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Ducumentu
Pertusatu

Avant d’atteindre le goulet, tu as sûrement franchi Pertusatu, Ulysse. Pointe extrême-sud de la Corse, appelée aussi par les locaux Punta Sant’Antoniu (pointe Saint-Antoine), ce lieu est une pâte calcaire pétrie par les vents violents. Encore eux. Ils t’ont sûrement renvoyé les échos des nombreux phoques moines. Nos grands-pères appelaient ce merveilleux animal « l’iogiu marin » (l’œil de la mer). Aujourd’hui disparu, les plus vieux de notre génération les ont à peine connus.

Ici la pointe est fortement battue. Les tempêtes  y ont creusé comme un col et la Corse s’élève une dernière fois avant de se briser en blocs divers. Plus que tourmenté, l’endroit est labouré d’embruns à sa surface tandis que les flots souvent déchaînés en ont taraudé les soubassements. C’est ainsi que naquit l’Orca (la jarre), ouvrage surprenant des éléments patients devenus artisans. Il s’agit d’un grand puits rond ou d’une petite grotte à ciel ouvert dans la plaque calcaire dont la paroi marine est percée par l’érosion des houles. Plus loin, comme un judas à la porte d’Éole, le cap est troué de part en part d’un pertuis où l’on traverse debout. Il a donné le nom de Pertusatu.

Sans son phare construit en 1844, l’endroit devait donner une impression d’apocalypse encore plus forte. Le visiteur actuel peut l’atteindre à pied par la magnifique promenade de cinq kilomètres longeant la falaise à partir du col Saint-Roch à Bonifacio. On peut alors descendre sur le site et la plage par un petit sentier sans danger.

Édifice assez harmonieux, le phare est constitué d’une maison basse (aujourd’hui louée à un privé) érigée d’une tour carrée haute de 21 mètres. Le feu à 100 mètres au-dessus de la mer a une portée de 25 milles marins, soit une cinquantaine de kilomètres[1]. Ce qui en fait le premier des grands phares de la Corse. Essentiel dans les Bouches, le navigateur de nuit le repère par ses deux éclats blancs toutes les dix secondes.

Mais toi, Ulysse, tu es arrivé de jour. Tu vis alors ce long front haut et ridé qu’est la falaise bonifacienne. Le soleil se lève dans son dos et s’y projette le soir, révélant chaque fois d’autres blancheurs. Qu’y avait-il alors sur l’actuelle cité ? « La haute Télépyle » évoquée par Homère laissait-elle déjà voir quelque bâtisse osant défier le surplomb ?

Toi-même, tu te méfias du « fjord » bonifacien et de son « calme blanc ». Tu as dû prudemment amarrer ton navire au creux de l’actuelle Madoneta,  petit phare marquant l’entrée du port très profond et toujours abrité. Tout comme ton passage, il est de triste mémoire puisqu’il fut construit en 1854, six mois avant le naufrage de La Sémillante sur l’îlot de Lavezu qui demeure aujourd’hui l’un des plus grands drames de la Méditerranée. Mais tu sais mieux que personne ce que les odyssées recèlent de malheurs… Mais aussi de merveilleuses découvertes.

Le temps a passé. Et aujourd’hui Bonifacio est parmi ces splendides escales de la Méditerranée, sans Lestrygons hostiles aux braves voyageurs. Et les milliers d’Ulysse sont heureux. Ils en découvrent les sites et peuvent s’étonner à loisir de ses richesses naturelles et culturelles.