LUMI:“REPUBLIQUE ET REPUBLICANISMES”:

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Texte: 
 
 
Cf.J.Thiers : Papiers d’identité(s) pp.61-64, Albiana, 2008
 
Il apparaît en effet que conformément à la politique du pouvoir central à l’égard de l’ensemble des régions françaises durant tout le XIXème siècle, l’objectif n’est pas de diffuser un enseignement démocratique, mais d’assurer à l’Etat capitaliste et nationaliste le concours des classes dirigeantes dans les régions. En Corse, cette orientation s’adapte aux « localités » comme il est dit dans les documents. Lutter contre un système d’enseignement local traditionnellement fondé sur l’étude du latin et de l’italien en Corse revient à cette époque à s’assurer le contrôle des notables locaux et de la classe moyenne, les grandes familles étant, depuis la Révolution et l’Empire, pour ainsi dire acquises au pouvoir central. Les documents d’archives mettent en lumière les données régionales de cette politique. En voici un extrait tout à fait significatif :
« La Corse fourmille de médecins, d’avocats, de gens d’affaire et autres toujours prêts à servir le public de leurs talents et dont le plus grand nombre, se trouvant dans le besoin, sont obligés de vivre d’intrigue, ce qui ne fait qu’accroître les maux qui pèsent sur ce malheureux pays. Le haut enseignement (entendre l’enseignement secondaire et supérieur) se trouvera d’ailleurs toujours suffisamment répandu en Corse au moyen des jeunes gens que les familles les plus aisées envoient depuis quelques années étudier sur le continent français. Ces élèves jouissant de la fortune nécessaire sont les seuls qui pourront réellement mettre à profit, tant pour leur propre compte que pour le bien de leur pays, les connaissances supérieures qu’ils auront acquises » (Lettre de l’Inspecteur d’Académie de la Corse au Grand-Maître de l’Université, 4.10.1824).
Aussi les autorités académiques s’appliquent-elles à limiter l’accès aux collèges communaux de Bastia et d’Aiacciu par l’institution d’une rétribution collégiale de 36 francs : les effectifs scolaires s’écroulent dans ces deux établissements entre 1824 et 1830. Parallèlement, on poursuit les « écoles clandestines » tenues par des ecclésiastiques diplômés des universités italiennes et les « écoles de latin » non autorisées par l’Académie : les commissaires de police et la gendarmerie dressent procès-verbal des infractions constatées (cf. THIERS 1979 : 703-738).
On conçoit aisément que dans un tel climat, les oppositions à la politique de l’autorité académique ne se soient manifestées que sous une forme indirecte. Mais les réactions suscitées par l’application de ces dispositions ont laissé quelques traces dans les fonds d’archives. Ces documents nous informent tant sur l’état de la connaissance du français dans certains groupes que sur leur opposition à l’acculturation programmée par l’autorité. Le document ci-après présente au Ministre des Cultes et de l’Instruction les doléances de l’un des deux vicaires généraux du diocèse de la Corse contre Louis-Magloire COTTARD, successeur de MOURRE :
« (…) un tord qu’on doit dire n’est pas que l’effet de l’intrigue pourquoi ont fait jouver les machines clandestinement pour favoriser (…) des personnes sans consulter l’utilité publique malgré que les vues du gouvernement paternel du roi serait de faire jouir à la jeunesse d’un bienfait ou plutôt d’un droit commun de la primaire instruction. Il a été dit par M. Cottard inspecteur charge des fonctions rectorales les Corses, dans une lettre envoyée à un des ses camarades peut ëtre de licé, et qu’on est pervu a savoir que malgré lui on avait établie a Belgòdere une école primaire Belgodère le païs le moins français ; sans doute que dans un système absurde libéral de M. Cottard Belgodère est le païs le moins français que les habitants sont en fait les plus éminents français savoir le plus attachés à la légitimité des Bourbons les plus paisibles parce que cette commune fut la première à arborer le drapeau (…) dans le tems de la persecution je dus figurer dans ma qualité de vicaire general de trois évêques que je avais servit alors et celui que je serve à présent c’est le quatrième je dus figurer sur la liste des emigrés (…) mais ce tord n’est pas seulement contre Belgodère c’est contre tout le canton de Paraso et contre trois autres cantons qui lui sont limitrofs (…) qui ne jouient nullement du bienfait d’aucunes de ces écoles primaires lorsque dans les cantons de Regino, Montegrosso et Calvi et Santangelo aussi limitrofs l’un a l’autre il y he a quattre (…) C’est tout des vérités notoires dont on peut produire les preuves les plus authentiques ». (Lettre du 2.06.1823, Archives Nationales, F17 11755).
Saisi de cette plainte, le ministre demande des éclaircissements au préfet de la Corse qui lui répond :
« Il paraît que M. Cottard serait déterminé à établir une école cantonale à Belgodère parce qu’il s’était convaincu lors de sa tournée que la langue française n’y était pas en honneur et qu’elle en était même bannie avec une sorte d’affectation. C’est pourquoi ce fonctionnaire a dit (…) que c’était le canton le moins français de toute la Corse ; et en effet pouvait-il s’exprimer autrement lorsque dans son inspection tout le comité cantonal de Paraso ne répondait à ses exhortations pour propager la langue nationale que par ces mots : noi siamo italiani et quand, aux instances qu’on lui faisait à ce sujet, le faisant fonction de juge de paix opposait des vociférations indécentes.
Il paraît aussi, Monseigneur, que le Vicaire Général Marchesi, vieillard octogénaire, est imbu des principes ultramontains et que ne reconnaissant d’autre suprématie que celle de l’archevêque de Florence, dont la Corse dépendait autrefois, il cherche à italianiser toute la jeunesse de l’arrondissement spirituel qu’il dirige (…) » (Lettre du 25.08.1823, Archives Nationales, F17 11755).
Ces deux pièces mériteraient une analyse approfondie. L’étude des interférences et des calques dans la lettre du 2.06.1823 nous informe sur l’état des compétences en français. Les phénomènes du contact linguistique entre la langue cible (le français) et les compétences (toscan et corse) des Corses rédacteurs de telles correspondances se retrouvent tout au long du XIXème siècle. La lecture de ces documents nous permet d’entrevoir le climat intellectuel –et le malaise !- de plusieurs générations successives d’élites peinant à s’exprimer dans le nouveau code. L’écho qui nous en parvient est le plus souvent attristant. Il devient parfois tout à fait émouvant, comme dans cette rivalité qui s’établit vers les années 1840 entre deux générations de maîtres d’écoles communales. Les uns, qui bénéficiaient depuis les années Mourre de l’« autorisation provisoire » d’enseigner reconduite d’année en année disent, dans un français très approximatif, qu’ils avaient cru pouvoir continuer tant bien que mal… Les autres, élèves frais émoulus de l’Ecole Normale, font valoir leurs droits auprès des maires. Excipant de leurs diplômes et certificats visés par les autorités, ils exhibent leur maîtrise de la « langue nationale » dans un style à vrai dire bien emphatique mais témoignant de l’efficacité de leur formation (THIERS 1993).
L’affrontement oppose désormais des Corses entre eux, jusque dans leur village. L’enjeu culturel, idéologique et social de cette rencontre conflictuelle de cultures au sein de la Corse s’est ainsi municipalisé au cours de la première moitié du XIXème. L’« hésitation entre la France et l’Italie », comme le dit la synthèse de F. ETTORI (1980 : 134-165), qui occupait l’esprit des élites corses et préoccupait les représentants insulaires de l’administration centrale a produit un effet qui ne va cesser de s’amplifier jusqu’à couper pratiquement tout contact dans l’échange intellectuel avec le monde italique.
 
