari chì ni badda
È veni à minà di chjocca
U sciappali chì ti spadda
Riccamatu à biancu ghjessu
Chì in locu ùn ci hè lu stessu

È stu sintimu chì t’aghju
À lu me cori ma’ saziu
Quandu ni facciu un viaghju
Luntanu da Bunifaziu

N’hà vistu à passà la storia
Veli bianchi è alti navi
Chì firmani in la memoria
Di l’antichi li nosci avi
Oghji in portu ùn sò quelli
D’a Marina li battelli

U mondu à vena c’insegna
Un’ antra vita chì veni
È ad ugnunu l’impegna
Cumu u sangui ni li veni
Par mè Bunifaziu stia
Sempri un locu d’armunia

 

Pour Bonifacio

Du haut de ta « Rocca »
Tu regardes la mer danser
Elle vient se cogner
Contre la falaise arque boutée
Composée de blanche craie
À nulle autre pareille

Et ce sentiment assaille
Mon cœur insatisfait
Toutes les fois qu’un voyage
M’éloigne de Bonifacio

Elle a vu passer l’Histoire
De voiles blanches et de navires
Inscrite dans la mémoire
Des anciens, de nos aïeux
Aujourd’hui dans le port
Les bateaux ont bien changé

Le monde à venir révèle
Une vie nouvelle autre
Chacun doit la ressentir
Comme le sang dans nos veines
Que Bonifacio demeure pour moi
Ce lieu d’éternelle harmonie

Jacques Fusina


Blottie sur un rocher tout blanc
Battue par la mer et le vent
C’est une ville d’un autre âge
À l’entrée de ses ponts-levis
Trottent de petits ânes gris
Qu’on croirait sortis d’une image
Bonifacio
Derrière les persiennes entrouvertes
Deux ombres regardent flâner
ceux qui vont à la découverte
De l’étrange et vieille cité
Bonifacio
Les rues pavées à la romaine
Frissonnent sous les pas légers
d’une procession qui promène
La statue de Bartolomée

Et sous la loggia de l’église
les enfants jouent les enfants crient
tandis que les vieux se redisent
Le souvenir des jours enfuis
Bonifacio

Tout là-haut vers la citadelle
Où du côté de Castillé
Dans tes calmes étroites ruelles
Le passé cache ses secrets

L’escalier du roi d’Aragon
semble monter vers l’horizon
Creusé au flanc de la falaise
La grotte a pour ses visiteurs
Mis ses beaux tapis de couleurs
Afin que chez elle on s’y plaise
Bonifacio
Le soir les couples en silence
sous les chênes et les oliviers
s’en vont offrir leurs confidences
par saint julien l’hospitalier
Bonifacio
Devant leurs paisibles demeures
Les pêcheurs assis sur le quai
En bavardant attendent l’heure
Où ils rentreront leurs filets

Et comme une âme qui s évade
Une guitare sur le vieux port
Une troublante sérénade
Berce la nuit quand tout s’endort
Bonifacio

Bientôt les lumières une à une
S’éteignent en glissant sur les flots
Et dans un léger clair de lune
Tu peux rêver Bonifacio
Bonifacio

JM Thomas/B. Baccara

II. En bonifacien dans le texte

A. La verve de Memè Milano restituée

« Originaire de Bonifacio, son parcours est significatif de la volonté et de la ténacité de ce fils d’entrepreneur maçon .
Il passe son certificat d'études et son brevet élémentaire en 1918, l'année où son père revient de guerre, après quatre ans passés dans les Vosges. Engagé comme auxiliaire des Ponts-et Chaussées, il suit les cours par correspondance de l'Ecole Spéciale de Paris, passe l'examen d'adjoint technique et le concours d'ingénieur. En 1926, il décroche son parchemin d'ingénieur TPE.
L'année suivante, il est expédié en AOF (Afrique Occidentale Française) où il fera plusieurs séjours à Conakry, Abidjan, Niamey et Dakar,
La deuxième guerre mondiale le surprend à Biscarosse où la Gestapo l'arrête et l'in­terne dans une prison près de Bordeaux. Après guerre, il est en charge de Port Saint-Louis du Rhône...
En 1958, il prend sa retraite et, six ans plus tard, devient le premier magistrat de Bonifacio, sa ville, qu'il gérera jusqu'en 1971. »

