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Bunifazziu in versi ou le regard des mots

Bunifazziu in versi  (Soirée poésie et chanson) a constitué le thème de la soirée festive de l’association culturelle Di ghi di scé de Bonifacio.

Cette soirée a choisi depuis 1996 la date du 16 août. Le jour de la Saint Roch les Bonifaciens avaient pour habitude de se réunir pour un pique-nique traditionnel. L’association a voulu relancer dans une forme nouvelle le côté convivial de la Saint Roch.

Cette année c’est le thème de la poésie et du chant qui a été retenu. L’esprit de la soirée fut pensé pour aboutir à une évocation culturelle et festive de Bonifacio sans clichés. Ce dernier terme devant être pris dans une double acception : n’utiliser que la projection, la déclamation ou le chant du  texte (pas de photos ou d’images donc) ; aller vers une évocation tous azimuts afin d’entrer non seulement dans la complexité identitaire mais dans le plaisir d’une poésie de qualité que l’on a rarement l’occasion de partager de façon populaire. Le fait de faire savoir qu’il existe une production de qualité dans l’île aurait pu aussi figurer à l’ordre des objectifs de la soirée.

La programmation a donc fait le choix de construire une évocation très hétérogène du point de vue des textes de façon à allier l’esthétique au témoignage, le littéraire à l’ethnographique. Un moment qui tienne à la fois du regard, de la vision et du vécu. L’intention était de puiser dans le spectre large des constructions identitaires possibles à partir de la production de textes en vers sur et dans le lieu particulièrement fécond qu’est Bonifacio.  Témoins les deux témoignages ethnographiques choisis : un hymne religieux en français Cœur sacré chanté depuis 1901 lors de la fête Dieu en juin et un chant de revendications populaires en bonifacien de 1911 sur l’air militaire de Sambre et Meuse. Mélange des cultures et contrastes sociaux qui font que le premier est un véritable brûlot anti-laïque d’Augustin Piras, ancien maire, en plein conflit de séparation de l’Eglise et de l’Etat et le second un témoignage de la montée de la contestation ouvrière et syndicale juste avant la guerre 14-18 qui laissera Bonifacio exsangue comme le reste de la Corse. Deux textes qui ont intégré la tradition bonifacienne.

Cette pluralité a tenu compte des langues puisque le bonifacien, le corse et le français étaient concernés. La traduction en français a servi de lien entre les textes. Par le jeu de la projection sur écran géant de la traduction, l’ensemble du public a pu avoir accès au sens.

 

 

I.     Le rendez-vous poétique

A.  Michel Auzet / Jacques Thiers : rencontre au point exact

C’est la rencontre entre Jacques Thiers et Michel Auzet qui a été un des moteurs de la soirée. Jacques Thiers est professeur des universités, auteur et spécialiste de littérature corse. Sa venue a été motivée par son poème  « Promontoire d’exils » en version corse et française. Michel Auzet est professeur agrégé de lettres classiques et a publié un ouvrage poétique sur Bonifacio en collaboration avec le peintre Idir (Bonifacio, Romain Pages Ed. Sommières, 2002).

Le principe fut de demander à chaque poète de découvrir et de présenter l’autre uniquement sur la base des textes et non d’éléments biobibliographiques. Le parti pris de la rencontre fut de proposer un corpus de textes à chaque auteur de façon à dégager une pertinence subjective de Bonifacio, lieu de littérature.

« Le promontoire d’exils » de Jacques Thiers présenté par Michel Auzet a été l’occasion de rendre compte d’une approche de l’île de l’intérieur. Le pluriel d’exils vient au départ troubler la lecture. Michel Auzet y perçoit un désir inassouvi d’ailleurs qui marque à la fois une question angoissée sur l’enfermement ou le repli et une frustration (classique) d’une maturité de vie qui clôt le passé (« les linceuls de ces temps », « mille dépouilles aimées ») et qui laisse l’avenir de plus en plus incertain (« pourquoi reprendre souffle quand la terre n’est plus »). Sur ce passage (bascule et/ou bilan – dans le texte corse - de la course), cette approche du temps trouve pleinement sa place à Bonifacio. La falaise, le promontoire caractérisent bien un lieu bascule où l’axe est le midi de l’homme. Les îles s’envolent alors comme autant d’espoirs et retombent à l’automne des désirs ou au démon de midi. La symbolique, chère à Prévert, des feuilles mortes est reprise ici ; elles se métamorphosent en îles intermédiaires.

