Guy Firroloni: l'édition régionale et la langue corse

Scontri di 30.04.2014

« Quel doux et tendre familier à l’heure de la solitude, quel compagnon en terre d’exil ! Le livre est un vase de savoir. Plus tu plonges dans la lecture d’un livre, plus ta nature s’affine, plus ta langue se délie, plus ton cœur est comblé. » Ainsi parlait Jaïs, célèbre auteur arabe du VIII siècle.

Qu’elle place donc donner au livre en Corse ?
Doit-il être ambassadeur, un témoin ? Et alors témoigner de quoi ?

si le peuple a pu apprendre qu’il avait une histoire propre ; s’il sait les luttes des hommes et des femmes pour vivre et subsister sur cette terre, s’il connaît les us et coutumes, sa géographie même, c’est à ces hommes de passion que sont les chercheurs les écrivains et les éditeurs depuis maintenant 30 ans qu’il le doit.
S’il est témoin, s’il porte l’image, l’identité d’un peuple, d’une terre, le livre est aussi une économie.
Comme on parle du budget de l’agriculture ou des transports, on doit parler du budget de la culture et non pas d’aides, mot qui donne toujours une impression de superflu, voire de dérisoire, image qui finit par être reçue par le peuple lui-même.

Le livre est un des codes d'accès à toute une culture. En dépit des attaques qu'il subit et des crises qu'il traverse, il reste dans notre civilisation un moyen privilégié de communiquer, de transmettre et d'accéder à la connaissance

Il peut être pour notre île un outil susceptible de favoriser la connaissance de notre sol, de son histoire sous tous ses aspects et notre insertion dans le bassin méditerranéen.
Il participe enfin à l'intérieur comme à l'extérieur à la construction de l'image d'une région et en assure par voie de conséquence à divers titres sa promotion.


Etat des lieux
Depuis la fin des années 80 l’édition insulaire s’est épaissie, elle est devenue plus professionnelle, plus exigeante. Elle s’est éloignée de l’attitude qui consistait à publier sans discernement des ouvrages sans que de vrais projets éditoriaux identifiables conduisent l’action des éditeurs. La pratique du faux compte d’auteur était souvent la règle donnant ainsi au panorama éditorial un contenu assez pauvre et hétéroclite. Dans le domaine scientifique, notamment pour ce qui concerne les sciences humaines, très peu de publications furent réalisées durant cette période et elles tournèrent pour l’essentiel autour de la période du XVIII siècle pour les raisons que l’on peut imaginer.
Depuis, les choses ont considérablement évolué. Il faut ici dire que l’environnement a lui-même changé profondément, la mise en place d’une université a largement contribué à la chose en mettant à disposition un réservoir issu des programmes de recherche. Les pratiques éditoriales dans le domaine de la fiction associées à « l’envie de dire » ont aussi favorisé l’éclosion sinon d’une littérature, d’une vraie vie littéraire. De ce bouillonnement est née une organisation qui place aujourd’hui la Corse dans une position équivalente aux autres régions, toutes choses étant égales par ailleurs.

L’édition corse en chiffres annuels.
Albiana : entre 35 et 45 publications par an, édition généraliste
Piazzola : entre 5 et 10 publications par an, édition plutôt historique
DCL : entre 3 et 7 publications par an, édition plutôt touristique
Sammarcelli : entre 3 et 7 publications par an, édition généraliste
Clémentine : entre 3 et 7 publications par an édition, plutôt touristique
Colona éditions : entre 3 et 7 publications par an, édition généraliste
Anima corsa : entre 3 et 7 publications par an, édition plutôt historique
4 éditeurs se partagent la dizaine de publications restantes.
A cette liste non exhaustive se rajoute des initiatives relevant de démarches associatives qui interviennent selon les secteurs (sociétés historiques, revues….)