Après son mandat de maire, Dominique Milano se consacrera à laisser une mémoire du XXe siècle. Jean-Claude Albertini fera la somme de ses témoignages avec Jérôme Camilly en 2000 (Bonifacio. La vie quotidienne au XXe siècle) d’où sont extraits les éléments biographiques ci-dessus. Ses travaux en toponymie ont par ailleurs permis la pose de plaques en bonifacien dans toute la ville.
En 1976, il propose sous forme ronéotypée « Paregi fori bunifazzini » (neuf fables au total) qu’il présente « d’après certaines fables de La Fontaine et Favule scelte de Noël Rocchiccioli ». Memè Milano montre alors que la verve bonifacienne n’a rien à envier à celle du fameux dentiste cargesien qui reste comme l’un des meilleurs auteurs de prose et de poésie satirique et humoristique de langue corse. D. Milano s’inscrit donc dans les prémices d’un renouveau qui touchera le corse langue régionale. Il donnera pratiquement ses premiers écrits au bonifacien, confiné jusqu’alors dans une oralité très affaiblie et malheureusement peu recueillie.
La déclamation théâtrale de quatre de ses fables par Madeleine Pugliesi et Jeanne Faucelli a ravi le public qui retrouva là les accents d’un bonifacien à la fois authentique et sans fard.
 

A zigara e a furmigura
Fora di Memè Milano

Düranti tütta l’estatina, üna zigara ün pocu fiera
Nun fava chè cantà da metina à sera
Quandu è vinüu l’invernu e c’aveva finiu di cantà,
Si n’è accorta chè nun aveva ciü nenti da mangià.
Ma saveva chè a furmigura a se brava visgina,
Amassave pruvisti e n’aveva a casa cina.
Alura d’ün passu lestu è andaia à truvà
Quela ch’ela cridiva chè fussi a se cumà.
- « O cumà vuressi fami üna pulenta ma nun ho ciü farina
Imprestimi ün pocu… di quela castagnina !
Credimi pü chè avura i pruvisti ri farò,
E avanti a fin di l’anu u dupiu ti rindirò »
- - « ch’e t’avevu da dati quarcosa, ghi pisavu sta nioti…
nun ti g’hà ciü farina ? mangiti i bischioti.
Quandu mi travagiavu alentù ti cantavi
Oramai, un t’hà c’andà à fati duvi bali. »
- « sè nun ti g’hà farina rigalimi ün canistrilu
e sè nunti iò damiru intrigu damini ün pizzarilu. »
- « ti mi rumpi i stivali ! ciò ch’e g’ho nun è da sparti ;
mì tratravagiu pè mì, nun travagiu pè l’atri.
Futimi u can da chì, finianti, orgogliusa
Senun ti fazzu à sciorti à corpi di spazzusa… »
E a zigara si n’è andaia senza dumandà u restu ;
Ira vignüa curendu, è scapaia ancu ciü prestu.

Moralità :
Quelu chè nuntravagia nun ni guadagna
Sè ti iò fà a pulenta và à chiogi a castagna

 

