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Francese

LITERATURA E SUCETA: VOCERU E TEATRU

Le geste et la parole dans le voceru corse

(fiche infos communication INTERREG II, Sassari, 1999)

Pour cette contribution au thème commun de l’étude comparative des théâtralités de Corse et de Sardaigne, il convient de procéder à un repérage des matériaux, actuels ou plus anciens, dont l’existence laisse entrevoir une exploitation tant théorique et critique que pratique dans le domaine -inscrit en prolongement du programme- qui est celui d’un théâtre des identités culturelles.

Dans cette direction, il y a sans doute bien des enseignements à tirer d’une procédure d’enquête et d’analyse inspirée des principes de l’ethnographie de la communication et de la grammaire des conversations. Un certain nombre de remarques tirées de l’observation directe comme de la consultation de documents vidéographiques réalisés pour des besoins de collectage patrimonial nous permettent d’espérer des résultats significatifs.

Cependant, au terme d’une période marquée par de nombreuses rencontres et un programme de réalisation fécond (cf.Itaca ! Itaca !, Ciclope et les séminaires de préparation d’un projet « Kaléidoscope » qui n’a pas abouti mais a permis d’intéressantes confrontations), il me semble utile d’attirer l’attention sur le voceru corse, l’un des rites funéraires susceptible de fournir une matière adaptée à notre objet et offrir quelque comparaison pour une dramaturgie comparative. L’opportunité de cette allusion nous est offerte par le travail de préparation scénographique que nous effectuons sur le projet multidirectionnel Dionomacchia 2000, conçu à partir du poème héroï-comique de Salvatore Viale intitulé Dionomachia et dont on trouvera en annexe le descriptif sommaire.

Le voceru de Rosa composé par Viale et inséré dans le chant IV de sa Dionomachia est conforme aux lois du genre ; il constitue une référence typique et permet une brève description. Nous limitant à ce qui convient à notre propos et dans l’optique du programme comparatiste qui est le nôtre, nous ne pouvons mieux faire que citer ci-dessous de larges extraits de l’étude la plus aboutie concernant le voceru. Elle est due à notre maître le Professeur Fernand ETTORI et est issue d’une recherche de groupe effectuée il y a vingt-huit ans. Les investigations portaient sur un double aspect du voceru : le rite et la poésie) ; nous n’avons reproduit ci-dessous que la partie qui concerne le rituel. Elle fournit, croyons-nous, de précieuses indications pour le travail en cours.
 
document:

Fernand Ettori : « Introduction à l’étude du vocero », in Pieve e paesi, communautés rurales corses, Editions du CNRS, Paris, 1978, pp.247-267.

« Le chant funèbre ou vocero est un temps fort du rituel funéraire. Il est vrai que les rites du deuil concernent au plus profond d'elle-même la communauté regroupée à un moment critique de son existence. Parmi les pratiques communautaires, le voceru est à la fois privilégié et ignoré. Promu à la dignité littéraire au XIXème siècle par le romantisme européen et à la dignité lexicale par l'admission au Littré,le vocero reste néarurroins mal connu, car, en dépit de l'abondante littérature qui lui est consacrée, il n'a pas été vraiment étudié ni comme rite ni comme poème.

Le terme de vocero, comme celui de vocératrice, est entré dans la langue française à la suite de Mérimée, mais la langue corse emploie aussi pour synonyme le mot lamentu.

