7-FRANCOPHILIE, ITALOPHILIE, CORSITÉ, cultures et langues en conflit

FRANCOPHILIE, ITALOPHILIE, CORSITE,

CULTURES ET LANGUES EN CONFLIT

 

Quel qu'ait  été l'amour de Renucci pour l'Italie et la culture italienne, la francophilie et la fidélité à la "mère-patrie" française qu'il manifeste dans tous ses  écrits excluent tout sentiment d'appartenance politique  à l'Italie.  Cependant la complexité de ses sentiments mérite un examen approfondi dont les résultats sont d'autant plus instructifs qu'ils nous paraissent partagés par un nombre sensible de Corses dont la pensée s'est exprimée dans des  écrits contemporains de ceux de Renucci.

Les productions littéraires auxquelles il est fait allusion dans les Memorie ne livrent aucun trait digne de retenir longtemps l'attention. Des dons poétiques affirmés dès l'âge de quinze ans, un sonnet dédié à Elisa, différentes compositions poétiques  écrites après ce premier essai, un sonnet sur l'arrivée d'Agostino Giafferi, une  églogue sur le retour de Pascal Paoli, un hymne en vers saphiques offert  à l' évêque Du Verdier: de ces pièces nous ne connaissons que l'allusion qu'en font les Memorie, mais il n'y a pas lieu, croyons-nous, de leur reconnaître la valeur que leur attribue Francesco Ottaviano. Ces pièces de circonstance devaient ressembler  à ces deux sonnets  écrits  à l'occasion de l'arrivée de Millet de Mureau et transcrits au chapitre XXXI. Indéniablement, la mise en oeuvre d'une mythologie rhétorique l'emporte sur les qualités poétiques. Les autres oeuvres que mentionne Renucci s'imposent moins par leur valeur littéraire que par leur caractère anecdotique. Elles montrent en revanche que Francesco Ottaviano partageait avec ses contemporains les modes d'expression et les conventions littéraires alors en vigueur. 

 

Plus intéressant est le goût qu'il manifeste pour la littérature en langue corse de son  époque. On remarquera  à ce propos que les quatre pages qui sont consacrées  à ces pièces dans le manuscrit ont  été intercalées, comme le montrent la différence du papier et la pagination puisque les pages 17  à 23  étaient primitivement numérotées de 13  à 19.   

Que signifie la correction de certaines dates dans les Memorie ?

 Francesco Ottaviano avait-il l'intention de traiter plus loin de la littérature "in lingua vernacola" et s'est-il ravisé après coup?

Si l'on ne peut attribuer sur une simple hypothèse ces pages  à l'intervention d'un familier, il faut constater que cet ajout constitue la seule mention de la littérature populaire corse. L'examen du manuscrit révèle  à la page 3 la présence d'une surcharge. Rappelant l'année où il avait commencé à  écrire ses mémoires, Renucci avait d'abord  écrit: "1839" puis il a corrigé cette date en "1837". Or nous savons que le séjour de quelques mois effectué par Niccolò Tommaseo en 1838-1839 fut déterminant dans l'intérêt des lettrés corses pour la littérature populaire de leur pays . En antidatant ses mémoires, Francesco Ottaviano a-t-il voulu apparaître comme un précurseur? Si tel fut le cas, s'agissait-il d'une vanité d'auteur ou d'une volonté plus complexe d' écarter toute influence  étrangère  à l'île même, alors que se faisaient entendre les premières prises de position sur la question de l'identité corse, prise entre francité et italianité?  Il est inutile de revenir ici sur les sentiments francophiles affirmés par le mémorialiste tout au long de son livre, quelle que soit l'époque à laquelle il est fait référence. Il convient cependant de noter que cette acceptation de la nationalité française s'assortit d'une francophilie culturelle, affirmée notamment dans son admiration pour la culture et la langue françaises. A ce sujet le passage le plus  éloquent des Memorie est celui où il rapporte avec fierté ses conversations littéraires avec le vicomte de Marcellus, aide de camp du marquis de Rivière. Il va même jusqu' à rompre avec sa misogynie foncière pour célébrer les grâces des dames françaises: "Le dame francesi, è forza confessarlo, sono generalmente culte e a differenza di quelle dell'altre nazioni conversano volontieri e si compiacciono colle persone istruite".