B. L’hommage rendu à Cyprien Di Meglio par Jean-Marie Comiti

« Peut-on évoquer, à Bonifacio, le nom de Cyprien Di Meglio sans penser immédiatement au poète ? Et quand je dis « à Bonifacio », la petite Gênes selon les historiens, je devrais élargir le champ de la renommée de Cyprien jusqu’à la Sérénissime, la grande Gênes, puisque les éditions ELSAG lui ont récemment rendu hommage en publiant quelques uns de ses textes dans un bel ouvrage qui s’appelle :
« Corsica. Città, borghi e fortezze sulle rotte dei Genovesi. La storia, le parole, le immagini » (2002).
Les mêmes éditions ont également tourné au cours de l’année dernière un documentaire sur la place de l’expression ligure en Méditerranée ; documentaire dans lequel Bonifacio et son poète Cyprien Di Meglio occupent une place toute particulière.
N’oublions pas Calasetta et l’île de Carloforte, au sud-ouest de la Sardaigne, où les vers de Cyprien sont aujourd’hui connus.
Eh bien oui, Bonifacio a son poète, comme la terre a son astre lunaire.
Mais il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas d’un poète qui cultive le nombrilisme identitaire et qu’on pourrait taxer un peu trop rapidement de « provincialiste ». Sa poésie ne s’inscrit aucunement sur une orbite en spirale où les cercles concentriques enfermeraient l’auteur dans un enracinement certes profond mais stérile.
La poésie de Cyprien transcende le lieu et son histoire, la culture locale et les hommes qui l’engendrent ; elle fait résonner des vers qui s’ouvrent grand aux échos universels. Car le poète Cyprien Di Meglio est avant tout un Homme, dans toute la splendeur du terme ; un homme qui depuis sa petite ville perchée sur son blanc rocher, absorbe et ressent au tréfonds de son être les émotions les plus diverses qui circulent par le monde. Il les ramasse dans son filtre poétique et nous les restitue dans des extases partagées ou dans des cris de révolte qui rejettent résolument l’indifférence.
Cyprien est un être bon et généreux, simple et modeste et sa poésie exprime les valeurs et les qualités de cet homme, de cet artiste devrais-je dire - car il n’a pas qu’une corde à son arc : il manie le pinceau et le fusain à merveille, il pousse la chansonnette avec les Gargarozzi, et je vous garantis qu’il est redoutable, et c’est un euphémisme, lorsqu’il pointe aux boules - bref, sa poésie dépeint la Vie en créant des ambiances colorées, lumineuses, joyeuses, festives, jubilatoires, souvent pleines d’humour ; mais aussi graves, sérieuses ou révoltées.
Vous aurez l’occasion ce soir de découvrir les différentes facettes de notre poète.
Cyprien ne supporte pas l’injustice, les richesses mal distribuées et l’arrogance de certains grands qui nous gouvernent ; ceux qui parfois ont le pouvoir de déclencher des guerres par caprice. Et il y a ceux qui s’enrichissent impunément sur le dos des morts et des blessés. Il est sensible à la misère dans le monde et dénonce avec fermeté tout ce qui compromet le respect de la personne humaine.
Tout cela se trouve dans la poésie de Cyprien et on comprend bien que pour lui l’écriture n’est pas seulement le lieu de la nostalgie et de l’esthétisme bucolique mais aussi un moyen d’envoyer des messages forts, gorgés d’humanisme.
Je suis heureux de rejoindre mon ami Cyprien dans ce combat qui doit à la fois défendre le faible à tous les niveaux, notamment sur le plan culturel et linguistique, et mettre en garde contre toute forme de domination indécente et de discrimination assassine.
En écoutant tous les vents qui soufflent dans les Bouches de Bonifacio comme autant d’expressions culturelles diverses et légitimes, notre poète engage les Hommes à reconnaître mutuellement leurs différences et à apprendre à vivre ensemble. Un vaste programme qui révèle un optimisme à toute épreuve.
Dans le texte que vous allez entendre à présent le poète lance un cri déchirant de colère, meurtri qu’il est dans la chair familiale. Comment rester indifférent aux mutilations infligées par les guerres, surtout lorsqu’elles touchent des enfants ? C’est un appel à la vigilance afin que chacun d’entre nous dénonce et entre en résistance contre les plus viles et noires défaillances de l’homme. »

 

Déclamation de L’asciascin/ L’assassin

Se mi dinu ün giurnu di giüdicà ün OMU
cundaniressi à morti senza avè cumpasciun
quelu che stüdia a guera pè inpi i stachi d’oru
e che sumena u sangui sürva à a populazziun.

Senza pietà vi züru cundaniressi l’OMU
che di üna bumba hà faiu ün ziogu di curù
dopu r’hà suminaiu inant’à a ciaza d’oru
undi canta a giarina e zioga a züvintü.

Undi canta a giarina insimi incù u mà grossu
l’ogetu culuriu schiata e stufa a canzun
sürva à l’orena russa nun si senti ciü dopu
che u lagnu di u maretu e quelu di u garzun.

Tant’ani dopu a guera ho riscuntraiu l’omu
pin di midagi in pitu, pin di decorazziun
elu hà guadantu a guera, elu hà guadantu l’oru
l’atru hà persu a se vista e guadantu ün bastun.

S’il me fallait un jour juger cet homme
A mort et sans pitié je le condamnerais
Ce stratège de guerre qui pour s’emplir les poches
A répandu le sang de nos populations

Sans pitié, je le jure, je condamnerais l’homme
Qui a fait d’une bombe un jouet coloré
Et qui l’a laissé là sur la grève dorée
Où chantent les galets et où les enfants jouent

Où chantent les galets, les galets puis les vagues
La jolie chose alors explose et fait silence
Et le sable rougi laisse échapper la plainte
de la vague blessée et de l’enfant meurtri

J’ai rencontré cet homme longtemps après la guerre
Le poitrail recouvert d’insignes et de médailles
Il a gagné la guerre et l’or de la misère
De celui qui depuis dans le noir a grandi

Cyprien Di Meglio

C. Le parcours d’un texte : I venti messageri

C’est le groupe U Serinatu de Jacques Luciani et de Jean-Claude Flori qui a choisi de mettre en musique la version corse d’un poème en bonifacien de C. Di Meglio, adapté de manière assez libre par Alain Di Meglio. Une bien belle chanson interprétée le soir même par le groupe qui avait fait le déplacement pour la circonstance et pour inscrire la présentation de l’album éponyme à Bonifacio.