Les politiques publiques
Depuis la loi de 92, la CTC est le principal acteur dans ce domaine bien que le Centre National du Livre intervienne souvent pour une part non négligeable, notamment dans le domaine de la traduction. L’action de la CTC s’est considérablement modifiée depuis le début des années 2000, elle a gagné en rationalité. Globalement, elle s’est éloignée des pratiques d’un autre âge en installant un règlement des aides et un comité consultatif chargé d’apprécier la pertinence des projets qui lui sont soumis. Elle soutient les éditeurs par l’aide à l’édition de certains ouvrages, elle encourage par des achats d’espaces et par la gestion de certains coûts la présence de la Corse dans un certain nombre de lieux (salon du livre à Paris, divers déplacements sur le continent pour des manifestations de Corse de l’extérieur). Enfin elle développe une action en direction des bibliothèques afin de mieux diffuser la lecture sur le territoire.
Si ces initiatives témoignent d’un intérêt de la part de la CTC qu’il faut saluer, conduisant cette institution à rejoindre somme toute le droit commun en la matière, il est encore un chemin important à parcourir dans le domaine du livre et de la lecture. En réalité les politiques menées à ce jour si elles sont volontaristes répondent en vérité à des besoins qui furent identifiés voila une vingtaine d’années. Aujourd’hui cette politique a des effets parfois pervers en créant des situations de concurrence déloyale en privilégiant le rapport à la publication plutôt qu’à la diffusion, à la fabrication plutôt qu’à la lecture. S’il était utile de soutenir « l’aventure éditoriale » à une certaine époque, il est devenu urgent de trouver des lecteurs pour la création insulaire.
En effet la nécessité de faire connaître, de faire lire un livre est reléguée ainsi au second rang compte tenu des moyens budgétaires. Tout ce qui contribue à la mise en place d’une politique de diffusion du livre n’est pas considéré. Il existe en la matière un vrai problème culturel. Pour l’édition insulaire, méditerranéenne, le plus important est de se faire connaître, de chercher de la manière la plus large le moyen d’être lu dans un périmètre allant au-delà de nos frontières naturelles. Il faut pour cela, plutôt que de soutenir la fabrication du livre qui décharge dans une certaine mesure l’éditeur de son rôle de commerçant (avec les risques, et la capacité à faire que cela suppose), l’aider à rencontrer les marchés, les organes de diffusion, permettant de faire découvrir un auteur, une culture. C’est le moyen le plus fort pour assurer à l’œuvre une vie comme peut légitimement l’espérer celui qui l’a produite.
Le meilleur moyen pour un peuple d’échanger, de partager, de valoriser ses atouts, c’est celui que l’espace culturel permet. La démonstration est faite depuis longtemps dans ce domaine, et que serait le rayonnement de la France sans ses écrivains, ses artistes, sans Victor Hugo, Balzac, Rimbaud, Proust ou Camus…
Les catalans ont bien compris cette logique qui les conduit par ailleurs à soutenir bon nombre d’initiatives à l’étranger au cours de manifestations les plus diverses. La plupart des régions françaises ont la même démarche, elles ont depuis longtemps renoncé à soutenir les éditeurs directement au profit de la diffusion.
Le salon du livre de Francfort, ceux de Bologne, de Beyrouth, de Tanger sont autant de lieux qui ont pour projet de réunir l’ensemble de professionnels de la chaine du livre afin de favoriser les échanges internationaux. A l’inverse, le Salon de Paris est d’un intérêt médiocre, il se présente comme une grande librairie. Pourtant la CTC s’obstine à y aller à grands frais avec un retour notamment médiatique pratiquement nul. Elle hésite encore à franchir le pas la conduisant à une action plus ambitieuse.
La circulation de l’information au niveau national est très onéreuse, les médias demeurent généralement sur les autoroutes de l’édition qui s’organisent autour des intérêts financiers de groupes de communication et se préoccupent peu de ce qui existe en périphérie. L’argent domine l’action de ces entités et les espaces sont restreints.
Pour un éditeur une page d’information dans un grand média national vaut toutes les subventions qu’il pourrait recevoir pour la publication d’un livre.
Le « faire savoir » doit être la règle dans le cadre de l’action publique dans le domaine du livre, cela implique une série de mesures, toutes destinées à répondre à cet objectif. Aujourd’hui la méthodologie est connue dans ce domaine, nul besoin d’inventer des solutions par ailleurs connues car l’édition insulaire est prête en terme de savoir faire à soutenir la comparaison et l’espace méditerranéen est encore relativement disponible pour que la Corse trouve une place à la mesure d’une légitime ambition.
Sur le territoire la puissance publique doit avoir une politique dynamique en relation avec des lieux, espaces de diffusion (bibliothèques, librairies, manifestations pérennes). Un cahier des charges adapté, associé à la mise à disposition de ressources humaines doit être établi.

La langue

L’infrastructure d’apprentissage et diffusion de notre langue a considérablement évolué depuis une dizaine d’années dans le domaine public. Les écoles primaires, les collèges et les lycées disposent aujourd’hui d’équipes pédagogiques qui élaborent et conduisent des programmes sur l’ensemble du territoire.
Pour ce qui est de l’initiative associative le constat n’est pas à la mesure de ce qui s’est réalisé dans d’autres régions de France où l’action militante en faveur de la diffusion de la langue (bretonne, basque..) s’est traduite par la mise en place de petites structures de diffusion qui, bien que n’ayant pas bouleversé fondamentalement les choses, témoignent cependant du dynamisme associatif dans ces régions.