 
 
 
 (…) Il paraît aussi, Monseigneur, que le Vicaire Général Marchesi, vieillard octogénaire, est imbu des principes ultramontains et que ne reconnaissant d’autre suprématie que celle de l’archevêque de Florence, dont la Corse dépendait autrefois, il cherche à italianiser toute la jeunesse de l’arrondissement spirituel qu’il dirige (…) » 
(Lettre du 25.8.1823, Archives Nationales, F17 11755).
Ces deux pièces mériteraient une analyse approfondie. L’étude des interférences et des calques dans la lettre du 2.06.1823 nous informe sur l’état des compétences en français. Les phénomènes du contact linguistique entre la langue cible (le français) et les compétences (toscan et corse) des Corses rédacteurs de telles correspondances se retrouvent tout au long du XIXème siècle. La lecture de ces documents nous permet d’entrevoir le climat intellectuel –et le malaise !- de plusieurs générations successives d’élites peinant à s’exprimer dans le nouveau code. L’écho qui nous en parvient est le plus souvent attristant. Il devient parfois tout à fait émouvant, comme dans cette rivalité qui s’établit vers les années 1840 entre deux générations de maîtres d’écoles communales. Les uns, qui bénéficiaient depuis les années Mourre (1) de l’« autorisation provisoire » d’enseigner reconduite d’année en année disent, dans un français très approximatif, qu’ils avaient cru pouvoir continuer tant bien que mal… Les autres, élèves frais émoulus de l’Ecole Normale, font valoir leurs droits auprès des maires. Excipant de leurs diplômes et certificats visés par les autorités, ils exhibent leur maîtrise de la « langue nationale » dans un style à vrai dire bien emphatique mais témoignant de l’efficacité de leur formation (THIERS 1993).
L’affrontement oppose désormais des Corses entre eux, jusque dans leur village. L’enjeu culturel, idéologique et social de cette rencontre conflictuelle de cultures au sein de la Corse s’est ainsi municipalisé au cours de la première moitié du XIXème. L’« hésitation entre la France et l’Italie », comme le dit la synthèse de F. ETTORI (1980 : 134-165), qui occupait l’esprit des élites corses et préoccupait les représentants insulaires de l’administration centrale a produit un effet qui ne va cesser de s’amplifier jusqu’à couper pratiquement tout contact dans l’échange intellectuel avec le monde italique.
 