 

I venti messageri

Dì mi zà, dì mi zà, stela di tüti i venti
Dì mi tì chè ti và pè tüti i cuntinenti

U Libeci s’anunzia, mì vegnu d’Algeria
Hò vistu i bestii armai di cutili e spanzà
Doni, veci, garzuni u sangui chè scuriva
À mizu à l’inucenti r’hò intesu crià

U Livanti mi disgi là versu a Palestina
U populu spasimaiu è sempri in ginugiun
Anu amazzaiu a pasgi a guera è sempri viva
Metinu u fiogu e dopu preghinu u se Signù

U Gregali si lagna là in Iuguslavia
Hò vistu a nevi russa deria a priscisciun
Di u populu chè sufri gh’è fami è angunia
A morti drentu i campi, sufrenzi ind’i prisgiun

A tera è ün pasciali di lupi e di nucenti
a refica duman cosa ni purtirà
Dì mi zà, dì mi zà da i te cuntinenti
I venti messageri pè mì fà ri parlà

Dis-moi Bonifacio
Je veux l’entendre de tes Bouches
Dis-moi mes quatre vents

« Moi Libecciu meurtri je souffle d’Algérie
Je garde de ses lames
L’échos de ses blessures et le cri des enfants

Moi Livanti j’arrive plein de peine et de haine
Le vent de Palestine
Balaye l’Orient des intégrismes fous

Moi Grigali du Nord-Est de l’ex Yougoslavie
J’arrive des Balkans
Ma rafale en lambeaux dit la terreur des jours

Je viens de l’intérieur en bouffée de conscience
Muntesi, avec toi je viens me demander:
« De quoi seront-ils faits les souffles de demain ? »

Ciprià Di Meglio

 

La double version du poème avait déjà fait l’objet d’une publication dans la revue littéraire du Centre Culturel Universitaire, le Bonanova n°5 (p.42). Durant la soirée, A. Di Meglio avait proposé une version française (à faire déclamer par MH Ferrari) très librement adaptée des versions corse et française, la double version ne faisant plus qu’un ! La convivialité de la soirée et la magie de la sensibilité poétique incita MH Ferrari à proposer une version française plus proche du texte bonifacien et plus respectueuse de la métrique. Elle le fit dans le moment de la préparation en consultant nombre de personnes dans le public afin de peaufiner son accès au texte. C’est cette version qui fut lue et non celle proposée mais tout de même projetée.

 

Venti messageri traduite par MH Ferrari et déclamée

Moi Libecciu, je souffle d’Algérie
De ses lames tout meurtri
Je garde les échos de ses blessures
Et de ses enfants les cris

Balayant la Palestine
Pleine de peine pleine de haine
Fanatique et sanglante, criant Dieu
Et qui supplie, je suis Livanti

Moi Gregali c’est en Yougoslavie
Que j’ai vu sous leur linceul de neige
La mort, la famine et la souffrance
Se suivre en triste cortège

Certes bourreaux et victimes vivent ici bas
Mais tes rafales, le vent, dis moi
N’agitent-elles pas
La conscience que j’ai en moi

 

L’intérêt du texte ? Si l’ensemble de l’œuvre de C. Di Meglio revêt un caractère bucolique, nostalgique, écologique ou humoristique, ce texte prend le parti d’utiliser les vents pour faire de Bonifacio le coquillage (pour reprendre la métaphore de Thiers) où s’entendent les échos les plus horribles de la méditerranée. C’est donc l’image d’une méditerranée déchirée, assassinée à travers les deux textes déclamés (L’asciascin et Venti messageri) que le bonifacien de C. Di Meglio, toute petite langue, exprimera. Balkans, Algérie, Palestine, le rendez-vous des vents décloisonne la ville et l’inscrit dans son monde.