Cette approche de l’île confins et des îles désirs, espoirs, regrets et/ou exils n’a pas échappé à Michel Auzet. Le jeu de l’île terre singulière et des îles exils au pluriel l’a vraisemblablement troublé. Mais Bonifacio est bien là comme une limite qui ouvre sur le rêve. Il  relève bien la métaphore de l’ourlet d’un coquillage que l’on porte à son oreille où le poète recherche en vain le sens des jours à vivre quitte à laisser la question de la table rase du passé en suspens (étaient-ils bien les miens les jours qui ne sont plus ?). La dernière phrase tomberait-elle alors comme une forme de renoncement à des rêves, des projets dont on est amoindri, comme un exilé ? Autant d’exils sentis du haut des falaises « promontoire d’exils ».  « Mais le soir est têtu » dit le poète dans son inexorable après midi. Le coquillage comme médium ne suffirait pas à « réveiller » certains échos qui ont sans doute nourri le sens de la vie. Le jeu évoqué à la première strophe n’aurait donc pas fonctionné (et si l’on s’amusait…)

Ce riche texte de base sert d’ailleurs de relais aux choix suivants de Michel Auzet dans le cadre de son approche du dire poétique de Jacques Thiers. Ulysse en devient une déclinaison. On retrouve le thème des  « amputés de départs » comme au bord de la falaise avec le ricanement « des rêves comme des mondes perdus ».

Le choix se porte encore sur la capacité du poète à figer le temps comme cette Halte blanche, couleur des bras de Nausicaa (mais pour nous ce soir-là la halte blanche c’est Bonifacio) ou comme Le point exact, où l’on retrouve le thème du midi (point de rencontre « du soleil et du temps ») où le poète affirme son pouvoir d’éterniser. Figement, arrêt ou enchantement (au sens légendaire) que M. Auzet choisit encore de présenter à travers deux autres poèmes liés au couple : Tendus et Lits.

En parallèle, Jacques Thiers choisit de nous faire découvrir la poésie de Michel Auzet sous un double aspect faussement contradictoire : le regard sur un Bonifacio vidé de ses gens donc mis hors du temps et, dans une seconde série, le traitement singulier de la présence humaine. Jacques Thiers cherchant alors le contre-pied du poète du minéral et des éléments qui revendique le complément des superbes toiles bonifaciennes du peintre Idir, elles-aussi vides de gens.

Par les choix d’une première série, Thiers présente aussi la capacité du poète à se dégager du temps. Elle est rendue ici par le minéral et le vent. Fidèle de Sutt’a Rocca (sous la falaise), Auzet sait la sédimentation réelle et symbolique du calcaire sur le granit qu’il rend en « muet hiatus d’une roche l’autre » : on pourrait écrire trois pages rien que sur cette assertion poétique ! En présentant ce premier texte, Thiers nous signifie d’emblée qu’Auzet a tout compris du paradoxe minéral bonifacien qui vient s’écrire par strates calcaire sur l’échine dure du granit.

Dans cette première série, le choix des textes renvoie bien à cette recherche d’absolu qui rend le paysage squelettique. Les vents eux-mêmes ont du mal à agiter quoi que ce soit (« comme si de rien n’était/l’air… »). Enfin le choix des « minces graffitis », des « ombres déjà rupestres » abîment  Bonifacio dans un intemporel à la fois réel et fantastique. Les ombres s’encrent sur les parois et le poète dépose un glacis qui réunit en un instant la multitude des jours. L’effet est patent. Seules les roches et les poètes ont ce pouvoir.

Cette quête par le minéral est fréquente dans la poésie corse. Jacques Biancarelli (A tempara lli ghjorna, la trempe des jours) et ses « tsinni russi » (blocs de granite affleurant au maquis) ou Ceccè Lanfranchi (à via d’ochji, Par le chemin du regard). Tous deux raccrochent l’éternité minérale au sens présent. Ce n’est pas le cas de Michel Auzet incommodé par tout ce qui vient troubler l’absolu élémentaire.

C’est sans doute pourquoi Jacques Thiers choisit de faire voir au public comment l’homme s’inscrit tout de même dans le Bonifacio de Auzet.

C’est d’abord une place parasite : « le grand foirail d’été » vient pratiquement gommer les falaises (« retirées »). Les touristes ne lèchent-ils pas trivialement leur glace pendant que le poète se demande : « Dans ta carcasse de calcaire quelle mémoire est contenue ? ». Les boules de vanille-chocolat font tache sur « la peau de la mer fauve ». étonnante beauté et modernité du poème que cet éphémère de la crème glacée débilement consommée. Hommes « aveugles » qui « ignorent » les lois intangibles de la nature et des mathématiques. Ainsi, dans cet autre poème des « architectures en répons », il y a une vraie trouvaille poétique dans l’« homothétie sereine » évoquant les tombes symétriques à la ville. L’image bâtie à partir du « Cannicciu »  cimetière ajaccien (aux dires mêmes de l’auteur) n’a aucun mal à s’appliquer à Bonifacio.