La corsité latente
Revenons un peu sur les termes soulignés par le préfet dans la seconde de ces lettres :
L’énoncé prend la forme d’une citation : « noi siamo italiani ». Que cet énoncé italien occulte un énoncé en langue corse (noi simu/semu taliani) que n’aurait pas « entendu » l’interlocuteur, ou qu’il ait été effectivement produit sous cette forme (ce qui paraît plus plausible), la spectacularisation du conflit entre français et italien est totale. Ainsi est marqué le caractère scandaleux et attentatoire de l’affirmation identitaire rapportée. En inscrivant cet énoncé au style direct, le préfet met en relief la responsabilité de l’énonciateur et le caractère doublement délictueux de ses propos. L’ordonnance du 21 février 1816 fait en effet obligation aux membres du Comité Cantonal d’Instruction (composé des notables et des autorités ecclésiastiques) de favoriser la diffusion de l’instruction primaire, indissociable de l’apprentissage de la langue française. La qualité des responsables et de leur porte-parole, le juge de paix, constitue une circonstance aggravante.
L’accusation portée contre le vicaire général est condensée dans un infinitif dont le suffixe et le contexte (« il cherche à ») indiquent le caractère processif, la malveillance et l’intention subversive : « italianiser » cristallise ainsi les griefs que doit inspirer une conduite qui se dresse contre les institutions et règlements de l’Etat incarnés par la « langue nationale ». Cette attitude bafoue, de surcroît, la loi morale puisqu’il est donné comme évident que la voie « spirituelle » commande de franciser la jeunesse corse.
Si l’on néglige d’autre part les entorses à la courtoisie des échanges officiels (« vociférations indécentes »), c’est bien une responsabilité collective qui est dénoncée, comme l’indiquent la mention du groupe « tout le comité cantonal » et le collectif « noi ». Resterait à déterminer quel locuteur collectif désigne exactement ce pronom. Il semble exclu qu’il puisse s’agir uniquement des notables de ce canton, car l’enjeu du débat et les circonstances de l’incident (« les exhortations » de l’inspecteur d’académie « pour propager la langue nationale ») font apparaître une communauté plus large : c’est l’ensemble des Corses qui est ici concerné.
Il faut alors faire réflexion sur la pression particulière de l’idéologie du conflit des langues sur le cadre du discours. Tout se passe comme si les protagonistes de cette scène ne pouvaient produire qu’un sens conforme au schéma bipolaire entre la « langue nationale » (le français) et la « favella materna » (l’italien). Dans la situation socio-politique et idéologique de l’époque, les notables ici incriminés sont sommés par les circonstances de définir leur identité et de se rendre verbalement maîtres de l’alternative conflictuelle, mais ils ne peuvent (ou ne sont pas disposés à ?) assurer le dégagement du sens individuateur qui consisterait à assumer « la production d’identité » corse, le noi simu/semu corsi. Ainsi, l’identité corse peut être considérée comme une latence, que l’on est réduit à conjecturer en arrière-plan de l’énoncé cité : noi siamo italiani.
On est ainsi amené à conclure, par extrapolation et en rapprochant ces documents d’autres indices, que les balbutiements d’une conscience linguistique tournée vers la spécificité du corse ont trouvé un obstacle important dans « l’hésitation entre la France et l’Italie » qui caractérise les notables et les groupes dirigeants de cette époque. Leurs attitudes et leur discours nous masquent l’état de l’opinion populaire sur ce point, mais aucun élément de type documentaire ne permet à ce jour de penser que les groupes dominés aient pu se démarquer nettement des élites au niveau conscient. Politiquement française, la Corse paraît donc être restée, pendant tout la première moitié du XIXème siècle, largement ancrée dans l’aire culturelle et idéologique où s’impose la langue italienne comme expression des pratiques socio-économiques et socio-culturelles. Cet attachement prend la forme de déclarations passionnées en faveur de « la nostra favella materna » (« notre langue maternelle »), comme le clament patriotiquement ceux qui perçoivent les signes avant-coureurs de la transculturation sans toutefois s’opposer – ouvertement du moins, si l’on en croit les sources – au développement de la « langue nationale » qui ne réfère encore, au niveau général, qu’au lien de la citoyenneté politique. L’illusion de pouvoir conserver une nationalité culturelle corse sous couvert d’italianité persistera longtemps, même au-delà des années 1850. Comme nous l’avons évoqué à propos de la formation des élèves-maîtres et malgré ses cahots, la politique de francisation produisit entre-temps ses effets. Cependant on constate aussi, de manière concomittante une lente percée du corse dans la conscience linguistique de la communauté. Comme les partisans de Mourre et Cottard doivent regretter les à-coups de la politique de francisation !  
 
(1) rechercher à partir de la rubrique « Accolta » les documents déjà publiés dans www.interromania.com 
Literatura
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