 

U veciu piscaiù

Ün giurnu u ventarilu farava da punenti
Carizzava i caveli di ün veciu piscaiù
E à l’omu à a tista gianca ghi pareva di senti
U ventu che ghi diva dopu tantu stagiun:

« È ura o marinà d’aristà a te pesca
Nun t’ha forza, ra sentu, nun ti pio ciü bugà
Aizza a te vera e pió biota a te esca
Và à ripusà ti in tera cun serenità ».

U veciu piscaiù, stancu, aizza a se vera
Agrunciaiu à u timun s’è lasciaiu andà
S’è faiu üna ragiun e da a metina à a sera
Parla di tüti i provi ch’avura un pió ciü fà.

Ün giurnu in San Rocu, sulu senza dì nenti
U veciu piscaiù pensa e aguarda u mà
Dui iogi lagrimusi, tütu ghi veni à menti
Rivedi inantu à l’unda a se vita apassà.

Alura u ventarilu che fara da punenti
Carezza i caveli di u veciu marinà
À l’omu à a tista gianca g’hà ditu: « Stà mi à senti
D’ogna cosa u se tempu nisciün nun pió scapà ».

Le vieux pêcheur

Un jour une brise soufflait de l’ouest
Caressant la tête d’un vieux pêcheur
Et le vieil homme aux cheveux blancs écoutait
Le vent lui murmurer après tant d’années :

« Il est temps, ami marin, d’arrêter la pêche
Tes forces t’abandonnent, tu ne peux plus ramer
Hisse ta voile et jette tes appâts
Va te reposer sereinement sur la terre ferme »

Le vieux pêcheur, fatigué, hisse sa voile
Agrippé au timon il s’est laissé porter
Il s’est fait une raison et toute la journée
Il parle de ses exploits passés qu’il ne peut plus réaliser

Un jour sur la place St Roch, seul et en silence
Le vieux pêcheur médite et regarde la mer
Les larmes aux yeux, son passé refait surface
Il voit sa vie courir sur l’onde

Alors le vent qui vient de l’ouest
Caresse la tête du vieux marin
Et dit à l’homme aux cheveux blancs :
« Toute chose est éphémère et c’est le lot commun »

Cyprien Di Meglio

 

L’humour et la qualité de vie bonifacienne trouveront tout de même toute leur place dans la partie finale de la soirée entièrement chantée et dédiée à la convivialité : l’humour et la satire écologique du Sciü Carlivà, la médisance féminine par Tütu ti dà da dì ou le côté épicurien de la vie bonifacienne avec Paisi di libertà. Autant de créations de ces trente dernières années sur des musiques le plus souvent enjouées, mélodies simples et populaires puisant parfois dans le style napolitain qui a marqué le quartier de la Marine.

 

Testamentu di u sciü Carlivà di Bunifaziu

Populu di Bunifazziu è ura di u pardun
Ru sò, nun g’ho chè tortu e mancu üna ragiun
Deria a me mascura s’ascundi a cativezza
Assai difeti pocu e nenti bravezza
Sun mì c’ho missu u fiogu d’a tunara à Balistra
U piali nun è ciü chè carbun comè vista
Ru rigretu e ghi lasciu à u mà di teranu
U tizzun maladetu chè hà faiu questu danu

Vegni chì cunfissà ti, davanti à nuvi in pia
Avanti chè a te anima in fümu chioli in zia
Tì, Sciü Carlivà di Bunifazziu (sulu)
Tì, tì malonestu e ancu farzu (tüti)
Ladru e busgiardu chi ti sé (doni)

Inantu o mà d’argentu sun min c’ho suminaiu
Masutu e plasticu a costa ho aruinaiu
Di a rimenza c’aresta vi lascirò a lista
Ghi ni faré rigalu à u fiogu di Balistra

Sun staiu briagun e quandu iru in sborgna
U vin mi sturduliva e pistavu a me dona
Ogi mi ni pentu e pé riciapà pardun
Lasciu a me damisgiana à a pumpa di Lungun

Pe scrocà a curuna chè a me tista porta
Ho stüdiau l’imposgitu pé un pagà a nota
Ni rissentu a me curpa pé cacià i me guai
A me curuna d’oru ra lasciu à i disgraziai

Sun ün grossu ciaciarun criticavu ancu à Cristu
Favu spicà famigi ricunusciu chì è tristu
Pe fà mi pardunà lasciu a me lengua brüta
A’ a me brava visgina chè a siova è spessu müta

Avanti di brüsgià inantu à a fugarina
Ho da lascià i me genti d’in drentu e d’a marina
Ün mazzu di riosi curù di libertà
D’amù, di salüti e di fraternità