Le terme recouvre en fait une grande diversité qui peut être ordonnée autour de deux thèmes.
1) Le thème de la voix. C'est le plus répandu dans toute la Corse, à l'exception du sud (ancienne province de la Rocca) où il est totalement inconnu. Du verbe latin vociferare provient le verbe vocerare sur lequel est formé le substantif vocero. La forme corse du verbe est très régulièrement bucerà et celle du substantif, boceru, toscanisé en vocero par les lettrés du début du XIXème siècle. Variantes locales: bôciaru (Balagne, piève d'Evisa) ou, avec un déplacement de l'accent, buciàru (pièves de Celavu, Mezzana, Talavu); avec des suffixes différents bucerata ou buceratu (Castagniccia), buciale (et le verbe bucià ) à Vicu ; e buciaie, en certains endroits de Casinca. Il est à noter que le thème issu du latin vocem se rencontre assez rarement pour désigner le chant funèbre en dehors du corse boceru et du roumain bocet et que le verbe bucerà est probablement le seul continuateur en formation populaire de vociferàre dans les langues romanes.
2) Le thème de la danse. Le verbe ballà donne les substantifs ballatu ou ballata A l'état sporadique dans le Deça-des-Monts et toujours en concurrence avec le thème de la voix, les mots issus du verbe ballà deviennent plus fréquents dans le Delà et finissent par prédominer exclusivement dans le sud (ancienne province de la Rocca) sous la forme particulière que leur donne la phonétique bien connue de la région, baddata . Sur baddata est formé le verbe baddatà ou, dans la Rocca le composé abbaddatà tandis que la vocératrice y porte le nom
d’abbaddatadori.
3) Un autre mot enfin, aujourd'hui totalement disparu de l'usage, semble-t-il, est donné comme synonyme de voce ballata par Salvatore Viale : c'est le mot còmpitu (et le verbe compità) qui rappelle le repitu sicilien et calabrais (avec un préfixe différent ) et les computatrici romaines du Moyen Age. L'idée semble celle de l'énumération (computare).

PREMIERE PARTIE:LE VOCERO-RITE.

Tous les vocables qui renvoient au geste ou à la parole tendent à définir le vocero comme un élément du funéraire. Et c'est bien ainsi qu'il a été perçu pendant des siècles. Le texte le plus ancien sur ce sujet est celui du chroniqueur Petrus Cyrnaeus - dit aussi en italien Pietro Cirneo, ce clerc de Fece d'Alesani qui achevait en 1506 son De Rebus Corsicis.

«Les Corses font à leurs morts des funérailles pompeuses ; pas d'enterrement sans qu'il y ait convoi, lamentations, éloge du mort, chants funèbres, discours. Leur rite funèbre est à peu près le même que celui des Romains. Un voisin fait entendre un cri d'appel et, nommant quelque bourg du voisinage, il ajoute : Holà avertis dans ce pays, un tel est mort ! on porte ensuite le corps à l'église. Tous suivent le convoi; ceux mêmes qui appartiennent à des partis ennemis marchent familièrement côte à côte. Puis les prêtres font l'office et après cela arrivent sur une longue file les hommes d'abord, les femmes ensuite groupées par villages, par hameaux, par pièves. A peine sont-ils arrivés qu’à l'exemple de la femme et des frères du défunt, tous éclatent en sanglots et en cris de douleur, se déchirent leurs habits sur leur poitrine; les femmes, le visage tout en larmes, se frappent le sein, se meurtrissent le visage et s'arrachent les cheveux. Les chevaux favoris du défunt sont bridés et attachés par les rênes à de longs pieux. Sept jours après, les héritiers font célébrer par les prêtres une messe pour l'arme du défunt. Il en est beaucoup qui font alors une distribution de viande et donnent un repas funèbre».