Mais finalement, et Jacques Thiers ne choisit pas le poème « Liturgies » au hasard, le thème des hommes qui « arpentent la place courte/leur cage ouverte/sur la mer » en « liturgie muette » revient comme une antienne, comme la confirmation d’une rencontre tout à fait évidente. Car au bout du compte, elle participe bien d’une élaboration de l’image littéraire du lieu. Le socle minéral est là comme un arrêt, une halte de rêve et comme un élan, hors de l’île-cage. Qu’il soit de liturgie(s) ou d’exil(s), qu’il soit d’ombre(s) ou de chimère(s), le jeu du singulier et du pluriel y est fondamental.

 

Ce soir-là les poètes nous ont donné rendez-vous « au point exact », à Bonifacio, pour ciseler encore notre regard.

 

B.  Bonifacio entre témoignage et nostalgie

MH. Ferrari, F. Canonici, M. Ceccarelli, J. Fusina, B.Baccara/JM Thomas (qui s’avère être un Grimaldi de Bonifacio) autant d’auteurs de poèmes ou de chansons évoquant Bonifacio en bonifacien, en français ou en corse.

MH Ferrari, dans un beau texte poétique, nous donne un regard quasi anachronique de la ville qu’elle a adoptée. Elle revendique une sensibilité externe. Dans une vision très contemporaine, elle saisit parfaitement le contraste été/hiver (hiver « qu’on accueille de courbettes serviles ») dans une angoisse que beaucoup de Bonifaciens reconnaissent. Vision qui devient surannée lorsque est évoquée « la fierté du souvenir des femmes, droites, les cruches sur la tête » pour atteindre enfin le faux intemporel minéral de « la hauteur qui fait qu’on croit qu’on a dompté la mer » tant la falaise est rongée par le temps et les éléments.

 

 

De l’avis du public, le texte est remarquablement déclamé par Marie Anne Salles, séance qui constituait une première très agréable pour notre journaliste locale, plus avertie au scripta manent qu’au verba volant !

Autre texte lu magistralement en bonifacien par Marguerite Mannerini, le « Veciu bartulin » de François Canonici. Notre journaliste à la retraite, auteur de nombreuses monographies sur Bonifacio, ayant arpenté autant les recoins de la Haute-Ville que les sentiers de la campagne, est un fin connaisseur de l’âme bonifacienne. Il restitue ici le sentiment d’un vieux porteur de châsse, témoignant d’un atavisme profond qui se construit aussi sur l’événement religieux et traditionnel du mois d’août : la sortie de la plus lourde châsse.

Enfin trois chansons, dont deux interprétées par Jacques Faucelli, viennent compléter dans des formes diverses la fascination qu’engendre le lieu bonifacien. Rien n’a été exclu, quitte à considérer aussi les clichés en vogue dans les années soixante avec la chanson « Bonifacio » qui avait connu un vif succès lors de sa création par Regina et Bruno.

 

II.   En bonifacien dans le texte

A.  La verve de Memè Milano restituée

« Originaire de Bonifacio, son parcours est significatif de la volonté et de la ténacité de ce fils d’entrepreneur maçon.

Il passe son certificat d'études et son brevet élémentaire en 1918, l'année où son père revient de guerre, après quatre ans passés dans les Vosges. Engagé comme auxiliaire des Ponts-et Chaussées, il suit les cours par correspondance de l'Ecole Spéciale de Paris, passe l'examen d'adjoint technique et le concours d'ingénieur. En 1926, il décroche son parchemin d'ingénieur TPE.

L'année suivante, il est expédié en AOF (Afrique Occidentale Française) où il fera plusieurs séjours à Conakry, Abidjan, Niamey et Dakar,

La deuxième guerre mondiale le surprend à Biscarosse où la Gestapo l'arrête et l'interne dans une prison près de Bordeaux. Après guerre, il est en charge de Port Saint-Louis du Rhône...

En 1958, il prend sa retraite et, six ans plus tard, devient le premier magistrat de Bonifacio, sa ville, qu'il gérera jusqu'en 1971. »

 

Après son mandat de maire, Dominique Milano se consacrera à laisser une mémoire du XXe siècle. Jean-Claude Albertini fera la somme  de ses témoignages avec Jérôme Camilly en 2000 (Bonifacio. La vie quotidienne au XXe siècle) d’où sont extraits les éléments biographiques ci-dessus. Ses travaux en toponymie ont par ailleurs permis la pose de plaques en bonifacien dans toute la ville.