Ciprià Di Meglio (14 di marzu 1995)

Tütu ti dà da dì

Aiò me donna aiò, tütu ti dà da dì
D’ognün fà cosa iò lascia fà lascia dì
Aiò me donna aiò, tütu ti dà da dì
D’ognün camp’à u se modu e à tì ti dà da dì

Vegni à vedi Scimun, pari üna musciurina
Pè smagrisci te nizza nun sà ciü cosa fà
Nun si vedi c’o nasu è üna vira spina
Mì ciangiu u disgraziaiu chè ün giurnu hà da parpà

O Signun chì vergogna a moda è üna ruina
Ancu a fedeta cürta aguarda quela là
Nun gh’è chè quatru dii di cosa s’induvina
È üna pesacatrici si iò fà rimarcà

T’hà saciüu Scimun è ün viru vitüperiu
A veduva d’in facia si turna à marià
S’hà truvaiu ün bel omu e si r’hà porta fieru
Madama sula in littu a nioti ùn piò ciü stà

Scimun aguarda à questu ün pari di famigia
Di stuzzigà i donni ùn si ni piò passà
Questu vizziusu fà üna lascia üna pigia
Cosa ghi troviranu à questu carlivà

Scimun chì Scimun là ! e pica e pica e dali
E storta e brüta e goba O chì mentalità
E grossa e picinina e pica e pica e dali
N’un g’hà chè üna pasciun criticà criticà

Aiò me donna aiò, tütu ti dà da dì
A libertà è d’oru lascia fà lascia dì
Aiò me donna aiò, tütu ti dà da dì
Và davant’o te spigiu pè aguardà ti tì

Ciprià Di Meglio

 

Paisi di libertà

Se andè in cuntinenti stè à senti a verità
sun sturdulii i genti nun si pió respirà;
se ün giurnu amighi purè asciüvirà
stè in Bunifazziu per travagià e cantà.
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
chì si rispira l’aria, l’aria fresca di u mà;
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
paisi undi sun natu ciü ben nun si pió stà.

In ciazza di San Rocu ün veciu piscaiù
s’incarca u capilu e guarda cun pasciun
üna barca à vera versu u portu và
u timun in pupa canta canta u marinà.
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
a tista in facia à u ventu mi lasciu carizzà
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
a bela mustazzaia mi sentu rinfriscà.

Fussi per mà, per tera tütu travagiaiu
quand’elu è di riposu nun manca l’ocasgiun
à cacia in campagna o pü à piscà
s’elu ùn ió fà nenti à a marina à ciaciarà.
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
u dopu mizugiurnu andemu à spassegià
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
in Balistra, à a Tunara, à u frescu à a Trinità.

È festa e pè a brenga u mà tütu ni dà
alarga pü a zenta ghi sarà da mangià
zin, bicé o pesci per fà l’azimin
mirun, mirizani, quatru qualità di vin.
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
suta à üna licia à u frescu ün sionu s’avemu da fà
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
undi u nosciu paisi gh’è tütu per ben stà.

M’hà ditu ün giurnu ün veciu e g’aveva ragiun
« difindivu a me tera a corpi di bastun
ogi u furistia ricu e mangiun
s’acapara a costa, u Cavalu e u Spirun ».
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
di curi inant’à i ciazi e tütu u lungu di u mà
O figi quantu è bela, quantu è bela a libertà
che nun mitissinu mai « Difesu di passà! »

Ciprianu Di Meglio (1973)

 

Le È mortu l’asetu, célébrant l’âne, animal sacré à Bonifacio, a servi d’hymne et de final. Le texte date du XIXe siècle et la mélodie a connu vraisemblablement une évolution plus festive au XXe.

 

È mortu l’asetu

È mortu l’asetu di u barba Pitrin
è mortu firiu di u stecu inant’u spin.
È mortu l’asetu, hà tiraiu u gambin
hà tiraiu ün petu, poviru Murisgin.

E zumba lalalalalaleru, e zumba lalalalalala!
E zumba lalalalalaleru, e zumba lalalalalala!

1. Sun ün poviru disgrazziaiu
nun sò ciü comu farò
Murisgin si n’è andaiu
mai ciü nun purò
rimpiazzà quela bestia
di tantu qualità
che a mari di a natüra
g’aveva püssüu dà.