Pour la première et dernière fois les rites funéraires corses sont décrits sine ira et studio dans l'acceptation pleine et entière des usages d'une communauté que Pierre de Corse, en homme instruit, proclame, non sans quelque fierté, héritière de la Rome antique. Dès la seconde moitié du XVI ème siècle, commence pour les rites funéraires traditionnels une longue période de réprobation où le vocero n'est pas épargné. L'Église post-tridentine accentue et précise une hostilité déjà ancienne envers des pratiques relevant, de toute évidence, d'une conception antéchrétienne de la vie et de 1a mort. Pendant un siècle et demi, les visites apostoliques ou pastorales s'emplissent de constatations affligées, tandis que les constitutions synodales prononcent des excommunications majeures ou fixent le montant des amendes contre les femmes qui «hurlent comme des bêtes», se griffent le visage, s'arrachent les cheveux, voire contre le banquet funèbre ou l'usage de faire des distributions de vin, de pain et de viande le septième jour (les gustari ou vustari qui existaient encore il n'y a pas longtemps). Les «cantilènes superstitieuses» , c'est-à-dire les voceri, ne sont pas oubliées dans ces prohibitions.
Plus significatif que ces interdictions générales dont la répétition traduit l'inefficacité, est l'effort patient, multiséculaire de l'autorité ecclésiastique pour renfermer la lamentation funèbre dans l'enceinte de la demeure privée et pour l'exclure de la maison de Dieu. Car le texte de Pietro Cirneo cité plus haut est on ne peut plus net sur ce point: de son temps, lamentations et vooeri se faisaient à l'intérieur de l'église où le corps était immédiatement transporté aprè le décès.
L’autorité a finalement réussi à mettre fin au scandaleux mélange du sacré (chrétien ) et du profane (qui est lui-même un sacré plus ancien) au moment de la cérémonie religieuse. Cependant on note encore au début du XVIIIème siècle des cas de danse funèbre sur la place de l'église.
Les tendances de la civilisation classique, puis l'esprit des lumières ont contribué aussi pour leur part au discrédit des vieux rites funéraires. Une sensibilité nouvelle privilégie le silence sur les manifestations tumultueuses de la douleur. Autant il eût été scandaleux dans la société traditionnelle de se taire devant le cadavre, autant désormais semblent choquants les cris et les gestes paroxystiques: un certain silence est devenu signe de dignité. A ces mesures nouvelles, le vocero et les lamentations qui l'accompagnent sont jugés comme des usages barbares, grossiers, insupportables à une civilisation sûre d'elle-même, qui se veut modèle unique et méprise tout ce qui est différent. De ce mépris témoignent les observateurs français du XVIIIème siècle et notamment les militaires. Témoin cet auteur d’une Description, qui fait le bel esprit et traite les vocératrices de « vieilles sorcières» et plaisante sur ces ridicules coutumes qu’ils ont « tirées des Maures ».

Mais ce qui est encore plus caractéristique de la pénétration d'un mode de penser nouveau, c'est que les Corses eux-mêmes, ou plus exactement certains d'entre eux, finiseent par s'éloigner des attitudes traditionnelles. Évêques génois et officiers français étaient des étrangers dont les abjurgations n'avaient guère d'effet, et le clergé local fermait les yeux. Vers la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème, au contraire, religion et lumières se conjuguent, dans une frange urbaine, « polie » et quelquefois lettrée de Ia population, pour rejeter ce qui est jugé « excessif ».
Désormais la persistance du vocero marque une distinction géographique, voire un clivage social. Abandonné par la bourgeoisie des villes, il tend à se confiner dans le monde rural. C'est ce que confirment deux autres témoignages:l'abbé lucquois Giovacchino Prosperi, qui a prêché en Corse de 1838 à 1843, prend soin de préciser que les abus dont se plaignait Ambrogio Rossi sont le fait du « vulgaire » et non des « personnes de quelque quaalité »;quant au poète bastiais Salvatore Viale, il assure que la violence qui se déchaîne dans les voceri de malemort ne se rencontre plus que dans la bouche « des femmes de basse condition ». Il convient toutefois d'ajouter que, dans l'intérieur de la Corse, les pratiques funéraires traditionnelles conservent jusque vers 1914 l'adhésion de la communauté rurale sans distinction de classes. Les voceri en l'honneur des notables sont fréquents au XIXème siècle. C'est là un trait spécifique qui distingue la Corse de la Sicile et de l'Italie du sud où le repitu était abandonné depuis longtemps aux bergers et aux paysans. Au-delà des distinctions de fortune et de rang - beaucoup moins marquées que dans d'autres régions méditerranéennes- une certaine unité culturelle maintient les mêmes rites du deuil pour tous. Ce sont des rites qu'il convient maintenant d'examiner de façon à situer le vocero dans son contexte. Sans négliger l'apport de témoignages écrits plus anciens, la documentation repose avant tout sur une enquête réalisée en 1973-74 (23) et vaut pour le premier quart du XXème siècle, époque à laquelle remontent les plus anciens souvenirs des informateurs.

LE LIEU ET LE MOMENT.

