Versione :
Corsu

E voce di Penelope

Resucontu di presentazione

U TILAGHJU
ou
Le Théâtre de l’Attente

Dernièrement, petit événement discret au Petit Théâtre de Poche de Bastia. U Teatrinu , en collaboration avec le Centre Culturel Universitaire, y présentait un texte de Dumenica Verdoni, très librement -et heureusement !- adapté de Las Voces de Penelope, de la dramaturge castillane Itziar Pascual. Née en 1967, cet espoir du jeune théâtre espagnol, lauréate de plusieurs récompenses internationales, sera au cours des prochains mois l’invitée du CCU et de la section d’espagnol de l’Université de Corse pour une session de travail littéraire et linguistique.

Qui ignore aujourd’hui la légende qui conte les aventures et exploits du superbe héros d’Itaque, Ulysse, dont le périple autour de la Méditerranée, dit-on, l’aurait mené jusque sur nos rivages ? Les meilleurs livres de fables et jusqu’à un feuilleton de télé-fiction ont popularisé la geste de celui que Pénélope attendit longtemps, filant son ouvrage le jour et le défaisant la nuit pour éloigner et retarder l’impatience grossière et brutale de ses prétendants.
Les spectateurs de U TILAGHJU n’avaient donc pas de quoi être étonnés par ce spectacle créé en langue corse et italenne. Et pourtant, la surprise et le plaisir ont été grands, pour un spectacle où gravité et humour se côtoient constamment.

Guy Cimino était là, veillant à tout. Il avait tendu les fils, tissé la toile de la mise en scène, choisi les accompagnements musicaux et les éclairages d’ambiance. Au fond, voilà peut-être notre héros. Un Ulysse… des coulisses, metteur en scène discret, mais efficace, inspiré, sachant tirer parti de tout, même de l’exiguïté du lieu et des ressources.

Donc ici, pas de héros sur scène. Plutôt des anti-héros. Femmes. Comédiennes.
Maria-Anghjula Geronimi qui incarne une Pénélope d’une belle gravité, pénétrée du tragique de la légende éternelle. De Madame Pastasciù à Penelope, le grand écart du talent, du travail et de la fidélité.
Patrizia Gattaceca s’était éclipsée du jeu théâtral depuis vingt ans, depuis U Casale de Fola Fuletta. Trop longs, vingt ans. Patrizia le retour ! Qu’elle reste sur la scène du chant bien sûr, et du jeu théâtral, avec sa gouaille, sa malice et ces mélancolies qui passent, de loin en loin, accrochées à une inflexion de voix...
Paola Bua, jeune comédienne de Sos sinnos (« I Segni ») une compagnie d’Ozieri, porte dans sa voix tout le miel du Logudoru où la Sardaigne est poésie depuis toujours. Une première apparition réussie dans le théâtre corse.

INTERREG est passé par là. Sans tambour ni trompette. La collaboration est désormais régulière entre nos théâtres et nos cultures et les effets d’annonce s’effacent devant les réalisations et l’amitié que crée le travail en commun. Le corse et l’italien se marient avec fluidité dans un langage dramatique suggestif. De quoi nous faire oublier que le corse est toujours langue minorée. Tant mieux : on vient au théâtre par plaisir. Parce qu’il nous parle de nous. Et celui-ci dans notre langue, de surcroît. Un cadeau.

U TILAGHJU. Trois rôles de femmes, trois Pénélopes pour ainsi dire. Trois voix, trois révoltes, trois fragilités, entre rire et larmes, à la limite de l’émotion.
Mais où est donc passé le héros ? Le rideau s’ouvre sur un départ, et le temps de l’action dramatique se confond bien avec celui de l’attente, du désir, de l’autre ou peut-être de soi. En fait, la parole est donnée à la Femme, une Pénélope à trois voix, qui fait et défait sa propre toile, celle d’un destin, d’une vie, d’un rôle, pas toujours voulu ou assumé, échos de soi, ou d’un éternel féminin, entre hier et demain.
On retrouve ici la silhouette homérique mais avec une triple figure qui permet de revisiter le mythe en lui donnant une dimension éminemment contemporaine. Trois personnages en un, donc : Pénélope / La femme qui attend / L’amie de Pénélope.
Le mythe est ainsi déconstruit et introduit dans un espace et une sensibilité moderne qui sont ceux de l’Attente. Devons-nous alors nous fier à la version d’Homère ? Pénélope peut-elle exister uniquement en fonction d’Ulysse et de Télémaque ? Est-ce bien une attente fidèle dans le palais d’Ithaque ? Que faisons-nous dans le temps de l’attente ? Que signifie attendre aujourd’hui ? Quelle relation avec l’espérance ?

Vingt tableaux :
Ce sont là les questions qui supportent un spectacle construit en vingt tableaux autonomes, mais ordonnés de manière à indiquer l’évolution du personnage principal, Penélope, à travers ses deux autres figures.
1.- Adieu, Ulysse (Pénélope)
2.- L’adieu (la femme qui attend)
3.- Nous sommes toutes semblables (l’amie de Pénélope).
4.- Donner des conseils (la femme qui attend / l’amie de Pénélope).
5.- Je serai ton « baby » (la femme qui attend / l’amie de Pénélope).
6.- Ce n’est pas facile de t’oublier (la femme qui attend)
7.- Des pas (Pénélope)
8.- Répondeur téléphonique (la femme qui attend)
9.- Violence de tous les jours (la femme qui attend)
10.- La mort douce (Pénélope)
11.- Honte aux hommes (l’amie de Pénélope).
12.- Boire, boire, et encore boire ! (la femme qui attend / l’amie de Pénélope).
13.- Comme une de la haute ! (l’amie de Pénélope).
14.- Ithaque est un bordel ! (Pénélope)
15.- Le signe du voyageur (Pénélope)
16.- A minuit, le destin a changé (la femme qui attend / l’amie de Pénélope)
17.- Une pluie d’amour (la femme qui attend)
18.- Condamnation (Pénélope / Le métier à tisser)
19.- Au loin (la femme qui attend)
20.- L’histoire vraie de ma vie (Pénélope/ la femme qui attend / l’amie de Pénélope)
Le spectacle se déroule ainsi sur deux parcours (dans le mythe et dans l’actualité), trois histoires de vie, un seul cheminement. Le Temps de l’Attente. Un temps de l’attente qui affranchit les personnages de l’attendre quelqu’un d’autre (l’homme aimé) et les plonge dans l’attente de soi. L’espérance de se découvrir et de se connaître enfin.
« L’attente est une forme d’existence.
C’est un acte silencieux de réaffirmation
Dans ce que nous sommes, ce que nous sentons,
Ce que nous attendons.
Le temps n’est pas un ennemi, c’est un compagnon de voyage. »