2. Mi purtava in campagna
tütu u mundu ru sà
sacheti e bariloti
e feri da zapà;
a sera cargu intrava
invernu comu està
di ciachiri e di legni
mi ri purtava in cà.

3. Mi serviva di rilioru
e di « réveillle-matin »
tüti i metini à listess’ura
mi cantava u se « refrain »;
cantava à mizugiurnu
a sera pè intrà
r’amavu vi ru züru
comu füssi ün viru frà.
4. Quand’andavu in Sant’Amanza
ru cargavu di mirun
rivignivu in Bunifazziu
ri vindivu ün patacun;
aveva u se matragiu
comu quelu d’u campanun
quandu videva l’asinina
ru purtava à sbandagiun.

5. G’aveva di difeti
g’aveva di vertü
si mangiava a bascira
e stripava u basgiacü;
r’ho suteraiu o pia d’u figu
interaiu l’atru metin
tüti i giurni ghi digu
« requiem eterna » Murisgin.

 

Au bout du compte, nous avons balayé un siècle par le regard des mots. Quelques mots chantés, déclamés. Projetés. Faite de lignes ténues, l’image nécessairement partielle ainsi bâtie a contribué à l’élaboration d’une identité sans faux-fuyant, sans complexe en puisant dans sa complexe vérité. Le moment fit naître une convivialité mixte où le bonifacien vint partager le regard, où le passant s’arrêta.

 

A greva di i pialinchi
Léon Camugli (1911)

A poveralia nun ió issi serva
Di tüta a banda di i ricun
Si mitiremu tüti in greva
Se nun ni danu zinquanta patacun.

1. Irinu ün belu pocu di pialinchi
che purevinu furmà ün batagiun
ghi n’ira quatru zentu vinti zinqui
davanti à a funtana di Lungun
cù asi, pulitrüci e asinini
carghi di feri da travagià
di bariloti e di catini
si mitivinu tüti à cantà.

2. Postu che avura tütu acresci
perfina u pan e u savun
che nun si pió ciü mangià pesci
e che u vin vali desgi patacun
nun cunvegni à mangià sempri anciuvi
vuremu carni e macarun
e bevi ün gotu di vin o dui
inveci d’egua di Lungun.

3. U ricu nun s’introscia mai
ma quandu ciovi e quandu fanu i trun
nui atri poviri disgrazziai
s’agruncemu drent’à u baracun;
vuremu ün belu fasciu di legni
per meti drent’à u camin
avura che l’invernu vegni
bisiona à scadà si ün tantin.

4. Nun si pió avé ün pocu d’ioru
ni vendinu quelu di cutun
e inveci di scarpi di siora
ni danu scarpi di cartun;
i sindicati sun stai furmai
per fà valé i nosci ragiun
se nun acrescinu i giurnai
nun paghiremu ciü cuntribüzziun.

La grève des paysans

Les pauvres gens ne veulent pas être les esclaves
De la caste des privilégiés
Nous nous mettrons tous en grève
S’ils ne nous accordent pas cinquante sous

C’était un bon groupe de paysans
Pouvant constituer un bataillon
Ils étaient quatre-cent-vingt-cinq
Devant la fontaine de Lungun
Avec ânes, ânons et ânesses
Chargés de leurs outils de travail
De tonnelets et récipients
Ils entonnaient tous en choeur

Puisqu’aujourd’hui tout augmente
Jusqu’au pain et au savon
Que le poisson nous est inaccessible
Et que le vin coûte dix sous
On ne peut se contenter des éternels anchois
Nous voulons de la viande et des macaroni
Et boire un verre de vin ou deux
A la place de l’eau de Lungun

Le riche est bien au sec
Mais quand il tonne et qu’il pleut
Nous autres les pauvres gens
Nous nous abritons dans le « baracun »;
Nous voulons un beau fagot de bois
A brûler dans la cheminée
A présent que l’hiver arrive
Nous avons besoin d’un peu de chaleur

Il est impossible d’avoir un peu d’huile
Si ce n’est de l’huile de lin
Et pour toute chaussure en cuir
On se résigne au carton
Les syndicats se sont formés
Pour faire valoir nos arguments
Si nos journées ne sont pas augmentées
Nous ne paierons plus de contributions

 

I beli festi di a Trinità

Quandu à Trinità si chiola
Aseti avura ùn ghi n’è ciü
Ma vittüri nantu a piazza
Si ni vedi tantu e ciü