Le lieu du vocero est celui de l'exposition du corps, c'est-à-dire la demeure du défunt. Dans la pièce unique qui a longtemps été la règle, au moins en milieu pastoral, les hommes et les femmes sont rangés face à face de chaque côté du corps, à moins que les hommes, si le temps le permet, ne restent dehors. Quand la maison comporte au moins deux pièces, la séparation entre hommes et femmes se fait plus aisément, les femmes se tenant dans la pièce mortuaire, qui peut être la salle commune, mais tend de plus en plus et depuis longtemps à être une chambre. Les volets sont clos, le feu éteint, les glaces voilées. Le mort, revêtu de ses plus beaux habits, était autrefois couché sur la tola, planche reposant sur deux billots ou deux tabourets, auiourd'hui il est exposé sur un lit; à son chevet, des lampes à huile, toujours en nombre impair, remplacées de nos jours par des cierges.
Le temps du vocero n'est pas strictement détermfiné. Il prend place au moment favorable dans un rituel bruyant où gestes, pleurs, cris et paroles se conjuguent ou se succèdent avec une intensité variable et qui cessent au coucher du soleil pour reprendre à l'aube.

LE RITUEL DU DEUIL PENDANT L'EXPOSITION.

L'analyse de ces manifestations rèvèle plusieurs niveaux d'intensité.

Un éclat paroxystique qui suit immédiatement le dernier soupir du mourant ou l'arrivée du corps à la maison, en cas de meurtre. Cet éclat se traduit:
a) par des manifestations gestuelles.
- pour les femmes : dénouer la chevelure et s'arracher les cheveux :
scioglie èstrappà i capelli ; tanghjassi.
se griffer le visage :sgrinfiassi, raspassi.
se frapper la poitrine ou la tête entre les poings : sciacciassi.
- pour les hommes : trépigner violemment ou, en cas de malemort, faire résonner le plancher sous le crosse des fusils.
b) par des manifestations orales. Un long cri aigu et modulé, u scucculu ou sbraiu que poussent les femmes, puis des lamentations avec des phrases exclamatives du type : o li me danni ! o la me sorte ! u me figliolu ! tinti à noi !, etc..., tandis que les hommes éclatent en imprécations contre la mort, le sort, voire Dieu lui-même, et, s'il y a lieu en malédictions contre le meurtrier et sa famille.
Cet éclat paroxystique est succeptible de se renouveler de façon plus atténuée à certains moments: arrivée d'une personne étroitement apparentée ou particulièrement chère au défunt (et d'une manière générale, sous une forrne adoucie, à l'entrée de chaque nouvelle condoléante dans la chambre mortuaire) et au moment de l'enlèvement du corps.
La lamentation proprement dite tend à réduire Ia part du geste et du cri au profit de la parole. Cri, interjection articulée (ohimè !), phrase exclamative stéréotypée, discours (du type universellement connu de l'apostrophe réprobatrice au mort: « pourquoi es-tu mort, alors que rien ne te manquait? », enfin parole rythmée, rimée et chantée -ou vocero-, telles sont les étapes qui conduisent insensiblement du planctus à la lamentatio, pour reprendre la terminologie d'Ernesto De Martino, c'est-à-dire du plus informel au plus formalisé, sans que l'informel soit jamais autre chose qu'une limite théorique dans un processus où le cri initial lui-même, hurlement de bête selon l'observateur étranger, est dèjà conforme à un modèle culturel.

LE CHANT FUNEBRE.

Le vocero s'annonce par un silence qui accompagne l'entrée en scène de la vocératrice. Celle-ci se lève, un mouchoir déployé à la pointe des doigts ou parfois un tablier tenu à deux mains. Elle s'approche du mort, le regarde fixement, se recueille, puis commence à chanter lentement d'une voix égale et basse. Le corps entier marque le rythme: balancement des épaules et du buste, oscillation de la taille, geste arrondis des avant-bras et des mains; parfois la main libre frappe doucement la tola (plus récemment le lit ou la bière). Les condoléantes assises (autrefois accroupies) autour du corps se balancent au même rythme et, entre chaque strophe, poussent un cri plaintif (dih! dih!), seul vestige peut-être d'un choeur qui n'est pas attesté en Corse, alors qu'il existe encore en Sardaigne.
Quand elle a terminé, la vocératrice revient s'asseoir à sa place. Une autre se détache alors du groupe et improvise à son tour.