Il n'est pas courant d’entendre dans la rue des enfants s’interpeller en langue corse, quant à échanger sur un sujet quelconque de manière durable, cela relève de l’exceptionnel. En réalité notre langue a déserté les lieux ou par le passé elle a tenu « naturellement » sa place et elle n’a pu s’adapter aux transformations de son cadre.
Elle n’est pas présente dans la salle d’attente du médecin, du dentiste de l’avocat ou encore celle des différentes administrations (régionales), elle est absente aussi des bateaux et médiocrement présente dans les avions, elle ne s’affiche pas dans les lieux publics, gares portuaires, routières ou ferroviaires. Dans ces endroits pourtant fréquentés, espaces où l’occasion de sensibiliser au quotidien un public captif doit être saisie. Ces lieux qui accueillent le public, pourrait être, dans le cadre d’un projet global cohérent, des points devenant autant de relais pour favoriser le « réinvestissement » par la langue des territoires qu’elle n’aurait jamais du quitter ou dans lesquels elle n’a jamais pénétré.
La langue corse n’est plus la langue du pain entend-t-on dire. Cette seule affirmation l’entraîne donc de manière irréversible vers sa disparition. Il en est de la langue comme des valeurs, on ne peut les revivre à l’identique comme dans le cadre de la société agraire du début du siècle dernier, Il nous faut donc vivre les choses autrement, produire « un nouveau sens ».
Deux principes doivent conduire toute initiative. Le premier est fondé sur l’idée de partage. Participer à la vie commune, suppose que l’on construise ensemble, que l’on échange en évitant simplement de consommer ce qui est bâti ailleurs, pratique destructrice qui amène à l’anonymat. Le second principe est établi sur l’idée de continuité. L’action doit se produire sans attendre des « retours sur investissement » immédiats, ce qui induit de la part des institutions une programmation planifiée de leurs interventions. Il faut à tous prix s’éloigner des comportements velléitaires en considérant qu’il suffit de dire pour faire. Cela suppose aussi que soit élaborée le moment venu une grille d’évaluation de sorte à apprécier la pertinence de la méthode.
Il nous faut recenser les actions qui mise en cohérence peuvent susciter l’adhésion de chacun. Il est acquis que l’art, l’expression culturelle sous toutes ses formes, favorisent la diffusion de la langue, simplement, les lieux où les choses se passent, ne sont pas constitués en réseau. il faudrait donc organiser ce nécessaire maillage autour de ce qu’on appellera les relais de la langue et de la culture, qui travaillant ensemble pourraient, au-delà, des économies d’échelle obtenues sur une prestation, redimensionner les initiatives en leur donnant une assise régionale.
Ces relais de la langue existent aujourd’hui, ce sont les librairies, bibliothèques institutionnelles ou associatives, les maisons d’éditions, les cinémas, les centres culturels, les théâtres, C.D.I, café littéraires, musées… .Il faut recréer et baliser les chemins qui amèneront les gens vers ces lieux.

Il nous faut aussi pour conquérir le public le plus large opérer de manière collective en utilisant les instruments de communication, d’information disponibles (radio télévision presse écrite, Internet) et tout cela sous une forme interactive, ayant pour projet de créer l’événement. L’exemple de la ghjustra paesana (licéana) qui fut un énorme succès radiophonique autour de la langue donne la mesure de l’efficacité de l’interaction des moyens et de la mobilisation des énergies.

Le projet doit être conçu sous une forme ludique et de qualité ayant pour objectif de réunir à partir d’une initiative le maximum de personnes, en différents lieux et sur le même objet. Il s’agit aussi de se faire plaisir en étant acteur tout en produisant du lien .
Par exemple le train de la langue qui verrait converger en un point (Corti) des représentant des écoles de Corse (par niveau bien sur) rejoignant ce point pour participer à différentes activités autour de la création sous forme de joutes, d’exercices les plus divers (théâtre, sketchs, chants, poèsie….)
Tous cela bien entendu constituant des rendez-vous réalisables parce qu’utilisant des moyens collectifs existants.
Ce type d’évènement organisé dans l’espace peut l’être aussi de manière virtuelle sur Internet à la condition que les individus se regroupent sur des lieux (librairie, bibliothèques, cybercafé…).
La création d’un « mensuel tournant » qui verrait douze écoles des différentes régions de l’île produire chacune un numéro diffusé dans le milieu scolaire, affiché dans tous les lieux disponibles, diffusé par internet, offert dans les kiosques et les libraires bien entendu écrit en langue corse avec l’éventuel concours des enseignants sur la base d’une charte commune. Un vrai journal élaboré suivant des règles qui correspondent aux techniques et usages en vigueur.

Les services municipaux, et les mairies doivent être associés à des initiatives qui réclament des moyens autour de l’idée una cita e a so lingua. Il s’agit ici de partir à la rencontre de son quartier à travers la langue (ex : étude sur la toponymie, découverte des poètes du quartier, des personnages dont l’action a un rapport avec la langue), à travers la découverte des métiers d’hier ou d’aujourd’hui, de son patrimoine, grâce aux enquêtes de terrain réalisée en langue corse.

Ces lieux et ces moments de rencontre peuvent aussi utiliser comme prétexte le calendrier des événements qui convoquent depuis toujours les populations comme a settimana santa, natale, san ghjuvani, san martinu A titre d’exemple on pourrait écrire, monter et jouer une pièce autour d’un de ces sujets omniprésents dans notre culture.

la mise à contribution de nos écrivains, de nos poètes par la valorisation de leur travail doit être un souci constant dans ce projet en faisant appel à leur concours permanent notamment auprès des initiatives qui concernent la jeunesse. Le d'expérimentation est sans limites et réclame la manifestation d'un certain volontarisme
On pourrait multiplier les exemples, il est toujours question de la même chose et à travers ces quelques mots nous voulons dire que découvrir ou redécouvrir « sa langue » est aussi une affaire de plaisir, une affaire collective, une affaire de temps. Peu importe la forme et le prétexte, l’essentiel est de créer le mouvement.