En 1976, il propose sous forme ronéotypée « Paregi fori bunifazzini » (neuf fables au total) qu’il présente « d’après certaines fables de La Fontaine et Favule scelte de Noël Rocchiccioli ». Memè Milano montre alors que la verve bonifacienne n’a rien à envier à celle du fameux dentiste cargesien qui reste comme l’un des meilleurs auteurs de prose et de poésie satirique et humoristique de langue corse. D. Milano s’inscrit donc dans les prémices d’un renouveau qui touchera le corse langue régionale. Il donnera pratiquement ses premiers écrits au bonifacien, confiné jusqu’alors dans une oralité très affaiblie et malheureusement peu recueillie.

La déclamation théâtrale de quatre de ses fables par Madeleine Pugliesi et Jeanne Faucelli a ravi le public qui retrouva là les accents d’un bonifacien à la fois authentique et sans fard.

 

B.  L’hommage rendu à  Cyprien Di Meglio par Jean-Marie Comiti

« Peut-on évoquer, à Bonifacio, le nom de Cyprien Di Meglio sans penser immédiatement au poète ? Et quand je dis « à Bonifacio », la petite Gênes selon les historiens, je devrais élargir le champ de la renommée de Cyprien jusqu’à la Sérénissime, la grande Gênes, puisque les éditions ELSAG lui ont récemment rendu hommage en publiant quelques uns de ses textes dans un bel ouvrage qui s’appelle : « Corsica. Città, borghi e fortezze sulle rotte dei Genovesi. La storia, le parole, le immagini » (2002).

Les mêmes éditions ont également tourné au cours de l’année dernière un documentaire sur la place de l’expression ligure en Méditerranée ; documentaire dans lequel Bonifacio et son poète Cyprien Di Meglio occupent une place toute particulière.

N’oublions pas Calasetta et l’île de Carloforte, au sud-ouest de la Sardaigne, où les vers de Cyprien sont aujourd’hui connus.

Eh bien oui, Bonifacio a son poète, comme la terre a son astre lunaire.

Mais il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas d’un poète qui cultive le nombrilisme identitaire et qu’on pourrait taxer un peu trop rapidement de « provincialiste ». Sa poésie ne s’inscrit aucunement sur une orbite en spirale où les cercles concentriques enfermeraient l’auteur dans un enracinement certes profond mais stérile.

La poésie de Cyprien transcende le lieu et son histoire, la culture locale et les hommes qui l’engendrent ; elle fait résonner des vers qui s’ouvrent grand aux échos universels. Car le poète Cyprien Di Meglio est avant tout un Homme, dans toute la splendeur du terme ; un homme qui depuis sa petite ville perchée sur son blanc rocher, absorbe et ressent au  tréfonds de son être les émotions les plus diverses qui circulent par le monde. Il les ramasse dans son filtre poétique et nous les restitue dans des extases partagées ou dans des cris de révolte qui rejettent résolument l’indifférence.

Cyprien est un être bon et généreux, simple et modeste et sa poésie exprime les valeurs et les qualités de cet homme, de cet artiste devrais-je dire - car il n’a pas qu’une corde à son arc : il manie le pinceau et le fusain à merveille, il pousse la chansonnette avec les Gargarozzi, et je vous garantis qu’il est redoutable, et c’est un euphémisme, lorsqu’il pointe aux boules - bref, sa poésie dépeint la Vie en créant des ambiances colorées, lumineuses, joyeuses, festives, jubilatoires, souvent pleines d’humour ; mais aussi graves, sérieuses ou révoltées.

Vous aurez l’occasion ce soir de découvrir les différentes facettes de notre poète.

Cyprien ne supporte pas l’injustice, les richesses mal distribuées et l’arrogance de certains grands qui nous gouvernent ; ceux qui parfois ont le pouvoir de déclencher des guerres par caprice. Et il y a ceux qui s’enrichissent impunément sur le dos des morts et des blessés. Il est sensible à la misère dans le monde et dénonce avec fermeté tout ce qui compromet le respect de la personne humaine.

Tout cela se trouve dans la poésie de Cyprien et on comprend bien que pour lui l’écriture n’est pas seulement le lieu de la nostalgie et de l’esthétisme bucolique mais aussi un moyen d’envoyer des messages forts, gorgés d’humanisme.