Le passage de l'une à l'autre se fait par des formules chantées d'invitation à la parole (a chjama,l'invitation; chjamà à qualchidunu, inviter quelqu'un à chanter) dont voici un exemple:
Duvia dì molte cose
Ma mi sentu faticata
È po vegu a me surella
A testa di la scirata

Cù l’ochji pieni à lacrime
Chì aspetta d'esse chjamata.

Enfin Tommaseo signale qu'autrefois à Altiani deux femmes chantaient ensemble, inclinées tête contre tête, ce qui laisse présumer l'existence possible d'un vocero en paghjella.

LAVOCERATRICE.

Le vocero est l'apanage exclusif de la femme. De très rares exceptions ne font que confirmer Ia règle. Toute femme - épouse, mère ou soeur - a le devoir de « vocérer » ses morts et, dans cette intention, elle s'instruit, dès son jeune âge, auprès des plus vieilles. Mais, à côté de la famille, la communauté villageoise délègue ses spécialistes, celles « qui ont le don » (chì anu u donu) et qui ont un statut analogue à celui du poète. Beaucoup plus rarement (mais la chose n'est pas inconnue) on signale quelques cas de vocératrices rétribuées. A Santa-Lucia di Tallà, au début du siècle, certaines familles de notables où les femmes avaient perdu la capacité d'improviser, mais qui tenaient à garder l'usage, faisaient venir de Livia des vocératrices payées pour la circonstance.

LA DANSE FUNEBRE.

Très anciennement un autre rite était étroitement lié au vocero. C'était la danse funèbre ou caracolu qui ne semble guère avoir laissé de traces dans la tradition orale. Plusieurs textes établissent son existence de façon plus ou moins nette. Nunziola, vocératrice de son mari (37), semble tourner autour du corps en chantant.

È v’avvingu incù li pedi,
È v'allisciu incù li mani.

Bien plus clair est l'appel à former le cercle des danseuses lancé par une autre vocératrice du Niolu
Ch'elle ghjunganu à le stelle
Or alzatemi le stride
...
Fatemi grande lu chjerchju
È maiò lu caracolu.

Deux documents confirment cet usage :
1) Les constitutions synodales de Mgr Carlo Fabrizio Giustiniani, évêque de Mariana, à la date de 1657, interdisent, sous peine d'amende et d'excommunication majeure, d'exécuter des danses funèbres en tenue d'apparat, avec accompagnement de « cantilènes superstitieuses »
2) L'anonyme de 1743 décrit ainsi Ia scène : « lorsqu'un homme a été assassiné ou qu’il a été tué à la guerre..., les parents et femmes du village apportent le mort sur la place devant l'église, et, se prenant avec la veuve et lesenfants toutes ensemble par la main, elles tournent en rond tout autour du corps de toutes leurs forces, en criant et pleurant comme des folles, jusqu'à ce qu'elles tombent les unes sur les autres étourdies sur le cadavre ».
Il ne faut pas confondre le caracolu funéraire avec la ronde en l'honneur des morts dans laquelle on invitait à entrer parents, amis et étrangers. La première est exécutée par les femmes devant le corps. La seconde, exécutée par les hommes, peut se faire hors funérailles, en différentes occasions, un mariage, par exemple. C'est cette dernière danse à laquelle a assisté Jaussin en 1739 dans un hameau proche de Boccrgnanu. C'est elle aussi qui est condamnèe par Mgr Carlo Fabrizio Giustiniani à l'égal de la danse funéraire et dans le même texte.
Dans tous les cas, il s’s'agit d'une ronde, tandis que le terme de caracolu suggère une danse en spirale du type de la procession appelée granitula. Ce rite mystérique remontant à la plus ancienne humanité et symbolisant le passage de la vie à la mort et de la mort à la vie trouverait tout naturellement sa place dans des funérailles. Le vocero du Niolu cité plus haut semble distinguer la ronde (chjerchju) du caracolu ou spirale. La question reste obscure et demanderait des recherches plus poussées à l'intérieur du domaine méditerranéen. »