A gisgia è pina di genti
Vignüi pè prigà
Alura bisiona à senti
Comu savemu cantà

Zioghi d’amanduri e chini
Ogi sparuii sun
Ma i mirizani pini
Ghi n’è sempri à culaziun

à questi festi si ghi tegni
E r’aspitemu cù pasciun
Da luntan u mundu vegni
Incun tanta divuziun

Trinità Trinità santa
Chè com’è u Bastiun
A Crusgi d’u munti guarda
I nosci beli tradiziun

Les belles fêtes de la Trinité

Quand on va à la fête de la Trinité
Aujourd’hui on ne voit plus d’ânes
Mais sur la place les voitures
Ne manquent pas

L’église est comble de pélerins
Venus pour prier
Et il est indéniable
Que nous savons bien chanter

Les jeux comme les amandes et le loto
Ont aujourd’hui disparu
Mais les aubergines farcies
Sont toujours sur nos tables

Nous tenons beaucoup à ces fêtes
Que nous attendons avec passion
Les gens viennent de loin
Remplis de dévotion

Trinité, Sainte Trinité
Comme le Bastion
Que la croix du mont veille
Sur nos belles traditions

Max Comparetti (1973)

 

A SARPAIA

Drentu a nioti sitimbrina
Suta à üna lüna fina
U portu mi pari ün stagnu
Ogi è giurnu di cucagna
Cian cianin ün schifu và
Sciorti ün schifu à piscà.

Maestusa è a noscia Roca
Fiera di ri se palazzi
Nantu à u ciazzà di San Rocu
Ün veciu guarda a bunazza
Ciaciarigia in tera in tera
U Diu Grossu cù a Galera.

Da San Franzè à i Trè Punti
U tempu avirà scavaiu
Questu lungu lungu frunti
Cù ventu e mà scadenai
Là, deria, da Cara Sciumara
Vedu zà u sun che sbara.

O che liogu è Sant’Antoniu
Cù u schiogiu pertüsaiu
Ancu l’Orca e u se tafonu
È ün magu che r’hà faiu
In questu liogu, a natüra
G’hà missu tüta a primüra.

Cara di Labra anaquaia
D’egua duzzi, fresca e sana
Da ciapili imbarsamaia
U Grandi Spirun si spana
Ciaza bela e fina orena
Ancu buna pè i reni.

Atrazinu i Ratini
Vanu apressu à u Cavalu
I Lavezi sun visgini
Cù l’osgili fanu ün balu
E si stà suta à l’incantu
A belezza è d’ogna cantu.

Suta à a Ciana di l’Inglesi
G’avemu trè tinimenti
Sarpa sarpa i te rei
Capun ghi n’è ciü di trenta
I fundi sun ricamai
Lüsgi a sarpa cù l’ogiaia.

L’Isuri cù a bunazza
e ti sbuchi in paradisu
Üna timpesta e t’amazza
È cuscì u me paisi
U piali s’infiara d’oru
Si cridimu indè üna fora.

Ogi a pesca è staia buna
Smagiremu di riturnu.

A sarpaia (remontée des filets)

Dans la nuit de septembre
Sous un filet de lune
Le port est comme un étang
La journée s’annonce superbe
Tout doucement une barque glisse
Une barque sort.

La falaise est majestueuse
Fière de ses bâtiments
Sur la placette Saint Roch
Un vieux contemple la mer calme
Tout près de la côte
Le Diu Grossu et la Galère se parlent.

Depuis Saint François jusqu’aux 3 Pointes
Le temps a dû creuser
Ce front immense
Avec le vent et la mer déchaînés
Là-bas, derrière, de Cara Sciumara
Je vois déjà le soleil qui apparaît.

Saint Antoine, Quel endroit!
Avec son rocher percé
Avec l’Orca et sa vasque
C’est un magicien qui les a créés
En ce lieu la nature
A mis tout son génie.

Les Ratini approchent
Ils courent après Cavallo
Le Lavezu n’est pas loin
Et danse avec les oiseaux
Et on tombe sous le charme
La beauté est partout.

Sous le récif des Anglais
Nous avons trois chapelets
Tire, tire tes filets
Il y a plus de trente chapons
Les fonds sont comme brodés
La saupe et l’oblade luisent.

Les îles par beau temps
T’ouvrent les portes du paradis
Mais la tempête est mortelle
Ainsi est mon pays
Le plateau s’embrase d’or
C’est un monde fabuleux.

Aujourd’hui la pêche a été bonne
Nous démaillerons au retour

Alain Di Meglio

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