Je suis heureux de rejoindre mon ami Cyprien dans ce combat qui doit à la fois défendre le faible à tous les niveaux, notamment sur le plan culturel et linguistique, et mettre en garde contre toute forme de domination indécente et de discrimination assassine.

En écoutant tous les vents qui soufflent dans les Bouches de Bonifacio comme autant d’expressions culturelles diverses et légitimes, notre poète engage les Hommes à reconnaître mutuellement leurs différences et à apprendre à vivre ensemble. Un vaste programme qui révèle un optimisme à toute épreuve.

Dans le texte que vous allez entendre à présent le poète lance un cri déchirant de colère, meurtri qu’il est dans la chair familiale. Comment rester indifférent aux mutilations infligées par les guerres, surtout lorsqu’elles touchent des enfants ? C’est un appel à la vigilance afin que chacun d’entre nous dénonce et entre en résistance contre les plus viles et noires défaillances de l’homme. »

Déclamation de L’asciascin/ L’assassin

C.  Le parcours d’un texte : I venti messageri

C’est le groupe U Serinatu de Jacques Luciani et de Jean-Claude Flori qui a choisi de mettre en musique la version corse d’un poème en bonifacien de C. Di Meglio, adapté de manière assez libre par Alain Di Meglio. Une bien belle chanson interprétée le soir même par le groupe qui avait fait le déplacement pour la circonstance et pour inscrire la présentation de l’album éponyme à Bonifacio.

La double version du poème avait déjà fait l’objet d’une publication dans la revue littéraire du Centre Culturel Universitaire, le Bonanova n°5 (p.42). Durant la soirée, A. Di Meglio avait proposé une version française (à faire déclamer par MH Ferrari) très librement adaptée des versions corse et française, la double version ne faisant plus qu’un ! La convivialité de la soirée et la magie de la sensibilité poétique incita MH Ferrari à proposer une version française plus proche du texte bonifacien et plus respectueuse de la métrique. Elle le fit dans le moment de la préparation en consultant nombre de personnes dans le public afin de peaufiner son accès au texte. C’est cette version qui fut lue et non celle proposée mais tout de même projetée.

L’intérêt du texte ? Si l’ensemble de l’œuvre de C. Di Meglio revêt un caractère bucolique, nostalgique, écologique ou humoristique, ce texte prend le parti d’utiliser les vents pour faire de Bonifacio le coquillage (pour reprendre la métaphore de Thiers) où s’entendent les échos les plus horribles de la méditerranée. C’est donc l’image d’une méditerranée déchirée, assassinée  à travers les deux textes déclamés (L’asciascin et Venti messageri) que le bonifacien de C. Di Meglio, toute petite langue, exprimera. Balkans, Algérie, Palestine, le rendez-vous des vents décloisonne la ville et l’inscrit dans son monde.

 

L’humour et la qualité de vie bonifacienne trouveront tout de même toute leur place dans la partie finale de la soirée entièrement chantée et dédiée à la convivialité : l’humour et la satire écologique du Sciü Carlivà, la médisance féminine par Tütu ti dà da dì ou le côté épicurien de la vie bonifacienne avec Paisi di libertà. Autant de créations de ces trente dernières années sur des musiques le plus souvent enjouées, mélodies simples et populaires puisant parfois dans le style napolitain qui a marqué le quartier de la Marine.

Le  È mortu l’asetu, célébrant l’âne, animal sacré à Bonifacio, a servi d’hymne et de final. Le texte date du XIXe siècle et la mélodie a connu vraisemblablement une évolution plus festive au XXe.

Au bout du compte, nous avons balayé un siècle par le regard des mots. Quelques mots chantés, déclamés. Projetés. Faite de lignes ténues, l’image nécessairement partielle ainsi bâtie a contribué à l’élaboration d’une identité sans faux-fuyant, sans complexe en puisant dans sa complexe vérité. Le moment fit naître une convivialité mixte où le bonifacien vint partager le regard, où le passant s’arrêta.

A. Di Meglio

 


 

Piscadori p.28

Donne-nous !
mes filets
n’ont en mémoire que du sable
Donne-nous encore !
mes reins
n’ont en mémoire que le poids des filets !

Piscadori p.30

D’une fenêtre à l’autre
Les poissonnières
Font courir l’écho
De leurs palabres
Puis,
Elles étendent
Les uns après les autres
Les arguments douteux
De leurs cancans médisants

Piscadori p.32

Vois !
le Santa Lucia peine au port
n’y aurait-il donc personne
pour lui tendre la perche ?
comme une main offerte par la terre